Affiche Quinzaine - Cannes 2015

La quinzaine des réalisateurs au Forum des images : rattrapage Cannes 2015

Le festival de Cannes 2015 est terminé mais les films des différentes sélections parcourent les reprises et les festivals. Le Forum des images accueillait 10 jours durant tous les films de la Quinzaine des réalisateurs à l’exception du Desplechin, Trois souvenirs de ma jeunesse, déjà sorti en salles et dont on vous en parlait ici.

Nous n’avions pu, au cours notre périple cannois, voir qu’un seul film de cette sélection : Fatima de Philippe Faucon qui nous avait bien tapé dans l’œil. C’était donc le moment d’un petit rattrapage. D’abord une déception qui nous est propre : on voulait voir Le Tout nouveau testament de Jaco Van Dormael mais nous n’avons réussi qu’à le manquer cinq fois au total… Il devient donc le film maudit de l’année. Avec un peu de chance on en reparlera d’ici quelques mois (en fait avant la fin du mois car les projos de presse viennent de tomber  ! NDLR)

On aura quand même réussi à rattraper quatre films. Parmi eux, deux œuvres primées : le colombien El Abrazo de la serpiente de Ciro Guerra et le franco-turque Mustang de Deniz Gamze Ergüven. Mais aussi Green Room de Jeremy Saulnier, qui avait provoqué une petite sensation l’année passée avec son premier long, Blue ruin et Peace to us in our dreams de Sharunas Bartas, cinéaste lituanien réputé pour ses films mélancoliques et contemplatifs.

El Abrazo de la serpiente - Quinzaine Cannes 2015© Andrés Córdoba

Après l’Argentine, c’est la Colombie qui semble avoir le vent en poupe en Amérique du sud côté cinéma. La production se bonifie et surtout les films commencent à sortir des frontières pour apparaître dans les divers festivals et dans nos salles. À l’image du vainqueur de la caméra d’or 2015, La Tierra y la sombra de César Augusto Acevedo, El Abrazo de la serpiente a marqué les esprits de la Quinzaine pour en repartir avec le grand prix. Avec ce troisième opus, Ciro Guerra s’éloigne de la politique et fait un détour vers le poétique pour pénétrer la jungle amazonienne et s’aventurer dans un périple étrange, à la recherche d’une plante supposée guérir et d’un aventurier mystérieusement disparu et mort une cinquantaine d’années auparavant. Le film est très librement inspiré de journaux de voyages de deux explorateurs, ethnologues et botanistes du 19ème et 20ème siècle mais il est très loin du documentaire et du biopic. Il se situe davantage entre la fiction contemplative et l’essai magique. Tourné entièrement en noir et blanc, le film repose autant sur la beauté des décors naturels que sur la confrontation des cultures occidentales et amérindiennes et sur les rencontres quasiment surréalistes faites par les protagonistes tout au long du film. Dans ce monde où les shamans étaient rois et se meurent, ainsi que toute trace de civilisation ancienne, l’absence de couleurs apporte un mystère supplémentaire comme si nous étions à la fois dans le monde réel et déjà dans une sorte de rêve fantasmé d’une Amazonie qui n’existerait plus vraiment. Une Amazonie en partie colonisée et détruite où s’entrechoquent près d’une dizaine de langues et dialectes en perdition.

Affiche France - Mustang

Mustang nous emmène dans un autre périple, totalement différent. Il s’agit d’un premier long réalisé par une jeune femme turque qui a fait ses études entre l’Afrique du sud et la Femis. Guère étonnant qu’elle ait été rejointe au scénario par Alice Winocour qui sort de la même école et voyait, quant à elle, son deuxième film projeté à Un certain regard (Maryland). On navigue ici entre la tradition encore présente en Turquie du mariage arrangé pour les adolescentes et une atmosphère proche de films comme Virgin Suicides de Sofia Coppola, voire Pique-nique à Hanging Rock de Peter Weir qui en était un peu la matrice. De disparition ici, il en est d’ailleurs question de manière aussi symbolique que littérale : désir de fuite, disparition de l’innocence, de la jeunesse et de la vie. On suit le parcours de cinq sœurs de 12 à 16 ans qui, suite à un quiproquo, vont devoir être mariées de force les unes après les autres. Le grand intérêt du film est de ne pas entrer dans le glauque réaliste habituel et de réussir à obtenir un juste milieu entre le Teen movie et la critique de traditions quasi esclavagiste. Dès le début, dès les premières images, les lumières orangées et douces, les corps trempés dans la mer, le sable fin et la fin de l’école, la caméra qui virevolte comme entraînée par les sœurs et leurs amis, laissent penser à un rêve qui va s’écrouler.

