Phantom of the Paradise - Image Une test BRD

Phantom of the Paradise : L’Ultra Collector faustien

Le plat de résistance de cette édition dite Ultra Collector est la présence du bouquin qui façonne en fait le packaging même et l’identité visuelle de cette dorénavant collection initiée depuis près d’un an déjà par Carlotta. Cela n’a pas toujours été le cas. On pense à celui proposé avec L’Année du dragon qui n’était qu’un assemblage de textes déjà lus à droite à gauche de par le passé si ce n’était une ou deux interviews inédites. Non là, on a affaire à un vrai travail éditorial sur lequel nous reviendrons au fur et à mesure. Mais parce que nous ne sommes pas à une contradiction près, on voulait en fait attirer tout de suite l’attention quant à la reproduction en fin de livre du petit texte signé Nicolas Boukhrief écrit en 1986 dans la revue cultissime Starfix lors de la sortie en VHS de Phantom of the Paradise. L’occasion pour le futur cinéaste de faire le point sur un film alors vieux de plus de 10 ans et de se demander s’il tenait toujours autant la route. En 2017, le film de De Palma nous toise dorénavant du haut de ses plus de 40 ans et en fait la question au fond n’a pas bougé d’un iota. L’apanage en quelque sorte des grands films qui décennie après décennie repassent sous le billot temporel pour en ressortir grandi ou la tête coupée.

Phantom of the Paradise - Affiche France

Loin de nous ici la volonté de repasser derrière moult plumes qui ont su analyser Phantom of the Paradise le plus souvent avec pertinence. Il suffit d’ailleurs de jeter un œil au brillant texte de Jean-Baptiste Thoret proposé au sein du livre pour nous enlever toutes velléités idoines. Le critique et historien du cinéma revient en effet et en quelques pages seulement (qualité synthétique de l’écriture s’il en est) sur la primo filmographie de De Palma pour la mettre en résonance avec son troisième long-métrage Phantom of the Paradise sans oublier de contextualiser le film d’une part avec ce Nouvel Hollywood qui se meurt déjà mais aussi, angle beaucoup plus osé mais in fine brillant, avec l’assassinant de Kennedy dont ce Phantom serait une relecture baroque et fantasmée mais au final terriblement juste. Qu’il serait donc fastidieux et contre-productif de vouloir remettre à nouveau sur le plan de travail analyse des thématiques maintes fois explorées et explication de texte d’un film il est vrai très riche.

C’est que Phantom of the Paradise a pour lui comme paradoxe de symboliser à la fois tout ce que le cinéaste va devenir, exprimer avec parfois plus de finesse et de justesse et imprimer au cours d’une filmographie à nulle autre pareille, mais aussi d’être son film somme pour ne pas dire testament (sic !). On y trouve en effet déjà la représentation du double schizophrénique, le voyeurisme, le regard caméra, le trompe-l’œil pour ne pas dire la manipulation permanente par l’image et le son… Quant aux références ils y sont aussi légions. On pense bien entendu au Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde qui renvoie d’ailleurs au double évoqué plus haut. Le personnage de Swan, le producteur et patron du label Death Records qui est le double monstrueux de Winslow Leach, le jeune compositeur à qui il vole sa musique et qui deviendra le Phantom pour se venger, vieillit mais pas son image renvoyée par la myriade de caméras de surveillance qui le filment en permanence. Ça va, on suit derrière ?

Il y a aussi les références hitckockiennes souvent utilisées à bon escient mais qui à l’époque (surtout dans les années 70 et 80) lui occasionnaient des critiques acerbes qui voyaient en cela un manque d’inspiration criant. Dans Phantom of the Paradise il y répond (car Sœurs de sang, son film précédent y avait déjà eut droit) à sa manière en parodiant avec beaucoup de malice la scène de la douche de Psychose. Sans oublier le clin d’œil appuyé à L’Homme qui en savait trop avec la séquence où un tireur caché s’apprête à exécuter la chanteuse Phoenix en plein concert. Entreprise déjouée par le Phantom in extremis. Ou encore lors du générique de début qui ne peut que rappeler celui de Vertigo (signé Saul Bass faut-il le préciser à toutes fins utiles) avec pour motif principal cette fameuse spirale hypnotique.

