Les Poings dans les poches - Image Une Critique

Les poings dans les poches : Le Diable au(x) corps

C’est toujours autant une épreuve que de visionner Les Poings dans les poches. Un sentiment d’autant plus exacerbé qu’on peut en ce moment le (re)découvrir sur grand écran via les 6 copies mises en circulation par le distributeur Ad Vitam qui le propose de surcroît dans une version restaurée 4K supervisée par Marco Bellocchio lui-même.  Le cinéaste italien dont c’était ici le premier film, explique d’ailleurs à qui veut bien l’entendre que le fil rouge de cette restauration aura été de corriger des contrastes qu’il considérait déjà faiblards à l’époque. Une opération dorénavant rendue possible avec le numérique donnant au film une ambiance encore plus expressionniste, plus dure et plus définitive.

Nous sommes en 1965 quand Bellocchio réalise Les Poings dans les poches. L’histoire d’une famille un peu fin de race où la mère frappée de cécité est entourée de ses quatre enfants dont Sandro qui entre deux crises d’épilepsies s’enferme dans des certitudes qui le mènent à commettre matricide et autre fratricide croyant ainsi s’offrir une existence totalement libre et débarrassée de toutes attaches familiales. On peut voir Les Poings dans les poches comme un des films précurseurs de la révolte estudiantine qui se propagea dans le monde entier dès 1968 et qui fit trembler les fondations mêmes de la société italienne jusqu’à la fin des années 70. En effet, Sandro peut symboliser à lui tout seul cette génération en butte aux idéaux sociaux colportés par une bourgeoisie attachée à des modèles de vie proches d’une forme de dictature. Pourquoi pas. Et Bellocchio, dans une forme d’humilité un peu révisionniste, le pense aussi.

Pour être honnête, en revoyant le film, voilà une grille de lecture qui ne nous affleure toujours pas. Il est de toute façon toujours facile de donner après coup des significations morales et des portées politiques à des œuvres qui marquent leur époque. Car oui, Les Poings dans les poches fait partie de ces films qui résistent au temps et, comme on l’a dit plus haut, restent éprouvants à plus d’un titre. Cette force et cette longévité résident d’abord dans sa mise en scène entre un N&B qui durcit encore le propos déjà sans concession d’une famille où chacun de ses membres montrent des signes de folie ou de dégénérescence et des mouvements de caméra à la liberté expressive totalement décomplexée. Il y a aussi cette musique composée par Ennio Morricone que l’on oublie presque, qui n’est jamais ostentatoire mais qui épouse avec brio la folie cognitive et atrocement omnisciente de tous les personnages. Et puis il y a cette histoire qui au-delà de présager les craquelures d’une société  déjà percluse de contradictions, expose d’une manière littérale un des dogmes nazis les plus représentatifs de sa cruauté. Supprimer les plus faibles ou ceux qui peuvent entraver à une meilleure société plus pure et plus à même de dominer. C’est plus cette démonstration fascisante qui continue à nous frapper. C’est plus ici que l’on pourra y voir cette volonté d’exploser les convenances d’une société qui semble pour le coup avoir peu évolué depuis la guerre.

Là était certainement les ambitions de Bellocchio. De celle d’une génération en porte-a-faux avec ses aînées qui voulait se sortir d’une manière ou d’une autre de ce carcan intellectuel véhiculé et auto proclamé comme étant la vérité. Au cinéma, La Nouvelle Vague française avait déjà amorcé le virage. L’Italie avait connu un vent similaire avec le néo-réalisme d’après guerre post fasciste depuis enterré mais qui s’exprimera à nouveau et  d’une manière violemment politique lors de la décennie 70. Alors oui, Les Poings dans les poches peu s’apparenter dès lors à un film précurseur mais dans son coin. Ce n’est pas un film étendard mais un film radical et radicalisé (terme à la mode aujourd’hui on en convient) qui porte en lui les stigmates d’une révolte non sociale mais sociétale.

En prenant comme symbole cette famille aux fondations vermoulues, Bellocchio réalise un film électrochoc et provocateur dont la portée ira donc bien au-delà de sa décennie mue finalement par l’universalité de son propos. Celui-ci est d’ailleurs quelque peu autobiographique puisque Bellocchio avait un frère jumeau à l’époque qui souffrait de crises de folie au point qu’il se suicida en 1969. C’était une des raisons qui avait poussé Bellocchio à partir en Angleterre où il y termina ses études et y écrivit le scénario des Poings dans les poches. On peut penser que le grand frère Augusto est son pendant à l’écran. Lui qui aspire à une vie normale en voulant quitter la demeure familiale pour aller habiter en ville avec sa fiancée. Sandro (extraordinaire Lou Castel dont c’était la première apparition au cinéma) lui voue au demeurant un véritable culte au même titre que pour sa sœur Giulia dont il est de plus amoureux.

Bellocchio ne fera jamais mieux ni même aussi bien. Sa filmographie reste intéressante (on pense au Diable au corps qui reste toutefois ancré dans son époque ou encore à Buongiorno, notte) mais le plus souvent boursouflée de films portés par des idéaux et une pensée qu’il dénonçait quelque part dans Les Poings dans les poches. Ses films sont devenus l’establishment et la doxa d’un pays qui semble avoir définitivement perdu le souffle épique qui traversait son cinéma jusqu’au milieu des années 80. Vincere, qui fut présenté à Cannes en 2009 ou encore La Belle endormie, un des derniers films à être sortis chez nous en salles, ne montrent rien d’autre que des propositions empesées d’une morale et d’une vision quelque peu réac que les jeunes générations de ce pays (et de bien d’autres à commencer par le nôtre) auraient bon goût de faire voler en éclat. Peut-être qu’en revoyant Les Poings dans les poches justement…

Les Poings dans les poches (I Pugni in Tasca) de Marco Bellocchio – 1h45 (Ad Vitam – Rep. 2016) – 18 avril 1966 – Reprise en version restaurée 4K le 13 juillet 2016

RésuméSouffrant d’épilepsie, le jeune Alessandro s’est, petit à petit, enfermé dans son monde. Perdu dans l’admiration qu’il a pour son frère Augusto, qui rêve d’épouser Lucia, et pour se donner le sentiment de dominer son destin, Alessandro entreprend de détruire le carcan familial.

Note : 4/5

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