La Tête Haute - Rod Paradot

La Tête haute : Les Quatre Cents Coups [Cannes 2015]

Pour ceux qui ne connaissent pas le cinéma d’Emmanuelle Bercot, il suffit d’aller jeter un œil avisé à Elle s’en va, son précédent long métrage avec déjà Catherine Deneuve. C’est qu’avec le recul, il constitue mine de rien la meilleure des introductions à La Tête haute, film qui se veut le garant d’une certaine tradition sociale chère au cinéma français tout en se réappropriant goulûment Les Quatre Cents Coups de François Truffaut.

La Tête Haute - Affiche

La Tête haute, c’est l’histoire d’un gamin que sa mère (Sarah Forestier que l’on aimerait voir ailleurs que dans des rôles de mère indigne mais au grand cœur)  a eu trop tôt et dont le père a depuis longtemps disparu des radars. Forcément issu de milieux défavorisés accentué par le choix du nord de la France, forcément très rapidement en échec scolaire, forcément délinquant juvénile, le voici donc dès l’âge de 13 ans en marge d’une société qui n’en veut déjà plus. Forcément on se dit que tout cela flirte allègrement avec certains poncifs ou écueils, pour ne pas dire caricatures, que le personnage central va devoir faire oublier portant du coup sur ses épaules une bonne partie de la charpente crédibilité du film. Ce qui est le cas. Ce qui est magistralement le cas.

Pour cela Emmanuelle Bercot a forcément (oui encore) choisi un inconnu qu’elle est allée chercher dans un lycée professionnel. Rod Paradot, c’est son nom, est comme une évidence. Il part de loin pourtant car il est le contrepoint d’une histoire aux aspérités connues et attendues. Il est blanc pour ne pas tendre vers le stéréotype du délinquant issu de l’immigration stigmatisé à longueur d’année. Il ne fait partie d’aucun gang et ne trempe pas dans la drogue. C’est en gros une sorte de contre cliché à la limite iconique qui aurait pu nuire d’entrée au film si sa prestation n’emportait pas tout sur son passage. Sa présence, son énergie, la minéralité de son jeu et son instinct de survie animale embrasent chaque plan qui finissent souvent à bout de souffle rinçant en même temps un spectateur tétanisé.

En face, il y a donc Deneuve en juge des enfants qui ne force jamais sa prestation mais qui sait ingénieusement insuffler un contrepoint tout en douceur aux nombreux face à face que lui octroie le scénario. Elle est celle qui tente d’accompagner cet enfant, ado puis jeune adulte vers une vie qui lui permettra de garder la tête haute. Et puis il y a aussi Magimel qui joue cet éducateur au passé d’enfant terrible. Il est de cette génération où l’ascenseur social voulait encore dire quelque chose. Il a lui aussi été suivi par la même juge et aujourd’hui il travaille avec elle. Emmanuelle Bercot ne grossit jamais le trait mais les arcs narratifs sont bien poussés à l’extrême limite d’un vide assimilant naturellement (et non plus forcément cette fois-ci) La Tête haute à une œuvre sans cesse sur la corde raide. C’est ce qui en fait sa réussite mais aussi ses limites.

De celles qui contrissent un film qui parfois étouffe dans le maillage d’un scénario désespérément maîtrisé et d’une mise en scène farouchement classique. Jusqu’à cette fin que l’on va qualifier d’apaisée. Bercot ne veut pas faire dans le misérabilisme social, elle ne veut pas donner dans la noirceur la plus totale. La photo souvent solaire en atteste. Elle veut laisser une chance à tous ses personnages comme si en tant que cinéaste elle avait aussi besoin de croire aux gens et en leur humanité. Elle ne veut pas croire à la déliquescence irrémédiable des institutions de son pays et d’une société de plus en plus repliée sur elle-même. La Tête haute peut alors faire un tantinet office de réponse à la déflagration qui nous a d’une manière ou d’une autre tous secoués en ce début d’année. On ne saurait y apporter ici un jugement de valeur. On aimerait juste vraiment y croire et s’aider de ce film aux confins qui restent à définir dans les prochains mois et/ou années afin de ne pas tomber dans un cynisme social accablant.

En cela, faire de La Tête haute le film d’ouverture du 68ème Festival de Cannes est une réponse en soi courageuse. Mais elle reste tout de même dans les clous d’un cinéma français qui creuse encore et toujours le sillon d’un ADN FEMIS qui l’enferme. D’autres choix plus radicaux (ou moins politiques) auraient peut-être été plus judicieux. On pense au hasard à Un français de Diastème sur lequel on reviendra très vite et qui aurait certainement fait souffler un vent autrement plus frondeur et naturaliste sur la croisette. Mais bon ne cherchez pas, il ne figure sur la liste d’aucune sélection.

 

La Tête haute – d’Emmanuelle Bercot – 13 mai 2015 (Wild Bunch Distribution).

Le film est présenté en ouverture du Festival de Cannes 2015, hors compétition.

Le parcours éducatif de Malony, de six à dix-huit ans, qu’une juge des enfants et un éducateur tentent inlassablement de sauver.

Note : 3/5

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