Phantom of the Paradise - Affiche US

On pourra également citer Le Cabinet du Docteur Caligari, le chef-d’œuvre du cinéma expressionniste allemand, qui est expressément (oui, la répétition est voulue) cité dans une séquence musicale d’anthologie quand le chanteur Beef se fait électrocuter sur scène par le Phantom. Lui qui venait d’être assemblé de toutes pièces via des membres ponctionnés à même le public tel un Frankenstein de pacotille n’ayant vécu que le temps d’un éclair (de néon). Mais le plus époustouflant reste cette séquence filmée en split screen citant sans ambages le plan séquence d’ouverture de malade mental de La Soif du mal signé par un certain Orson Welles. C’est sans aucun doute le pic affolant de Phantom of the Paradise qui reste encore à ce jour unique en soi, même si De Palma a usé et abusé du procédé par la suite mais jamais avec le même bonheur.

Alors bon, est-il besoin encore de préciser que le film de De Palma reste 43 ans plus tard d’une modernité effarante faisant plus que jamais fi du temps qui passe. Une altérité magnifique qui tient aussi dans le ton décalé et son humour noir toujours aussi corrosif que De Palma ne retrouvera là aussi jamais tout à fait. La faute à une naïveté doublée d’une forme de jeunesse encore insouciante qui s’envoleront bien vite suite sans doute aux différents procès et le relatif bide auxquels le film aura dû faire face (exception faite de Los Angeles et cocorico de la France). C’est que le cinéaste a toujours eu à se battre pour imposer ses idées et sa mise en scène ne bénéficiant jamais tout à fait de la reconnaissance que purent avoir ses paires tels que Lucas, Spielberg ou encore Coppola. Son cinéma gagnera dès lors en profondeur, en âpreté et en radicalité ce qu’il perdra en légèreté et peut-être en sincérité.

Coffret Ultra Collector (ouvert) Phantom of the Paradise

Un Blu-ray à point nommé

En février 2014, on avait zieuté avec gourmandise l’édition anglaise de chez Arrow qui proposait une image issue d’un tout nouveau master restauré 2K ainsi qu’une foultitude de nouveaux bonus bien appétissants dont une conversation de plus d’une heure entre l’acteur et compositeur Paul Williams et Guillermo del Toro. La patience est mère de toutes les vertus puisque Carlotta a décidé de tous les reprendre ainsi que ceux présents sur le précédent Blu-ray français édité par Opening mais aussi quelques uns de ceux produits par l’éditeur ricain Shout Factory qui a édité le sien (de Blu-ray) en août 2014. Ouf !

Ce qui quelque part fait certainement de cette édition l’une des plus complètes au monde puisque l’on rappellera la présence du foisonnant bouquin dont nous n’avons d’ailleurs exploré qu’une infime partie des richesses qu’il recèle. Ce pourquoi, mais sans avoir la prétention d’être exhaustif, on s’en voudrait de ne pas citer, histoire d’avoir le sentiment de faire un tantinet le tour de la question, le texte signé Alexandre Poncet qui recentre le travail de composition effectué par Paul Williams avec minutie et passion. On a aussi beaucoup aimé le chapitre consacré à la promotion du film issu de cette page du site The Swan Archives qui est au passage une mine d’or d’informations sur le film et qui est traduit de l’anglais pour ceux dont la langue de Donald Trump pète les rouleaux.

Coffret Ultra Collector à-plat Phantom of the Paradise

Pour revenir à la conversation entre Paul Williams et Guillermo del Toro, on va dire que c’est juste délicieux. On a d’un côté le cinéaste mexicain qui tel un groupie clame dans un premier temps son amour pour le travail de compositeur d’un homme finalement assez peu connu du grand public. Des musiques et des chansons qui ont apparemment façonnés la jeunesse du cinéaste jusqu’à influencer son travail. Puis les échanges deviennent plus analytiques avec un Williams de plus en plus à l’aise mais surtout impressionné par un del Toro qui a à l’évidence fait sienne nombreuses de ses compositions jusqu’à faire parties intégrantes de la vie du cinéaste mexicain. Et il va sans dire que Phantom of the Paradise est à ce titre pour lui un film incontournable.

