Dealer

Dealer : Le cinéma français en mode guérilla

Aujourd’hui, la censure n’est pas/plus politique comme au temps d’Yves Boisset, mais bien économique. Dans l’absolu, ce constat n’est pas nouveau puisque la Nouvelle Vague est en partie née de ces contraintes. En effet, entre la location de Studios et du matériel, il faut des moyens conséquents pour faire un film à la fin des années 50. En dehors des inspirations et autres aspirations, les jeunes turcs qui se sont d’abord échauffés derrière leur machine à écrire à la rédaction des Cahiers, ont aussi et surtout bénéficié de nouveaux matériels beaucoup plus maniables et surtout pour des coûts beaucoup plus abordables. C’est ainsi que pourvu de Nagras pour le son et de caméras 16mn, ils ont pu s’affranchir de certaines contraintes techniques et logistiques très pesantes permettant l’émergence d’une grammaire cinématographique jusque là inconnue.

Dealer - Affiche

Plus que jamais en 2015, « faire » des images est à la portée de tous. Plus que jamais il est possible de tourner, monter, post-produire et diffuser un court, un long-métrage pour finalement un coût très bas. Les cinéastes en herbe disposent en effet d’un arsenal d’outils qui judicieusement sélectionnés ouvrent jour après jour des perspectives techniques toujours plus vastes. Encore faut-il savoir les mettre à profit au service d’une histoire, d’un point de vue, d’une mise en scène. Le paradoxe veut alors que si de temps à autre on puisse tomber sur une pépite underground venue des profondeurs du web, il est indéniable qu’elles se font rares, de plus en plus rares. Comme si la démocratisation intense de tous les outils ad hoc avaient fini par étouffer les créateurs. Ou alors c’est que le manque de reconnaissance pèse.

Si l’on revient à la Nouvelle Vague, très vite les films qui s’en imprégnaient ont trouvé leurs spectateurs. Beaucoup furent même des succès populaires. Il y avait alors comme une forme de convergence entre les attentes du public et ce qu’on lui donnait à voir. Ce n’est à l’évidence plus le cas de nos jours. La faute à une grille de lecture de la part des décideurs (CNC, producteurs, chaînes de TV, aides en tous genres…) qui a fini par corseter le parcours d’un film depuis sa mise en chantier jusqu’à sa diffusion. Le public, qui n’a finalement plus de vrais choix de cinéma, faisant dès lors la part belle à nos comédies à la française qui ne cherchent même plus à se donner quelques pistes sous-jacentes de réflexions sociétales comme c’était encore le cas il y a à peine une dizaine d’années. À l’heure des réseaux sociaux, lissons et caressons plus que jamais dans le sens du poil. Pas de vagues, pas de polémiques.

C’est ce qu’entend briser un certain nombre de jeunes et de moins jeunes talents en réalisant des films aux méthodes proches d’une forme de guérilla. L’idée est de réveiller quelque peu les cerveaux endormis à la façon du bon peuple dans Invasion Los Angeles de Carpenter. Mais si devenir réalisateur aujourd’hui est à la portée technologique de tout le monde,  faire produire son projet, y faire adhérer une équipe et enfin lui donner une visibilité autre que 250 vues sur Youtube, est une autre paire de manche. Un défi qu’aura pourtant relevé l’équipe de Dealer, film qui sort des sentiers battus et par son financement et par son sujet que l’on peut découvrir entre autre sur Netflix et Vimeo ainsi que sur toutes les plateformes de VOD classiques. Retour sur une aventure que l’on espère tout sauf unique avec son réalisateur Jean-Luc Herbulot et son producteur mais aussi interprète (de malade) Dan Bronchinson.

Dealer

Pour se faire, on les a rencontré dans un café niché vers République. La conversation fut intense et riche en échanges passionnés. Dealer est loin d’être un chef-d’œuvre mais son parcours d’œuvre auto-produite justifie à lui seul qu’on en parle. Pourtant, Dealer aurait dû trouver sa voie sur les chemins de la production dite classique et une sortie dans les salles. Son pedigree néo noir allant fureter du côté de Nicolas Winding Refn pour la trilogie Pusher et de Danny Boyle pour Trainspotting est en effet suffisamment excitant en soi pour se faire. Mais il faut croire que ce n’est pas/plus possible de produire des films de ce genre en France aujourd’hui. C’est juste tragique. Si Dealer n’est donc pas parfait, il affiche cependant une énergie communicative de tous les instants. Une énergie d’un film qui n’a pas d’argent rétorque alors le réal. Peut-être, mais que l’on peut alors associer aux meilleurs Carpenter, pour revenir au maître iconoclaste du cinéma américain de la fin du XXème siècle. C’est certainement éreintant mais c’est là que l’on est le plus imaginatif, où on trouve de véritables solutions de mise en scène.

