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Quand vient la nuit : Retour à Little Odessa

Michaël R. Roskam nous avait un tant soi peu séché avec Bullhead, un premier long en forme de doigt d’honneur tourné dans sa Belgique natale où il y était déjà question de gangsters mafieux qui se bouffaient le nez pour un trafic d’hormones juteux. Quand vient la nuit reprend donc là où on avait laissé le réalisateur à la différence près qu’il troque les vaches de la Flandre rurale pour les rues de Brooklyn, ses bars et sa mafia Tchétchène. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il s’y sent toujours comme un poisson dans l’eau.

Quand-vient-la-nuit-Affiche-française

Il y a une autre différence, de taille cette fois-ci, entre les deux films. Le premier était un scénario original écrit par le réal lui-même. Ici, il s’agit clairement d’une commande procédant de l’adaptation d’une nouvelle de  l’incontournable Dennis Lehanne (Mystic River, Gone Baby Gone, Shutter Island) qui en a profité pour en écrire lui-même le scénario. Une démarche de cinéma et de carrière loin d’être anodine puisqu’elle montre au plus grand nombre que l’homme en a sous le capot et que le réal sait accessoirement recracher une bonne histoire selon les quatre volontés de sa mise en scène.

À commencer par le décor que Roskam se réapproprie de la même manière que dans Bullhead.  Par le biais de ses personnages qui en délimitent l’espace par l’économie de leurs mouvements et la faiblesse de leurs interactions au sein de celui-ci. Un peu comme si chacun d’eux étaient des ectoplasmes en devenir et qu’ils en étaient conscients. Il y a là comme un clin d’œil appuyé au Little Odessa de James Gray où le destin tragiquement scellé des protagonistes renvoyaient à la sémantique même de la frontière invisible mais infranchissable. En nouvel immigrant, Michaël R. Roskam ne pouvait que immédiatement le ressentir et en jouer.

Sa réalisation en devient d’ailleurs anxiogène et accentue merveilleusement l’aspect thriller organique de l’ensemble. Tout se joue en effet via les corps et la parole. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Roskam a emmené dans ses bagages un Matthias Schoenaerts toujours aussi azimuté et imprévisible. Sa confrontation avec un Tom Hardy au jeu minéral et vrai-faux héros en latence fait des merveilles. Il est l’électron libre, celui qui passe les frontières au risque de se bruler les ailes. Pour les accompagner, Roksam a choisi des acteurs au pedigree bien trempé. Le regretté James Gandolfini d’abord qui interprétait là son dernier rôle au cinéma. Et Naomi Rapace ensuite qui dans cet univers très masculin campe un personnage symptomatique de l’univers du cinéaste (centrale mais pas symbolique d’une quelconque posture) et seule capable de faire durablement bouger les lignes de l’histoire.

Quand vient la nuit se fourvoie ainsi avec délectation dans un cinéma Old school mode 70’s. Les dialogues aux cordeaux font merveilles car l’on ne sent jamais le travail du scénariste qui s’échine à rendre tout cela fluide et crédible. Les blancs font d’ailleurs partis de cette touche de réalisme qui ne verse jamais dans le naturalisme. Roksam et Lehanne ne cherchent pas à coller à une vérité que de toute façon ils ne veulent pas. Polar urbain certes mais à tendance poétique et noir. On pense un peu à Prévert et à Gabin. En arrière-plan, cela pue le pub qui vient de se vider de ses habitués et la sueur du barman qui reçoit les mafieux du coin venant collecter la recette. Et quand forcément se présente un « imprévu », l’odeur devient plus forte et nous d’exsuder de bonheur.

Quand vient la nuit de  Michaël R. Roskam – 12 novembre 2014 (Twentieth Century Fox France)

Résumé : Bob Saginowski, barman solitaire, suit d’un regard désabusé le système de blanchiment d’argent basé sur des bars-dépôts – appelés « Drop bars » – qui sévit dans les bas-fonds de Brooklyn. Avec son cousin et employeur Marv, Bob se retrouve au centre d’un braquage qui tourne mal. Il est bientôt mêlé à une enquête qui va réveiller des drames enfouis du passé…

Note : 4/5

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