Pour le reste et sans encore une fois avoir la prétention d’être exhaustif (on liste de toute façon en fin de ce papier la totalité des bonus en précisant leurs origines), on aimerait mettre en avant le fameux doc produit en son temps par feu l’éditeur Opening. Paradise regained que cela s’appelle toujours, avait réussi le tour de force de réunir tous les protagonistes principaux de l’époque. On retrouve ainsi Swan/Paul Willams, Phoenix/Jessica Harper, Phantom/William Finley, Beef/Gerrit Graham qui reviennent sur leurs personnages devenus cultes. Sans oublier De Palma himself, Paul Hirsch (le monteur attitré du réalisateur) ou Edward R. Pressman (producteur) qui ponctuent et complètent chaque intervention des comédiens. Découvert au temps du DVD proposé la première fois en 2006 pour une édition collector, il a depuis été repris par moult éditeurs de par le monde et reste donc encore aujourd’hui un doc de référence.

Phantom of the Paradise - Capture bonus Blu-ray

Les deux autres suppléments qui méritent ensuite que l’on s’y attardent sont d’une part l’interview de Brian De Palma produite par Shout Factory dont le tour de force est de n’être jamais redondante avec Paradise regained cité à l’instant et d’autre part un passionnant document produit par Arrow qui revient en détail sur les déboires subis par le film quand le label de musique Swan Song Records lancé par le groupe Led Zepplin a fait savoir à De Palma qu’il ne pouvait utiliser dans son film l’intitulé Swan Song (« le chant du cygne ») obligeant donc le cinéaste et son monteur à effacer le logo Swan Song de la pellicule déjà impressionnée. Et comme le montre le doc, ce fut un véritable casse-tête car il y en avait partout. On se dit qu’aujourd’hui avec le numérique…

On pourra aussi citer les scènes coupées ou alternatives comme celle fameuse qui montre l’entièreté de la séquence où le futur phantom se fait écraser en partie la tête dans la presse hydraulique ou encore une partie karaoké avec 6 chansons du film qui est pour le coup le seul bonus totalement inédit. Ce qui nous permet de glisser vers la partie sonore de cette édition en précisant d’emblée une amélioration attendue de tous les fans déçus par leur absence sur les précédentes éditions françaises (DVD et Blu-ray donc) à savoir la présence des sous-titres français sur l’intégralité des chansons.

Phantom of the Paradise - Capture bonus Blu-ray

Par contre la VF en DTS-HD MA 5.1 présente chez Opening a disparu au « profit » d’une unique source encodée en  DTS-HD MA mono 1.0. Par manque de place ? Autant chez Opening on pouvait regretter l’absence de la version mono, autant donc ici on oublie la version 5.1. Dans les deux cas, on est un peu frustré. Ce qui n’est pas le cas pour la VO qui propose les deux encodages (Opening ne proposait que la version 5.1). Niveau écoute, on se surprend à ne pas détester la VF. Bien au contraire. C’est pêchu avec des doublages d’époque brillants. D’ailleurs, en comparant la VO et la VF sur leur versant mono, la différence ne saute pas aux oreilles. Et quand on passe en 5.1, il nous faut même quelques secondes pour adhérer car on a d’abord l’impression que le tout est plus sourd. Mais très vite on se rend compte que l’on gagne en précision, en profondeur et surtout en chaleur que nous qualifierons d’organique (oui Monsieur !). Et bien entendu, c’est surtout sensible lors des passages musicaux.

