Fat-City

Fat City en Blu-ray : un uppercut qui laisse (forcément) des bleus

WildSide continue avec Fat City son exploration d’un cinéma incontournable pour tout cinéphile qui se respecte au sein d’une édition DVD + Blu-ray + livre qui fait écho au Lord Jim sorti en juin dernier en attendant Règlement de comptes fin novembre mais aussi Les 7 samouraïs début décembre.

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Aussi surprenant que cela puisse paraître, il s’agit là pour WildSide du premier film signé John Huston à intégrer son très riche catalogue. Huston n’est par ailleurs pas le plus à plaindre des grands cinéastes en terme de parutions Blu-ray puisque douze de ses films ont eu les honneurs d’éditions ad hoc dont Reflets dans un œil d’or édité par Warner France en octobre de cette même année. Restent pourtant encore quelques pépites comme L’homme qui voulut être roi, Au-dessous du volcan, La nuit de l’iguane, Quand la ville dort, Key Largo… qui mériteraient plus que jamais les honneurs du passage en bleu.

Illusions perdues

Réalisé en 1972, on peut considérer Fat City comme le point de départ d’un dernier tiers de filmographie incandescent. John Huston est certes déjà physiquement affaibli, mais il en garde sous le capot. Les quelques petits bijoux et deux ou trois chef-d’œuvres qui suivront à commencer par ce Fat City sont là pour l’attester. On y retrouve d’abord les thématiques et figures narratives récurrentes de l’auteur comme l’espoir et l’échec ou encore l’illusoire quête d’hommes et femmes vers des formes de rédemptions qui n’arriveront jamais. Dans le même temps, l’influence du Nouvel Hollywood y est prégnante. Elle se traduit par une narration encore plus épurée que d’habitude, par une mise en scène au diapason et une photo jouant beaucoup avec les contrastes et une lumière très tranchées. Les intérieurs sont souvent très sombres alors que les rues de Stockton sont douchées par un soleil aveuglant. Il faut que le spectateur soit désorienté à l’image des protagonistes tous paumés dans une ville qui s’apparente au Village du Prisonnier.

Pas d’échappatoire possible pour ces boxeurs amateurs dont le seul avenir est de se faire une nouvelle fois casser la gueule lors de leur prochain combat. Et encore, il s’agit là d’un traitement réservé aux plus chanceux. Voilà pour le décor. Fat City raconte aussi le destin croisé entre deux boxeurs. L’un a sombré dans l’alcool (Stacy Keach minéral) quand il rencontre un jeune plein de promesses et de talents (Jeff Bridges à la jeunesse insolente) qui l’incite à vouloir effectuer son come-back. C’est deux générations d’hommes que Huston nous dépeint à la serpe. Le trait y est en effet puissant et très figuratif sans pourtant jamais laisser de côté une certaine mélancolie poétique. Une sorte de ballade triste que la séquence finale, une des plus belles de l’histoire du cinéma, illustre et clôture admirablement : Les deux hommes boivent un café accoudé à un bar. Ils devisent de tout et de rien, du serveur chinois qui doit avoir 100 ans et qui fait écho à leur propre mortalité. Et puis le silence s’installe, dure, s’étire et se meurt. Huston tire sa révérence sur ces êtres sans espoir et sans avenir mais pour lesquels il éprouve une admiration sans bornes.

Fat-City-HustonJohn Huston et Stacey Keach

Un regard que le cinéaste ne consent pas à la femme du récit. Le misogyne Huston ne lui en a en effet accordé que très peu de considérations tout au long de sa filmographie sauf quand celle-ci se révélait être un homme manqué (au hasard Katharine Hepburn dans The African Queen). Le personnage interprété par Susan Tyrrell est de fait une chieuse doublée d’une alcoolique dont la seule existence sur terre est de pourrir la vie de ceux qui l’entoure. Alors peu connue à l’époque, sa performance dans Fat City lui valu d’ailleurs une nomination à l’Oscar dans la catégorie meilleure second rôle. Amplement méritée tant on a envie de la baffer dès qu’elle apparaît à l’écran. Il y a entre Stacy Keach (alors lui aussi un quasi inconnu du grand public que les années 80 adouberont en détective Mike Hammer dans la série du même nom qui fera la joie des après-midi de feu la 5) et elle une scène d’anthologie. En partie improvisée selon la légende, elle voit Keach en train de préparer le diner (steak brulé et petits pois en boite de conserve) alors que le ton monte jusqu’à devenir une déferlante d’injures et de hurlements. Quand la porte se referme laissant Tyrell cuver son vin au fond de son lit, on est juste certain d’avoir assisté à du grand cinéma de l’intime.

Fat-City-Susan-TyrrellSusan Tyrrell

Fat City c’est enfin une des rares réussites de la représentation de la boxe au cinéma. On parle ici des combats et de leurs chorégraphies. Peu de films avant 1972 pouvaient se targuer d’une telle réussite en ce domaine. Ils se comptent sur les doigts d’une main et parmi eux on trouve Gentleman Jim, Nous avons gagné ce soir ou Plus dure sera la chute. Pour la petite histoire Huston détestait Rocky. Il filme ses combats sans tricher même s’il a du retourner quelques scènes avec un vrai boxeur considérant Stacy Keach pas toujours au niveau. Huston, l’ancien boxeur, a l’œil pour accentuer l’impact des coups portés. Sa caméra se concentre beaucoup sur les visages qui se tuméfient et le poids des corps qui deviennent plus lourds à mesure que le combat s’éternise. Le ring devient alors le symbole d’une vie d’amertume et de prison d’où l’on ne peut sortir qu’avec ses illusions perdues et accessoirement la gueule rectifiée.

Fat-City-Stacey-Keach

Un Blu-ray à la mâchoire (faussement) de verre

Fat City est donc cet uppercut que les ans n’ont pas fragilisé. Et WildSide de l’avoir compris même si l’on ne trouvera au sein de cette édition DVD et Blu-ray pas la moindre trace d’un complément digne de ce nom si ce n’est la bande-annonce d’origine en VOST que vous pourrez découvrir ci-dessous. En fait, l’atout principal de ce bel objet est de nous proposer un livre rédigé par le journaliste du Monde, Samuel Blumenfield. Son texte est sobre, parfois lyrique mais toujours pétri d’infos pertinentes. Il permet de contextualiser la conception du film ne laissant rien dans l’ombre depuis l’achat des droits du roman de  Leonard Gardner qui en signa l’adaptation jusqu’à la portée du film au sein des carrières respectives des différents protagonistes. Mais l’intérêt de son texte va bien au-delà puisque Samuel Blumenfield se targue d’un style qui lui permet d’aborder lui aussi à sa façon ce milieu de la boxe amateur underground. On pense alors à une des nouvelles au sein du livre De rouille et d’os de l’écrivain canadien Craig Davidson qui raconte le périple d’un boxeur amateur mexicain traversant la frontière clandestinement pour un combat qu’il va perdre. Il y a un peu de cet accent suranné quand il décrit la ville de Stockton aujourd’hui ou quand il met à nu certaines anecdotes de tournage peu connues. Comme si le journaliste voulait lui aussi coller à l’atemporalité du film de Huston. On pourrait crier à la suffisance si tout cela ne se lisait pas passionnément et d’une traite.

Et puis WildSide nous propose une édition techniquement aboutie où la photo de  Conrad L. Hall est magnifiquement retranscrite dans toute sa radicalité faite de noirceur et de lumière éclatante au point d’en délaver les couleurs. Le master ne laisse apparaître que très peu de défauts et l’encodage donne libre cours au grain pellicule de l’époque. Le mono d’origine encodé en DTS-HD Master Audio 2.0 est quant à lui concis et sans esbroufe. La version anglaise est comme toujours à privilégier tant la VF a du mal à retranscrire la performance originelle des acteurs.

Captures Blu-ray (cliquez sur les visuels pour les visualiser au format HD natif 1920×1080)

Image : 4/5
Son : 4/5
Bonus : 3.5/5

Fat City (WildSide Vidéo) – 29 octobre 2014

CARACTÉRISTIQUES TECHNIQUES Blu-ray
Master restauré – Couleur
Format image : 1.85 – Résolution film : 1080, 24p
Format son : Français & Anglais DTS Master Audio Mono d’origine
Sous-titres : Français
Durée : 1h36

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