Have a Nice Day [Cannes 2017 – Marché du film]

Bien qu’on le connaisse peu, le cinéma d’animation chinois possède une longue tradition dans le court ou le long-métrage avec dessin-animés, films au lavis ou marionnettes. Et il fût très clairement l’une des formes artistiques les plus intéressantes du pays des années 1950 aux années 1980. Mais depuis une vingtaine d’années, la production change. Le long s’est développé et la 3D insipide aussi. Le gouvernement, préférant le volume à la qualité, a fait produire en masse des choses informes qui, heureusement, ne sortent pas chez nous. Le meilleur du court-métrage est, quant à lui, devenu l’apanage d’artistes plasticiens dont l’animation n’est qu’une des multiples facettes.

Have a nice day - Affiche

Cependant, quelques auteurs résistent et osent produire dans le long une animation indépendante qui ne ressemble guère à la production courante. C’est le cas de Jian Liu qui, comme les auteurs de courts, vient d’une école des Beaux-arts. Ses films, Piercing I en tête, sont ancrés dans une réalité sociale et tournés en dehors du système. De là à le considérer comme un Jia Zhangke de l’animation, il n’y a qu’un pas qu’on osera franchir, même si habituellement il est plutôt comparé à Tarantino – raccourci un peu rapide. Grâce à Memento, qui devrait le sortir en salles prochainement, nous avons pu voir son nouvel opus, le bien nommé Have a Nice Day. Et quelle journée !

Pour résumer, c’est l’histoire d’un sac volé, et revolé, et rerevolé et de sa recherche sans queue ni tête, le tout proposé en plusieurs chapitres. La conception du film, réalisé avec une équipe minimale, repose sur un principe d’animation très limitée qui lui sied bien. On est plus proche des 4 images par seconde que des 24, plus proche de la mortification que du sempiternel et lassant vitalisme, cette fluidité que trop de spectateurs demandent, sans trop savoir pourquoi, comme un présupposé gage de réussite. Ici, presque rien ne bouge sinon quelques détails dans le paysage : une volute de fumée, un animal surprenant, quelques variations de lumière, un personnage. Et c’est là que réside l’intérêt car pourquoi faire beau alors que tout ce qu’il montre est laid ?

Ceci est figuré par des plans presque fixes et descriptifs qui donnent à voir et à imaginer une certaine idée de la modernité péri-urbaine de la Chine contemporaine. Ce mouvement manquant, saccadé sert d’autant mieux le propos qu’on se rend compte que ce qui circule le mieux dans ce pays, c’est le protagoniste indirect du film : le sac rempli de billets. Le reste, humains désœuvrés, mafieux et pourris en tout genre, inventeurs minables et individus sans passé ou avenir, n’est que décor. Une photographie dessinée d’un monde où tout n’est que corruption et violence poussée jusqu’à l’absurde. De manière amusante, la seule image réelle est celle de la mer, rêve d’un des personnages évanoui, et elle est filmée dans un ralenti plutôt saccadé. Plus rien ne peut désormais être beau, même les pensées les plus douces.

Absurde est peut-être le mot adéquat. La circularité du film, son graphisme moche autant que décapant et son animation flemmarde ajoutent une strate supplémentaire au comique général, sombre et nihiliste. En cela, Have a Nice Day se rapproche quelque peu des premières œuvres du coréen Yeon Sang-ho, même s’il possède son style propre. Le film joue par exemple davantage sur les aspects surréalistes pour faire apparaitre une réalité du monde, celle des caniveaux et de la pauvreté, celle de la marge. On ne suit que des personnages ridicules, repliés sur leur apparence et leur incapacité à se détacher de l’argent sans quitter cette image du monde globalement triste, lucide et mélancolique. D’une certaine façon, l’animation sert à panser les aberrations comiques pour faire surgir une logique différente, comme si le réalisme et la représentation de la société chinoise étaient plus acceptables avec un peu de magie (noire), des décors singuliers et des chansons d’un kitsch absolu – que Zhangke ne renierait probablement pas non plus.

Au moins, on est sûr d’une chose, notre journée sera toujours meilleure que la leur !

Have a Nice Day (Hao ji le – 2017) de Liu Jian – 1h15 (Rouge Distribution) – 20 juin 2018

Résumé : Un chauffeur vole un million de dollars à son patron pour corriger la chirurgie esthétique ratée de sa compagne. Mais il se retrouve avec un tueur à gages, un gangster et un braqueur à ses trousses.

Note : 4/5

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