L’image que propose Carlotta est celle déjà vue chez Arrow et Shout Factory à savoir donc issue d’un master restauré 2K par la Fox en 2013. Le gap avec celle d’Opening qui a l’époque était la référence est sans conteste. On gagne en effet ici en saturation et en contraste mais sans exagération. On a aussi la sensation d’un ensemble mieux défini avec un grain visible de temps à autre qui laisse à penser que Carlotta a géré la chose comme il le fallait. Enfin, l’étalonnage renforce les couleurs qui avaient un peu tendance chez Opening à être passées dans une essoreuse. Cela se ressent surtout au niveau des visages qui acquièrent du coup ici une tessiture très convaincante pour ne pas dire agréable / flatteuse.

Notes :

  • Image : 4/5
  • Son : 4/5
  • Bonus : 4,5/5

Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080

Coffret Ultra Collector Phantom of the ParadisePhantom of the Paradise Coffret Ultra Collector (Blu-ray / double DVD / Livre) – de Brian De Palma (USA – 1974) – Carlotta Films – Sortie le 12 avril 2017

Jeune compositeur inconnu, Winslow Leach profite de l’entracte qui suit le concert des Juicy Fruits, le groupe pop à la mode, pour jouer sa cantate Faust. Swan – le plus grand producteur de musique de tous les temps – l’entend et décide d’en faire sa musique pour l’inauguration du Paradise, son palais du rock. Pour parvenir à ses fins, il vole la partition de Leach et le fait jeter en prison. Mais ce dernier parvient à s’échapper et, après avoir été défiguré et perdu sa voix, est prêt à tout pour se venger…

Spécifications techniques Blu-ray :

  • Image : 1.85:1 encodée en AVC 1080/23.98p
  • Langues : Anglais DTS-HD Master Audio 2.0 mono et 5.1, Français DTS-HD Master Audio 1.0 mono
  • Sous-titres : Français
  • Durée : 1h 31min 36s
  • 1 BD-50

Bonus (en HD et en VOST sauf indication contraire) :

  • Présentation du film par Gerrit Graham (50s, VF) – Opening
  • Paradise Regained : documentaire rétrospectif sur le film (52min 19s) – Opening
  • Dans les coulisses du Paradise : Interview de Brian De Palma (33min 07s) – Shout Factory
  • Entretien de Paul Williams par Guillermo del Toro (1h 12min 20s) – Arrow
  • Le fiasco Swan Song : de « Swan Song Enterprises » à « Death Records », retour sur ce changement imprévu (11min 25s) – Arrow
  • Carte blanche à Rosanna Norton, costumière du film (9min 35s, 1080i) – Opening
  • Paradis perdu et retrouvé : six scènes coupées ou alternatives (13min 39s) – Arrow
  • Karaoké 6 chansons (19min 29s) : Goodbye Eddie, Goodbye / Faust / Special To Me / Phantom’s Theme/ Old Souls / The Hell of It
  • Fausse pub par William Finley (35s) – Opening
  • Spots radio (2min 26s) – Arrow
  • Bandes-annonces (3min 26s) – Opening

Dr Brian and Mr DePalma  : livre de 160 pages :

  • De Palma of the Paradise : entretien de De Palma par David Bartholomew (1975)
  • Bienvenue dans les années 70 par Luc Lagier (2008)
  • The System and I par Jean-Baptiste Thoret (2017)
  • Des chansons pour le Diable par Alexandre Poncet (2017)
  • Paroles des chansons
  • Histoire de la promotion du film par Ari Kahan
  • Revue de presse (de 1975 à 2014)
  • Galeries photos et reproduction de matériel promotionnel du film

2 réflexions sur « Phantom of the Paradise : L’Ultra Collector faustien »

  1. Petite précision : l’image du Carlotta n’est pas 100% identique à celle de l’édition Arrow ni de l’édition Shout!.
    Arrow a repris semble-t’il telle quelle le nouveau master FOX, tandis que Shout y a effectué quelques ajustement colorimétriques de son côté.
    Carlotta a fait comme Shout, pour un résultat là aussi légèrement différent, ce qui signifie qu’on a 1 nouveau master mais 3 colorimétries différentes.

  2. Merci mister pour cette précision. N’ayant pas eu sous la main ces deux éditions, je ne pouvais en effet que préciser que c’était le même master…

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