Dealer c’est d’abord une envie de Dan Bronchinson de raconter un peu sa première vie qui ne fut pas des plus sages on va dire. L’homme est une gueule de cinéma à la gouaille typique du titi parisien qui rappelle un peu Michel Constantin. J’ai fait pas mal de conneries dans ma jeunesse mais j’ai eu aussi la chance de faire assez tôt du théâtre en tant que comédien avec la possibilité de jouer des premiers rôles. Ceci dit, faire du cinéma a toujours été mon rêve mais j’ai aussi toujours pensé que c’était réservé à une élite. J’ai donc aligné les jobs. Certains furent très intéressants, d’autres moins. J’ai eu 40 vies, 40 métiers en quelque sorte. Jusqu’au jour où j’ai rencontré Jean-Luc à qui j’ai un peu raconté mon histoire. L’idée est alors venue de coucher cela par écrit sous la forme d’un scénario que Jean-Luc a co-écrit avec Samy Baaroun sans me douter un instant du budget que cela pourrait demander. J’ai d’abord pensé que mes économies allaient suffire mais très vite j’ai réalisé que l’on était très loin du compte. J’ai donc été frappé aux portes de la famille, des amis… On est pris alors très vite dans l’engrenage d’un film que l’on décide de tourner sans visibilité mais qu’il faut finir absolument. On ne peut pas le laisser en plan. Il faut par exemple passer par l’agrément du CNC. Un coût énorme. Il faut aussi payer les techniciens et les comédiens même si c’est au minimum syndical car on est dans un film à moins d’un million d’euros.

Pourquoi ne pas trouver de l’argent via les rouages classiques du système français ? Le film ne peut et ne doit pas passer par les fourches caudines du système car comme le dit Dan ils ne nous auraient de toute façon rien donné et de plus il fallait que le film se fasse vite. Il ne fallait pas perdre l’énergie du début. Le tournage s’est fait en 12 jours. Au final, le film aura coûté 165 000 euros dont un apport en nature au niveau de la post-production en la personne de Jean Mach qui est crédité du coup en tant que co-producteur. Quel est alors le retour sur investissement ? On a procédé à des ventes de droits à l’international territoire par territoire et ce dans plus de 70 pays pour des diffusions en Direct To Vidéo. L’idée étant au moins d’amortir les coûts de production du film. À l’origine Dealer a semble-t-il intéressé quelques distributeurs, mais avec la profusion des films qui sortent en salles chaque semaine, il était évident que Dealer n’allait pas exister d’où ce choix exclusivement VOD avec en tête de gondole Netflix qui de fait peut enfin se targuer de posséder dans son catalogue français un film ne datant pas d’avant 2010. Il faut au moins 50 000 achats pour que le film gagne de l’argent via Netflix. Impossible ? On croise les doigts nous répond alors Alexis Perrin, responsable de la distribution du film,  qui jusqu’ici restait en retrait. C’est lui le responsable de cet accord avec Netflix qui intervient après de longs mois de négociations. Dealer n’est pas un film fait contre le système nous précise Alexis. C’est plus un film émergeant depuis un système alternatif. 

Dealer

Le modèle économique n’est pas rodé mais il mérite que l’on s’y frotte rajoute-t-il alors. De toute façon, un film verbeux comme Dealer qui traite de la rue, de la drogue et qui s’octroie des plages d’ultra violence sans un acteur bankable en tête d’affiche n’a pas/plus sa place dans la production cinématographique d’aujourd’hui. Et encore même avec une star, il y a plus de chances que cela ne se fasse pas qu’autre chose.  Parlons casting justement. Comment choisit-on les acteurs pour un tel film d’autant que dans le lot il y en a dont on a déjà croisé la trogne. On pense ainsi à Elsa Madeleine, Salem Kali (Braquo, La Commune, Colt 45), Bruno Henry, Dimitri Storoge (Les Lyonnais, Made in France, Un Illustre Inconnu), Hervé Babadi (Plus Belle La Vie) sans oublier une brève apparition de Frédéric Chau (Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?). On prend des potes qui sont cools et qui ont du talent nous répond le réal en rigolant. Ce que j’aimerais maintenant c’est continuer l’aventure en faisant des spin-off à Dealer en nous intéressant à tel ou tel personnage. Tout le monde a tellement joué le jeu que j’aimerais prolonger l’aventure. Pourquoi ne pas décliner alors tout cela en séries TV du coup ? On y pense aussi (petit sourire en coin).

C’est à ce moment là que l’attaché de presse revient pour me dire que le prochain média étant arrivé et que comme de toute façon mon verre de Perrier menthe qui m’a généreusement été offert était vide, qu’il était donc temps pour moi de tirer ma révérence. Ce que je fis non sans omettre de préciser que si Dealer n’est pas sans défauts (excès du verbe en voix-off surtout, histoire qui manque un peu de souffle pour tenir sur a durée), il n’en reste pas moins une proposition de cinéma de genre très excitante et très au-dessus de ce qui nous a été montré par ailleurs dans les salles cette année. On pense au hasard aux Enragés d’Eric Hannezo, La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil de Joan Sfar, Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore, Taj  Mahal de Nicolas Saada ou encore Made In France de Nicolas Boukhrief dont la sortie a été repoussée en janvier 2016 (on y reviendra).

Dealer de Jean-Luc Herbulot – 1er octobre 2015 (Multipass Prod)

RésuméAprès une vie passée dans le trafic de cocaïne, Dan s’est promis de ne pas retomber. Se voyant offrir un dernier deal qui lui permettrait de réaliser son rêve d’enfance : déménager en Australie avec sa fille. Il accepte la proposition. Commence alors une descente aux enfers qui le replonge pendant 24 heures dans ce milieu impitoyable, fait de mensonges, violence et trahisons, où il devra sauver sa fille et survivre par tous les moyens…

Note : 3/5

  Lâchez-vous !

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *