Quantum Break

Quantum Break – Entretien avec Greg Louden (Senior Narrative Designer)

En attendant de découvrir incessamment sous peu notre chronique complète de Quantum Break, nous avons pu nous entretenir avec l’un des concepteurs de ce nouveau titre signé Remedy Entertainment. La particularité de Greg Louden ? Il a débuté sa carrière dans le Septième Art avant de rejoindre son univers de prédilection. Rencontre avec un passionné de cinéma, de séries télé et, bien sûr, de jeux vidéo…

En prenant connaissance de votre profil LinkedIn, on constate que vous avez débuté dans l’univers des effets numériques pour le cinéma sitôt votre diplôme universitaire en poche : tout d’abord à Sydney en 2010 sur Happy Feet 2 chez Dr. D Studios, puis à Londres en 2011 sur Prometheus et World War Z chez MPC et enfin sur Gravity chez Framestore. On devine que vous devez être un fan de cinoche ?

Je suis un vrai fana de ciné (rires). J’adore le cinéma français : Jean-Luc Godard, Luc Besson, la Nouvelle Vague, Jean Renoir, etc. J’adore également les jeux vidéo et a fortiori les jeux vidéo français : Life is Strange, Heavy Rain, Beyond Two Souls, Soldats inconnus, etc. J’aime aussi les séries télé : Les Soprano, Sur écoute, etc. Je suis une véritable « éponge culturelle ».

Dès le départ, vous envisagiez de travailler dans ce milieu ?

À l’origine, j’avais toujours envisagé de travailler dans les jeux vidéo, mais j’étais également très intéressé par le monde du cinéma. Et quand l’opportunité de travailler sur des films de George Miller puis de Ridley Scott s’est présentée, je l’ai saisie. J’aurais été stupide de refuser d’autant que je suis fan d’effets spéciaux !

Revenons quelques instants sur Gravity. En quoi a consisté votre travail sur ce film ?

Nous étions environ 200 personnes au sein de Framestore à travailler sur ce projet. Beaucoup de monde donc ! Je faisais partie d’une équipe dédiée à ce qu’on appelle les « effets » (FX en anglais). Mon travail consistait à simuler les différents objets en apesanteur. Comme par exemple la séquence où Sandra Bullock se trouve dans la station spatiale internationale ISS avec toutes ces pièces d’échec qui flottent autour d’elle. J’ai également pris part à la séquence en caméra subjective à bord de la station spatiale chinoise Tiangong où elle se déplace au milieu de toutes ces baguettes. J’ai travaillé sur ce genre de séquences.

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Gravity a remporté un succès considérable : des critiques dithyrambiques, des scores impressionnants au box-office et une avalanche de récompenses, dont sept Oscars, y compris celui des meilleurs effets spéciaux. Et pourtant, après ce projet, vous partez travailler pour Remedy Entertainment en Finlande en 2012. Est-ce parce que votre but a toujours été le monde des jeux vidéo ?

Cela tient à deux choses. La première, en effet, est que l’univers des jeux vidéo a toujours été mon objectif numéro un. Mais selon moi, cette industrie n’est pas encore très développée en Australie et j’ai essuyé de nombreux refus à mes candidatures de l’époque. La seconde est qu’en travaillant sur Gravity, j’ai aussitôt perçu l’énorme potentiel visuel du film. Je savais qu’il allait tout rafler. J’ai alors pris conscience que j’étais en train de participer à l’un des tous meilleurs longs-métrages sur lequel je serais jamais amené à travailler et que si je voulais tenter à nouveau ma chance dans les jeux vidéo, c’était le moment. Sur ma liste de candidats potentiels, Remedy Entertainment figurait en première place. J’ai donc soumis une candidature spontanée et ils m’ont embauché.

Une question que j’aime poser à mes interlocuteurs est la suivante : à quand remonte votre toute première « rencontre » avec l’univers des jeux vidéo ?

Il y a eu deux « grands » moments. Le premier, même si j’étais un peu trop jeune pour y jouer, c’était Doom (1993). Il y avait eu des tas d’autres jeux excellents auparavant mais Doom m’a littéralement scotché. Le second, celui qui m’a véritablement donné envie de travailler dans ce milieu est Grand Theft Auto IV (2008). Je poursuivais mes études d’informatique où l’on m’enseignait une tonne de trucs sur des systèmes de programmation très avancés, comme ceux des banques par exemple. Pour autant, en rentrant chez moi pour jouer à Grand Theft Auto IV, je me suis dit : « C’est ça, le système informatique le plus avancé ! Celui où l’on peut littéralement concevoir de toutes pièces une cité virtuelle avec une approche narrative et visuelle très cinégénique ». C’est à ce moment-là que je me suis dit : « je veux travailler là-dedans ».

Avez-vous commencé à travailler sur Quantum Break dès votre arrivée au sein de Remedy Entertainment ?

Absolument. J’ai débuté sur les effets visuels de Quantum Break puis sur le level design avant d’évoluer à mon poste actuel de « Senior Narrative Designer » qui consiste à rédiger l’histoire et maintenir un scénario cohérent tout au long du jeu. Je travaille avec les scénaristes et les designers qui conçoivent les différents embranchements narratifs.

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Avez-vous été influencé par le travail de certains comics, films, séries télé ?

Énormément. L’une des références clé de Quantum Break est évidemment Inception (2010). En matière de voyages dans le temps, il y a également Primer (2004), Looper (2012), sans oublier des classiques tels que Retour vers le futur (1985) ou encore Terminator (1984). Du côté des séries télé qui nous ont influencées, il y a Fringe (2008) et True Detective (2014) en raison du background narratif en forme d’entretien. Il y a également Breaking Bad (2008) et Sur écoute (2002) puisque nous avons Aidan Gillen et Lance Reddick au casting. Du côté des films de superhéros, je citerais X-Men bien entendu puisque Shawn Ashmore a également pris part au jeu. Nous avions donc des tonnes d’influences diverses et variées tout au long de la production. De même pour les musiques pour lesquelles nous étions constamment à la recherche de morceaux très sympas à mettre à la fin de chaque acte. Je pense que les joueurs apprécieront d’entendre The Black Keys ou encore Death From Above 1979.

L’entreprise Monarch Solution dans Quantum Break m’a également rappelé le Projet Dharma dans Lost.

Lost bien sûr. Il serait très difficile de dresser la liste exhaustive de toutes nos références. Pour ce que j’en sais, Lost fut également une grosse influence pour Alan Wake (2010), le précédent jeu de Remedy Entertainement, ne serait-ce qu’en raison de son twist final dramatique. Une autre référence contemporaine qui me vient à l’esprit est Daredevil, la série de Netflix. Lors des jonctions où vous interprétez Paul Serene (Aidan Gillen), le personnage est très inspiré par l’interprétation de Vincent D’Onofrio dans le rôle de Wilson Fisk. Le plus intéressant dans les jeux de Remedy Entertainment est qu’ils sont ancrés dans une pop-culture contemporaine très cinégénique. Et je crois que c’est ça qui plait aux joueurs : ils retrouvent des tas de références à leurs films et séries préférés : Lost, Inception, etc. La scène d’ouverture de Quantum Break au cours de laquelle Jack Joyce (Shawn Ashmore) déambule sur le campus est très influencée par la scène similaire de The Social Network (2010) en présence de Jesse Eisenberg.

Quantum Break

En parlant du casting pour le moins impressionnant qui apparait à l’affiche de Quantum Break : Shawn Ashmore (X-Men), Aidan Gillen (Game of Thrones, Sur écoute), Dominic Monaghan (Lost, Le Seigneur des anneaux), Lance Reddick (Sur écoute, Fringe). Pourriez-vous revenir sur les grandes lignes du processus créatif avec tous ces comédiens ?

Au départ, nous n’avions que notre histoire et nos personnages sur le papier. Puis, le projet a pris une toute autre dimension lorsque ce casting hollywoodien est venu s’ajouter. Quand vous avez le personnage de Paul Serene, c’est bien. Mais quand c’est Aidan Gillen qui l’interprète, vous passez à l’échelon supérieur. Par chance, nous disposons désormais de la technologie nécessaire pour capturer l’intégralité de la performance des comédiens, aussi bien au niveau du visage que du corps tout entier. Si l’on reprend l’historique de la production de Quantum Break, à l’origine, nous avions un casting « prototype ». Puis, lorsque Microsoft qui croyait vraiment dans le potentiel du jeu a dit : « OK, passons à l’échelon supérieur », c’est là que tous ces comédiens sont entrés dans la danse. Ils sont venus en Finlande, je les ai rencontré, j’ai échangé avec eux, pris en considération leurs remarques. Leur performance est d’autant plus mise en valeur que le processus de capture faciale fait ressortir toutes les petites nuances de leur jeu d’acteurs.

