Le Fils de Saul

Le Fils de Saul : Requiem pour un massacre

László Nemes, jeune réalisateur hongrois de 38 ans et ancien assistant de Béla Tarr, réalise avec Le Fils de Saul un premier long qui fera tout simplement date. On aurait pu aussi sortir d’autres adjectifs tout aussi laudatifs du genre, film coup de poing, chef-d’œuvre instantané, film qui va marquer l’histoire du cinéma… Mais on sait que tout cela aujourd’hui ne fait plus vraiment sens au sein d’une critique et pis, aide de moins en moins le lecteur à se projeter dans une salle pour juger sur pièce. Et pourtant.

Le Fils de Saul - Affiche

Et pourtant, Le Fils de Saul est une expérience unique qui va bien au-delà du cinéma. On est ici dans quelque chose de véritablement nouveau et de profondément organique que la captation voulue en 35mm accentue d’ailleurs à l’évidence. En projection cela donne un scintillement et une instabilité que nos rétines n’ont plus l’habitude de compenser trop accoutumées à ce numérique parfait, froid et sans aspérités. Des ingrédients immédiatement visibles où les noirs profonds et intensément éclatants renvoient à la mort omniprésente, où la photo glauquissime au possible étreint jusqu’à donner l’impression de sentir les chairs qui brûlent.

Il y a aussi ce cadre en 1.33 focalisé quasi exclusivement sur un visage mais où la profondeur de champ n’est pas absente. Une gageure en soi. Ce visage c’est celui de Saul, Sonderkommando au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau. Nous sommes en octobre 1944 et l’extermination des juifs d’Europe est à son paroxysme. Saul est juif. Il a été choisi par les SS pour accompagner les convois jusqu’aux chambres à gaz. Saul sait qu’il va bientôt mourir lui aussi car les SS ne veulent aucun témoin et pour ce faire s’assurent que les Sonderkommando soient éliminés au bout de trois ou quatre mois.

Le visage de Saul n’exprime rien. La caméra scrute pourtant jusqu’à son âme. De contrechamps visuels il n’y a point. Il est en fait sonore. On entend les cris, les pleurs, les mouvements de foule. On ressent littéralement le vent de panique qui étreint ceux qui viennent de descendre du train. Il faut pourtant se dépêcher de se déshabiller sous les vociférations des SS, des chiens mais aussi des Sonderkommandos pour prendre la douche car un autre train arrive déjà. Une fois les portes fermées, les cris se transforment en suppliques, en râles et puis c’est le silence progressif. Ô pas longtemps car il faut vite dégager les corps et tout nettoyer pour la prochaine « fournée » tout en trillant les vêtements à la recherche des dernières traces de richesses matérielles.

Ces vingt premières minutes sont physiquement éprouvantes. On ne voit quasiment rien mais on entend tout donc et l’inexpressivité quasi monolithique de Saul rajoute à ce sentiment d’être aux abois émotionnels. Rien ni personne vers qui se tourner ou se projeter. Jusqu’à ce que Saul croit reconnaître dans les traits d’un enfant qui vient d’être gazé et qui a miraculeusement survécu quelques minutes, son fils. Les pupilles s’éclairent enfin mais d’un éclat qui deviendra vite obsessionnel. Saul veut absolument lui prodiguer une sépulture décente avec un enterrement religieux. Une véritable folie mais qui va lui permettre de se raccrocher aux derniers oripeaux d’une humanité écrabouillée au fin fond des fours crématoires qui marchent 24h sur 24.

C’est tout l’enjeu de la narration, c’est toute la portée d’un film que la suite va d’ailleurs donner raison. Comme Saul, on se surprend à accepter cet environnement jusqu’au-boutiste mortifère et ses règles tout droit sortis de cerveaux déments. Et c’est alors que László Nemes décide d’élargir notre champ de vision. Attention, pas à la façon roublarde, artificielle et finalement répugnante d’un Xavier Dolan dans Mommy. Non, plutôt comme s’il nous faisait maintenant confiance en partant du principe que nous étions prêts mais sans pour autant céder à un voyeurisme qui aurait tout foutu par terre. On reste en 1.33 mais la caméra s’autorise dès lors des mouvements moins spartiates, le montage est moins sec mais bien souvent inexistant pour laisser libre cours à des plans-séquences jamais intrusifs ou poseurs. Tout coule de source, tout est justifié et tout est au service d’une tragédie qui ne laisse pas beaucoup d’espoir quant à notre humanité gangrénée par des racines du mal toujours prêtes à exploser.

Le Fils de Saul est un film important, nécessaire même. Il est une démonstration implacable à tous les niveaux de lecture. Il ne laisse aucun échappatoire en ce sens qu’il nous guide en nous prenant la main de force et en nous assénant que oui la représentativité fictionnelle ou non de la Shoah n’est plus une question d’actualité. Elle est dorénavant enstérée avec Saul et ses amis qui ont voulus s’évader. On ne voit que Requiem pour un massacre d’Elem Klimov qui puisse le regarder dans les yeux formant dès lors un diptyque improbable mais définitif.

Le Fils de Saul de László Nemes – 4 novembre 2015 (Ad Vitam)

Sélection Officielle en Compétition au Festival de Cannes 2015
Grand Prix au Festival de Cannes 2015

RésuméOctobre 1944, Auschwitz-Birkenau.
Saul Auslander est membre du Sonderkommando, ce groupe de prisonniers juifs isolé du reste du camp et forcé d’assister les nazis dans leur plan d’extermination.
Il travaille dans l’un des crématoriums quand il découvre le cadavre d’un garçon dans les traits duquel il reconnaît son fils.
Alors que le Sonderkommando prépare une révolte, il décide d’accomplir l’impossible : sauver le corps de l’enfant des flammes et lui offrir une véritable sépulture.

Note : 4,5/5

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