Wonderstruck (Le Musée des merveilles) - Image une Cannes 2017

Cannes 2017 : Jour 2 – Todd Haynes et les autres

Après l’ouverture officielle mercredi, voilà donc le premier jour de la compétition officielle. Pour les véritables débuts cannois, avec l’ouverture des sections parallèles, nous avons pu voir cinq films dans cinq sélections différentes. Et nos yeux rendent déjà l’âme. Quoiqu’au vu de la production courante que l’on dévore à longueur d’années, cela fait un bail que nos rétines se sont fait la malle… Heureusement, alors que les plus matinaux se rendaient aux premières projections du film de Todd Haynes dès 8h30, on profitait de la plage de la Semaine de la critique pour boire un café bercé par le son des vagues. Comme quoi Cannes, ce ne sont pas que ses fêtes et ses films mais aussi ses moments de quiétude. Mais ils risquent de se faire de plus en plus rares tant la course à l’échalote de cette première véritable journée fut intense.

Wonderstruck - Affiche US

Quant à Wonderstruck (Le Musée des merveilles), on l’a tout de même vu un peu plus tard dans une salle loin d’être comble alors qu’il ne bénéficiait que de deux projections. Haynes n’a plus la côte ? La croisette s’est trompée de semaine ? Les vigiles font si bien leur travail qu’il devient impossible de rentrer à l’heure ? Le mystère reste entier. De toute façon le film n’a pas pleinement convaincu.

Il faut dire que l’on en attendait beaucoup, peut-être trop, puisque Haynes était avec Zviaginstev notre favori quand la sélection fut dévoilée. Connu pour ses hommages aux mélos flamboyants et à un certain âge d’or Hollywoodien, tout comme pour son œuvre cinématographique liée à la musique, il offre avec Wonderstruck une jolie variation sur ses précédents travaux. Mais on quitte ses fétiches années 50 pour se réfugier en 1927, avec sa transition vers le cinéma sonore, et 1977, soit l’époque du Nouvel Hollywood. De même, si le film est très (trop !) musical, c’est pour mieux traiter la question de la surdité, d’où l’appel au cinéma muet. Surtout, il se dirige vers une voie enfantine qui ne lui convient peut-être pas en adaptant un ouvrage de Brian Selznick, l’auteur d’Hugo Cabret.

En gros, on suit un pré-ado dont la mère vient de mourir qui part à la recherche de son père. En parallèle, on croise le destin d’une petite fille sourde. Et c’est ce récit qui convient le moins. Faussement initiatique, on en devine assez aisément les grosses ficelles et son final, plutôt abrupte, cherche le maximum de magie pour éviter de répondre à la moitié des questions qu’on se pose et tendre vers un côté mielleux. Dur de reconnaitre Haynes. Cependant, c’est dans la forme qu’on le retrouve et c’est sur cette dimension qu’il faudra se concentrer. On apprécie le rythme pas évident des dialogues impossibles entre des personnages, sourd et muet, simplement malentendant, ou devant écrire pour se faire comprendre. On retrouve surtout le travail merveilleux d’Ed Lachman sur les lumières et les couleurs, ajouté à un côté artisanal appréciable notamment dans les cauchemars et ces maquettes qui renvoient à un autre âge au cinéma. Les acteurs sont par ailleurs excellents au point de regretter que Michelle Williams et Julianne Moore n’aient que des rôles secondaires. Du coup, on ne peut que déplorer ce scénario un peu bâclé, d’autant que le cinéaste américain nous avait vraiment habitué à mieux.

