Le Ruban blanc - Image Une Critique

Le Ruban Blanc : Chronique de la peste brune annoncée

La Palme d’or 2009 fut pour le moins contestée et provoqua la polémique. De par sa Présidente du jury d’abord, qui n’était autre qu’Isabelle Huppert, grande amie à la ville du cinéaste autrichien, mais aussi de par le traitement de son sujet. Soit le contrepoint radical de ce qui se filmait et se discutait dans les années 2000 en Allemagne à propos du nazisme et surtout à propos de la culpabilité du peuple allemand face au nazisme… La question centrale demeurant : faut-il mettre tout le monde dans le même bateau ou juste pointer du doigt les plus coupables et diluer ainsi les responsabilités ? Au risque d’accoucher de générations déresponsabilisées, mutantes qui finissent par oublier les leçons de leur propre histoire (voir pour cela l’édifiant documentaire Europe, ascenseur pour les fachos).

Le Ruban blanc - Affiche

Depuis, le cinéma allemand semble vouloir rectifier le tir avec des films certes un peu académiques mais qui vont à n’en pas douter dans le bon sens comme Elser, Un Héros ordinaire (2015) de Oliver Hirschbiegel (l’Allemagne, à quelques rares exceptions près, ne lutta pas contre le Nazisme) ou Le Labyrinthe du silence (2015) de Giulio Ricciarelli (le travail essentiel effectué par la justice allemande pour amener certains criminels devant les tribunaux sans jamais écarter la responsabilité globale du peuple allemand). On pense aussi à Hanna Arendt (2013) de Margarethe von Trotta qui comme on le sait fut une philosophe allemande qui introduisit le concept de la  « banalité du mal ». Oliver Hirschbiegel  justement, avait initié le contre-pied de la thèse ambiante de l’époque avec La Chute (2004) dont Le Ruban blanc de Michael Haneke pourrait, avec le recul, être une sorte de préquelle. C’est que 2h30 durant, voici un film qui nous narre ce que l’on pourrait appeler l’école de la haine ordinaire façonnant toute une génération qui dans les années 30 et 40 fut celle qui dirigea les destinées du pays. Le Ruban blanc se déroule en effet à la veille de la première guerre mondiale dans un petit village protestant de l’Allemagne du Nord. Surviennent très rapidement différents accidents qui s’apparentent progressivement à des rituels diaboliquement prémédités. En pointant ainsi du doigt cette violence sourde et archaïque directement conséquente d’une éducation stricte impliquant châtiments corporels, frustrations quotidiennes et vexations morales auprès d’une jeunesse qui n’en demandait pas tant, Haneke met en évidence ce qu’il considère être les mécanismes qui mèneront au fascisme ordinaire. De celles qui ne peuvent se diluer au prétexte d’une chaîne de commandement à laquelle on ne pourrait se soustraire.

Et il faut bien avouer que la démonstration fait sens et reste plus que jamais aujourd’hui implacable d’autant, et c’est là sa force ultime, qu’au final cela parle de toutes les idéologies fascistes et terroristes (suivez mon regard). Haneke use pour cela d’une mise en scène faite d’une photo en N&B (ou plutôt en gris et blanc) qui cadre parfaitement avec son sujet intemporel. Ses acteurs font tous froids dans le dos à commencer par les enfants qui rappellent immanquablement Le Village des damnés (1960) de Wolf Rilla. Haneke filme sans concession et comme à son habitude des plans souvent immobiles laissant se développer l’action un peu à son insu et à la manière d’une caméra de surveillance (qui à dit Caché ?). Un décalage qui renforce une violence déclinée en off accentuant il va sans dire son implacabilité.

C’est franchement brillant et renforcé par cette impression que l’on a de voir au détour de certains plans du Dreyer dont Ordet nous vient immédiatement à l’esprit de par son traitement formel mais aussi de par le message véhiculé (la parole de l’homme parvient-elle à Dieu et Dieu lui répond-il ?). Alors bien entendu certains pourront trouver cela alambiqué, tiré par les cheveux, peu convaincant voire aussi inutilement provocant. Mais pour peu que l’on prenne la peine de s’impliquer avec l’ouverture d’esprit qui va avec, Le Ruban blanc déroule alors un concentré virtuose de cinéma et d’histoire qui n’aura de cesse de susciter réflexions et âpres discussions. Essentiel donc !

Le Ruban blanc (2009) de Michael Haneke – 2h24 (Les Films du Losange) – 21 octobre 2009

Résumé : Un village protestant de l’Allemagne du Nord à la veille de la Première Guerre mondiale (1913/1914). L’histoire d’enfants et d’adolescents d’une chorale dirigée par l’instituteur du village et celle de leurs familles : le baron, le régisseur du domaine, le pasteur, le médecin, la sage-femme, les paysans… D’étranges accidents surviennent et prennent peu à peu le caractère d’un rituel punitif. Qui se cache derrière tout cela ?

Note : 4,5/5

 

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