Tchao Pantin : Mes nuits sont plus belles que vos jours en Blu-ray

Film emblématique du cinéma français des années 80, Tchao Pantin est pourtant une anomalie miraculeuse qui puise ses racines dans le meilleur du polar à la française traité selon la veine du réalisme poétique d’avant guerre. Une combinaison improbable dans la France du cinéma de Beineix et Besson où l’image pop et pubarde commençait à devenir la norme du moment. Sa ressortie au format Blu-ray précédé d’une restauration 4K supervisée par son chef op Bruno Nuytten permet de se replonger avec bonheur dans cet avatar moderne de l’univers de Carné et de Prévert mené de main de maître par un Claude Berri dont on mesure chaque jour depuis sa disparition combien il manque à notre cinéma.

Tchao Pantin - Affiche

C’est l’histoire d’un pompiste de nuit qui semble déjà ne plus rien attendre de la vie et dont la boisson est son seul ami. Lambert qu’il s’appelle. Un soir de pluie, il fait la connaissance de Bensoussan, petit dealer de bas étage, qui trouve refuge dans sa station service. Le film est alors lancé avec d’un côté un Coluche méconnaissable et de l’autre un Richard Anconina à la fragilité tragique déjà évidente. Tchao Pantin se nourrit dès le début de ce couple détonnant pour en faire son socle narratif. On aura par la suite de cesse d’y revenir à la façon d’un battement de cœur régulier jusqu’à que celui-ci s’arrête brutalement plongeant alors le film dans une dernière partie encore plus sombre et jusqu’au-boutiste.

Au-delà de l’histoire adaptée d’un roman noir signé Alain Page, c’est son traitement qui frappe encore aujourd’hui par sa justesse et sa modernité. Pour cela on doit surtout citer Bruno Nuytten qui entre une photo très glauque à base d’éclairage aux néons (l’intérieur de la station service) et un travail remarquable sur l’appropriation des espaces (on précise que tout fut tourné in situ dans le 18ème arrondissement de Paris), donne sans conteste à Tchao Pantin cette patine qui fut considérée à l’époque comme réaliste pour ne pas dire naturaliste et qui demeure le témoignage sans prix de quartiers (Barbès, République ou Bastille) autrefois populaires (pour ne pas dire coupe gorge) devenus aujourd’hui plus ou moins bobos.

Tchao Pantin

Quant à Claude Berri, on lui doit bien entendu cette forme de prescience un peu obsessionnelle d’avoir décelé en Coluche un Gabin ou un Raimu des temps modernes. Si sa prestation dans Tchao Pantin est de cet ordre là, on ne saura jamais si Berri avait vu juste au long cours. On sait par exemple qu’il lui fit tourner un bout d’essai pour Jean de Florette mais cette fois-ci sans donner suite, le rôle revenant au final à Daniel Auteuil. D’autant que l’on peut aussi se demander si Berri n’a pas un peu « profité » de la dépression dans laquelle était tombée l’homme (campagne présidentielle de 1981 qui de farce s’était transformée en attaques personnelles abjectes menées de front par toute la classe politique de l’époque, divorce très douloureux, suicide de son ami Patrick Dewaere avec l’arme qu’il lui avait offert, usage de drogues dures…) pour l’aider à composer ce personnage de pompiste alcoolo ravagé par le chagrin de la mort de son fils qui voit en ce petit dealer mi arabe, mi juif, une forme de bouée de sauvetage à laquelle il s’agrippe bien malgré lui.

Il y a aussi la musique de Charlélie Couture dont le morceau Toutes les nuits sont trop longues vient irradier une séquence entière du film où Coluche déambule dans les rues de la ville au petit matin. On touche littéralement du doigt ici la poésie naturaliste évoquée plus haut. Après, le seul point faible du film réside toujours dans le personnage de la punkette interprétée par Agnès Soral. Son jeu, sa démarche, ses dialogues tombent toujours à plat ou en tout cas sont en totale dissonance avec ces décors (signée Alexandre Trauner faut-il le rappeler) et ces ambiances ancrées dans une réalité plus ou moins parallèle. Enfin il y a cet inspecteur campé par un Philippe Léotard totalement sous coke transpirant sans cesse, les yeux un peu hagards et dont l’enquête n’est certainement qu’un alibi pour faire venir jouer un pote qui créchait à l’époque chez Coluche.

Tchao Pantin

Tchao Pantin est donc bien ce mélange incroyable et miraculeux provoqué par un Claude Berri au fait de ses moyens et de ses envies. Dès la première prise où Coluche se retourne face caméra, il le dit lui-même, il a appelé qui de droit pour faire avancer la sortie du film en décembre 83 en lieu et place de janvier afin qu’il puisse concourir aux César 84. Bien lui en a pris puisque Coluche y remporta le César du meilleur acteur, Anconina ceux du meilleur espoir et du meilleur second rôle masculin, Bruno Nuytten celui de la meilleure photo et Gérard Lamps et Jean Labussière celui du meilleur son.