Sicilian Ghost Story - Affiche italienne

Après ce film autour de la surdité, on a failli expérimenter nous-même le handicap en se rendant à l’ouverture de la Semaine de la critique. Le son dans la salle était si fort que dès qu’un chien aboyait ou qu’un des personnages écoutait de la musique, on perdait plusieurs points d’audition. Et le film ? Là aussi on ressort mitigé de cette Sicilian Ghost Story signée Fabio Grassadonia & Antonio Piazza. Si Haynes est un formaliste, alors les deux italiens sont de purs maniéristes. Et c’est de là encore que viennent les qualités d’une œuvre partagée entre le fantastique, le film de mafieux, la romance et le teen movie. En suivant, deux ados amoureux dont l’un se fait kidnapper, les deux réalisateurs construisent une sorte de poème naïf lent mais beau, qui part régulièrement dans des errements proches de l’abstraction pour mieux revenir à un réel toujours transformé par le regard de la jeune fille. Beaucoup décrocheront probablement rapidement mais on a été happé par ces plans fous, aux perspectives défigurées et dépravées, par le côté baroque de l’ensemble, les couleurs magnifiques, les décors déments, ces moments de paradis où les deux jeunes se retrouvent, toujours comme en un rêve et la puissance (ou la folie) des ados dont l’amour fusionnel, naïf et innocent rappelle Peter Ibbetsen par moment. En plus sombre et violent. Le film d’Henry Hattaway était l’un des préférés des surréalistes. Nul doute que pour construire pareil récit, les deux réalisateurs italiens sont allés lorgner vers ce mouvement. Dommage que le scénario croule parfois sous les mêmes artifices qui font sa beauté et que la fin, très longue, finit par lasser.

Western - Cannes 2017Meinhard Neumann dans Western de Valeska Grisebach

On s’est ensuite précipité vers la salle Debussy qui nous avait tant manqué ! Pour ceux qui ne sont jamais venus au festival, cette salle est celle des « petites marches ». Elle ne fait que 1000 places – une broutille – et accueille surtout les films d’Un certain regard. Et c’est clairement la meilleure d’un point de vue acoustique, visuel et pour le confort pendant la projection. C’est aussi une des grandes raisons qui nous feront toujours pencher vers cette sélection plutôt que vers l’officielle si on hésite entre les deux. Ce soir on a pu voir Western de Valeska Grisebach, une réalisatrice allemande qu’on avait perdue de vue depuis une décennie environ et qui était l’un des grands espoirs de cette nouvelle vague germanique qu’on voyait poindre au début des années 2000. Son nouveau long-métrage est coproduit par Maren Ade, ce qui peut expliquer la passion de Grisebach pour la Bulgarie !

Le résultat est convenable. Nul western malgré le titre, juste un homme seul, peu disert, allemand, en Bulgarie, sur un chantier non loin d’un village. Et une caméra le suit, aller et venir, cherchant à s’intégrer à un nouvel espace, désireux de trouver un semblant de famille et un chez soi malgré la barrière de la langue et la différence de culture. Si chez Zviagintsev les individus parlent la même langue sans communiquer, ici c’est l’inverse : ils cherchent à se comprendre sans pour autant posséder le même bagage linguistique (jusqu’à l’alphabet puisque la Bulgarie utilise le cyrillique). Idem pour la forme, beaucoup plus simple et brute chez la cinéaste allemande qui épouse le réalisme des situations sans jamais chercher à amplifier le caractère quotidien et anodin des situations. Beaucoup pourront aimer cet excès de réel, nous on l’oubliera probablement vite.

Heureusement, deux films ont amélioré la journée. D’une part, celui qui a ouvert l’ACID : Avant la fin de l’été de Maryam Goormaghtigh. Mais par manque de temps et parce qu’il mérite davantage qu’un paragraphe, nous y reviendrons demain. Puis Have a nice day, un film d’animation chinois insolite et décapant découvert au Marché grâce au distributeur français Memento qui en gère par ailleurs les ventes à l’international et qui était en sélection officielle à Berlin. La critique ici.

Demain, ce sera probablement Netflix et la Hongrie à l’honneur avec peut-être un détour par l’Iran et de l’animation japonaise très attendue au marché du film.

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