Cover Dossier de presse - Peace to Us in Our Dreams

On bifurque quelque peu maintenant pour arriver en Lituanie et voir quelque chose de totalement différent, bien plus épuré, pratiquement une élégie. Avec Peace to Us in Our Dreams on entre dans une galerie de tableaux. À la sortie de la séance, certaines voix s’élevaient pour dire à quel point le film avait pu paraître long et ennuyeux. Mais voir un Sharunas Bartas, ce n’est pas voir Transformers. C’est là son huitième long métrage et on retrouve ce qui faisait la beauté de ses précédents films : un ton mélancolique sans être plaintif, un rythme lancinant qui laisse le temps aux lumières de pénétrer les visages pour leur apporter une nouvelle aura, une histoire qui n’en est plus vraiment une et qui se concentre sur la difficulté qu’on les protagonistes de communiquer et d’être ensemble et surtout une nature belle à vouloir s’y plonger et ne plus en revenir. Bartas est celui qui avait révélé Katerina Golubeva dès son premier long en 1991, Trois jours. Sa beauté a ensuite transcendé un moment le cinéma français, notamment dans Pola X de Léos Carax, avant qu’elle ne décède prématurément en 2011. Elle apparaît furtivement dans Peace to us in our dreams au détour de photographies et d’un film super-8, « interprétant » (elle est au générique) la mère disparue de l’adolescente héroïne du film. Pourtant il ne s’agit pas ici d’un hommage, c’est davantage un film sur un fantôme qui jamais n’apparaît ni ne disparaît, qui hante chaque plan et qu’on devine parfois. Un homme remarié après le décès de sa femme, emmène sa fille et sa nouvelle compagne, violoniste, à la campagne pendant quelques jours et on les suit, eux et leur entourage : voilà le point de départ. Tout le reste se situe dans ces longs plans reposants, dans la musique fragile et dans les images des visages, beaux même quand ils sont laids, photogéniques et statiques, et dont on devine pourtant, par les jeux d’ombres et de lumières, toutes les émotions qu’ils contiennent, voilés par un moment d’obscurité ou révélés par le soleil. Tout ici se joue dans l’intime, la perte de temps et une certaine poésie inhérente au monde. Ceux qui ne cherchent que de l’action risquent donc de s’ennuyer, les autres vont se plonger dans un univers proche du nôtre mais si différent, comme un autre quotidien que seul le cinéma nous ferait percevoir. Les personnages sont presque muets pendant un long moment et il est étonnant de les voir se mettre à parler, et d’entendre sortir de la bouche de l’homme au corps robuste et massif tout un flot de paroles philosophiques sur le désespoir et la vacuité dont est empli le monde.

Green Room - Quinzaine Cannes 2015

À l’opposé, arrive Green Room de Jeremy Saulnier. Autant le dire tout de suite, on avait apprécié ses talents de metteur en scène dans Blue ruin mais on s’était quand même un peu ennuyé. C’était juste un type qui voulait se venger et qui finissait par tirer partout dans une maison pour se débarrasser d’une armada d’imbéciles armés. Avec Green Room, on n’en est pas très loin : une variation sur un même thème. Suite à un problème, un groupe de rock se retrouve dans une maison et une bande de skinhead veut les tuer. Le cinéaste alterne moments plus lents et rythme effréné, c’est réussi mais dès que les acteurs parlent, on se demande pourquoi il n’a pas encore davantage épuré le scénario tellement c’est creux. Finalement, on en ressort avec l’impression de ne pas avoir vu grand chose sauf une tuerie avec quelques moments sanguinolents. Les amateurs du genre peuvent s’y précipiter, ceux qui ont peur du déjà-vu devraient éviter.

Merci à Diana-Odile Lestage

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