Une anecdote que l’on entend dans le formidable film issu de la collection Il était une fois un film et son époque initiée par Serge July et diffusée depuis 2003 sur la 5 puis Arte. Une collection dont le sérieux n’est plus à démontrer et dont le concept, simple mais encore fallait-il y penser, se propose de contextualiser un film par rapport aux événements politiques, historiques ou encore sociaux de l’époque donc. Celui consacré à Tchao Pantin qui fut d’ailleurs le tout premier, ne s’appesantit pas trop sur l’année 83. Il rappelle juste qu’en France c’est la fin de l’État de grâce et le début d’une longue période d’austérité et que l’URSS et les États-Unis s’affrontent en Europe à coup de missiles intercontinentaux dans ce qui sera le dernier épisode de la guerre froide. Pour info on en retrouvait un extrait dans le DVD collector de 2003. C’est donc avec un plaisir non feint que nous pouvons dorénavant en visionner les 52 minutes passionnantes où interviennent Bruno Nuytten, Claude Berri, la compagne d’alors de Coluche, Agnès Soral, Richard Anconina… On retrouve aussi les interviews de Anconina, Soral et Berri menées en 2003 pour le DVD. Elles demeurent riches en info et toujours aussi vivantes.

Tchao Pantin - Xavier Castano

Et puis cette édition Blu-ray propose un entretien inédit avec le premier assistant réal Xavier Castano. On se dit avant de l’écouter que l’on ne voit pas bien ce que le bonhomme va pouvoir nous apprendre de plus. Comme on se trompait. L’homme fourmille en effet d’anecdotes de tournage pas ou peu entendues comme celle sur Alexandre Trauner qui ayant l’habitude de travailler en studio avait réalisé comme souvent des maquettes pour anticiper angles de caméras et confort de prises de vues. Un travail de pro mais dans le cadre d’un tournage en studio. Ce que ne souhaitait absolument pas Berri qui voulait au contraire s’adapter aux décors naturels qu’il aurait choisi. Ou encore les problèmes de voisinage comme ces jets de bouteilles par les fenêtres pour signifier l’agacement d’un tournage sur plusieurs semaines exclusivement de nuit. Le fait aussi de déranger les petits dealers du coin dans leur business… qui l’ont fait savoir, parfois à coups de machette…

Xavier Castano balance aussi que lors du monologue climax de Coluche dans le lit avec Agnès Soral, ils avaient mis au point un système complexe de rails pour un travelling à un mètre du sol. Le problème c’est qu’à un moment on entend distinctement le couinement des roues (pour être honnête cela ne nous avait jamais frappé les esgourdes). Un problème de son qui n’a jamais pu être résolu au mixage et encore moins lors de la restauration malgré les demandes désespérées à l’égard de Bruno Nuytten.

Tchao Pantin - Cap Blu-rayLa scène climax. Capture issue du Blu-ray

Mais en l’état c’est tout à l’honneur de cette restauration qui permet donc de redécouvrir Tchao Pantin dans son « jus » d’origine. La photo de Nuytten reprend tout son sens entre une profondeur de champ abyssale provoquée par un éclairage des différents décors qui a dû pomper l’équivalent d’un réacteur d’une centrale nucléaire sur plusieurs jours. Au-delà, on retrouve le grain d’origine qui rend magnifiquement les ambiances entre chien et loup ou diurnes tout en affinant une image dont la définition justement n’est jamais prise en défaut. On a vraiment affaire là à un véritable travail d’orfèvre qui enterre sans problème l’image que proposait le DVD édité en 2003. Un gap dont profite au demeurant le DVD présent dans cette édition combo. Toujours bon à rappeler.

Le gap est aussi sonore avec un encodage en un DTS-HD MA 2.0 qui rend compte avec une certaine douceur mais là aussi une belle finesse le mono d’origine. Les dialogues sont particulièrement bien retravaillés permettant une certaine directivité sur la voie centrale plus qu’appréciable. À cela Pathé ajoute des sous-titres anglais et pour sourds et malentendants ainsi qu’une piste en audiovision. Que demande le peuple ?

Notes :

  • Image : 4,5/5
  • Son : 4/5
  • Bonus : 4/5

Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080

Tchao Pantin - Jaquette Combo Blu-ray DVDTchao Pantin – Édition Collector Combo Blu-Ray + DVD – de Claude Berri (France – 1983) – Pathé Vidéo – Sortie le 7 décembre 2016

Pompiste de nuit, Lambert noie sa solitude dans l’alcool au fond d’une station-service. Il y rencontre un jeune dealer, Bensoussan, auquel il s’attache peu à peu. L’assassinat du jeune homme ravive les blessures de Lambert qui se lance à la poursuite des meurtriers…

Spécifications techniques Blu-ray :

  • Image : 1.66:1 encodée en AVC 1080/24p
  • Langues : Français DTS-HD Master Audio 2.0 mono
  • Sous-titres : Anglais, Sourds et malentendants
  • Durée : 1h 34min 15s

Bonus :

  • Il était une fois… Tchao Pantin, de Serge July (51min20s, SD)
  • Remise du César du Meilleur acteur à Coluche (2min48s, SD)
  • Interview d’Agnès Soral et Richard Anconina (28min40s, SD)
  • Interview de Claude Berri (10min18s, SD)
  • Interview de Xavier Castano (18min19s, HD)
  • Film annonce (1min23s, HD)

  Lâchez-vous !

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *