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’71 : Behind Enemy Lines

Si le nom de Yann Demange ne vous dit rien, c’est normal. Mais si l’on cite Dead Set, là on est persuadé que la pupille de quelques uns prendra vie. Pour les autres, Dead Set fut la petite surprise de l’année 2008 en provenance de la perfide Albion. Une mini série de cinq épisodes diffusées sur Channel 4 qui narrait avec délice la fin d’une humanité en proie à une attaque zombies vue par le prisme des occupants d’une émission de téléréalité,  la fameuse Big Brother, qui pour le coup se retrouvaient pris au piège et coupés du monde extérieur. Il s’agissait là d’une forme de critique sociale réjouissante qui savait dans le même temps jouer parfaitement avec les codes du genre. Derrière la caméra on trouvait donc le français de souche Yann Demange élevé depuis son enfance en Angleterre et dont c’est ici le premier long on ne peut plus prometteur.

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Étonnant au demeurant de se dire que c’est un franco-algérien né en 1977 qui réalise ce film se déroulant en 1971 aux origines du conflit en Irlande du Nord opposant Unionistes (en majorité des Protestants) et Nationalistes (Catholiques) avec entre les deux l’armée britannique venue séparer les deux communautés pour le succès tout relatif que l’on sait. ’71 raconte justement l’histoire d’un soldat anglais qui, plongé dans un conflit qui le dépasse, se retrouve séparé de son unité lors de sa première « sortie » de maintien de l’ordre. Le voici donc perdu derrière les lignes ennemies où la guérilla et les coups tordus politiques sont le quotidien oppressant, et où personne n’est ni blanc ni noir mais d’un gris crasseux uniquement motivé par la survie. C’est d’ailleurs le premier enjeu de ce film remarquable. Celui de ne pas mourir et de lutter sans cesse en milieu hostile. En cela ’71 fait penser à un « survival » tout ce qu’il y a de plus badass rappelant l’excellent et au hasard La chute du faucon noir de Ridley Scott.

Le deuxième enjeu était semble-t-il de ne pas ancrer totalement le film sur un conflit dont peu de personnes en maîtrisent ne serait-ce que les enjeux historiques, mais bien d’en universaliser le propos en affirmant par l’image et la mise en scène que ’71 parle aussi de la situation de l’Irak ou de la Syrie d’aujourd’hui. Pour cela Demange ne se prive pas de plonger au cœur de l’action, au plus près des visages et des corps dont l’un des points d’orgue est cette éprouvante course-poursuite dans les rues de Belfast captée par une caméra à l’épaule sans esbroufe mais intrusive, toujours au service du propos mais jamais omnisciente. Le spectateur est du coup un peu livré à lui-même tout comme notre soldat qui tel Snake Plissken de New-York 1997 doit trouver la sortie de la ville devenue une prison labyrinthique à ciel ouvert.

Le troisième enjeu est de faire cohabiter consciemment ou non film de genre et film d’auteur. Le thriller mâtiné de film d’aventures avec une réflexion très poussée sur le personnage principal un peu paumé et uniquement guidé par un instinct de survie inébranlable. En cela le choix de l’acteur Jack O’Connell est tout bonnement parfait. Son visage tout droit sorti de l’enfance se durcit au fur et à mesure que le film avance sans que pour autant on ne perde de vue sa vulnérabilité évanescente du début. Une caractérisation qui n’a certes rien d’original compte tenu de l’arc narratif choisi mais qui demeure tout du long habile et suffisamment subtile pour en sortir aussi éprouvé que lui.

’71 c’est donc un peu cela. Un film aux enjeux très forts et aux références de cinéma évidentes qui sont pourtant très vite mis de côté pour laisser la place à quelque chose de plus précieux, fragile et traumatisant. Un équilibre passionnant que Demange parvient à maintenir jusqu’au bout grâce aussi à la sobriété fantasque d’une mise en scène inspirée et peu en phase avec le tout venant cinématographique d’aujourd’hui. Un réalisateur à suivre forcément.

’71 de Yann Demange – 05 novembre 2014 (Ad Vitam)

RésuméBelfast, 1971. Tandis que le conflit dégénère en guerre civile, Gary, jeune recrue anglaise, est envoyé sur le front. La ville est dans une situation confuse, divisée entre protestants et catholiques. Lors d’une patrouille dans un quartier en résistance, son unité est prise en embuscade. Gary se retrouve seul, pris au piège en territoire ennemi. Il va devoir se battre jusqu’au bout pour essayer de revenir sain et sauf à sa base.

Note : 4/5

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