Il y a deux aspects bien distincts dans Quantum Break : le gameplay divisé en cinq actes et entrecoupés par des « épisodes », des séquences vidéo d’environ 20/25 minutes chacune et qui dépendent des décisions du joueur. On devine le casse-tête pour gérer tous ces éléments en termes de scénario ?

Sans oublier que l’on parle ici d’une histoire de voyage dans le temps avec des embranchements dans tous les sens. Le boulot d’écriture en amont a été considérable. Nous en sommes même venus à dresser une cartographie pour avoir une vision d’ensemble des liens entre tous ces éléments. Voilà comment nous avons procédé : nous avons commencé par rédiger l’histoire du jeu d’un côté et celle des segments vidéo de l’autre. Puis l’équipe du jeu a échangé avec la production à Hollywood au fil de nombreuses sessions de travail jusqu’à parvenir à un terrain d’entente. Ensuite, nous nous sommes penchés sur la façon d’intégrer les différents choix. C’est le propre de tout processus créatif : au fil des itérations, le produit final prend forme et se bonifie. Nous aurions pu poursuivre un tel processus ad vitam et améliorer indéfiniment le jeu mais je pense qu’en l’état Quantum Break est très réussi. Nous sommes évidemment très fiers du résultat final. Grâce à sa façon d’intégrer des éléments de jeu à des éléments live, Quantum Break est unique en son genre.

Quantum Break

Mais ne craigniez-vous pas que les joueurs se lassent devant la longueur des séquences vidéo qui durent près de 25 minutes ? 25 minutes durant lesquelles le joueur n’a plus rien d’autre à faire sinon regarder la vidéo après avoir effectué son choix entre les deux alternatives narratives qui s’offrent à lui.

Je ne crois pas non. Pour la simple et bonne raison que ceux sont deux médiums bien distincts. Je pense que la plupart des joueurs sont des amateurs de cinéma et de séries télé, tout comme moi. De plus, ce n’est pas une cinématique, c’est un show en live. Ce qui présente bien plus d’intérêt car c’est une toute nouvelle expérience. Si nous pouvons amener les amateurs de shows à s’intéresser au jeu et vice-versa, c’est du gagnant-gagnant. La plupart des jeux vidéo vous fournissent simplement un jeu. Avec Quantum Break, vous avez entre les mains un jeu cinégénique AAA que vous pouvez façonner à votre guise, un casting hollywoodien et un show en live sur lequel vous pouvez interagir. Ce qui consiste de nombreuses valeurs ajoutées aux yeux des joueurs.

Avec tous ces embranchements, la question que tout le monde va se poser est : y a-t-il plusieurs fins possibles ?

La façon dont Quantum Break fonctionne est la suivante : il n’y a qu’une seule fin au jeu. Et vous comprendrez pourquoi en jouant. Je n’en dis pas plus pour ne pas spoiler. En revanche, le show en live a deux fins différentes. Les chemins qui y mènent seront fonction des choix que vous effectuerez et notamment du « compagnon » qui sera à vos côtés au cours du jeu. Ce choix modifie également la façon de franchir certains passages du jeu qui peuvent revêtir un gameplay tantôt plus furtif, tantôt plus guerrier tandis que les séquences temporelles figées tout autour du joueur changent elles-aussi très légèrement. Le chemin à parcourir demeure certes inchangé mais avec de très nombreuses variations. Quantum Break est donc un jeu avec un très gros potentiel de rejouabilité.

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Avec le recul, diriez-vous que votre expérience dans le monde des effets spéciaux de cinéma vous a été d’une aide pour travailler sur ce jeu ?

Absolument. Les similitudes sont nombreuses entre les deux corps de métier. Nombre de logiciels sont identiques. De plus, au contact de directeurs artistique et de superviseurs des effets spéciaux talentueux, j’ai appris à exercer un regard très acéré pour raconter visuellement de bonnes histoires. Mon expérience sur Gravity avec tous ces objets en apesanteur se retrouve dans Quantum Break où il y a également de nombreux éléments en suspension. C’est vrai de toutes les personnes chez Remedy Entertainment où le background de chacun apporte sa pierre à l’édifice.

Vous venez d’en finir avec Quantum Break. Vous êtes passé de Sydney à Londres puis à la Finlande, du cinéma aux jeux vidéo. Quels sont vos futurs projets ? Une autre société dans un autre pays ?

Je suis très heureux chez Remedy Entertainment. Tout le monde est très excité de voir comment le jeu va être accueilli. Pour le moment, je reste en Finlande (rires).

Remerciements à Mathias Bugeon, Alexandre Moreau, Alexandre Menard et toute l’équipe de Elan Edelman.

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