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A Most Violent Year : American Bluff

On avait laissé le cinéaste J. C. Chandor perdu en mer avec un Robert Redford à l’agonie dans un plan final ambigu. Si l’absence de dialogues comme méta-moteur quasi obsessionnel finissait par scléroser quelque peu un All is Lost qui n’avait ni la puissance évocatrice et encore moins l’implacabilité de Margin Call, il n’en demeurait pas moins une œuvre troublante qui reposait habilement sur les épaules très larges de Redford. A Most Violent Year semble poursuivre dans la même veine narrative et donc thématique : une crise violente met ses personnages face à leurs responsabilités et exposent leur humanité. Mais ce qui passait pour des paris osés de mise en abîme se transforment ici en des tics de mise en scène rédhibitoires.

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À commencer par cette photo esthétisante censée refléter le New-York en déclin du début des années 80. L’étalonnage tire vers un jaune pisseux, les contrastes sont aux abonnés absents, les scènes de jour sont diaphanes et la colorimétrie se veut délavée. On est là très loin de la représentation âpre et décrépite de cette époque héritée de Taxi Driver ou French Connection. Chercher à prendre à rebours les « clichés » d’une époque filmée et véhiculée par ses contemporains est une chose, mais vouloir les idéaliser comme seul moyen de jouer avec les codes du film de gangsters en est une autre qui ne peut mener qu’à une impasse thématique et scénaristique. La toute première séquence du film en est d’ailleurs l’illustration patente.

Un homme cadré de face et de dos à la steadicam fait son footing matinal dans un paysage quasi lunaire où les usines désaffectées se disputent à la neige qui a du mal à cacher la misère. On ne distingue pas son visage. Il est une ombre qui court alors que dans le même temps des camions-citernes se dirigent vers l’Hudson River pour chercher leur fioul. Un montage alterné dans la plus pure tradition du cinéma des 70’s censé introduire les « protagonistes » avec déjà en point de mire un destin qui s’inscrit en pointillé. Sauf qu’il n’en est rien. Voilà une séquence qui n’a pour seule vocation que de faire de la « belle » image sans que celle-ci amorce ou désamorce quoi que ce soit à venir. C’est comme si J. C. Chandor voulait incarner plus que jamais sa mise en scène mais qui pour le coup se fait au détriment du reste.

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Comme cette histoire qui ne tient pas la route un seul instant car trop occupé à vouloir la travestir et à prendre le spectateur à contre-pied. Encore aurait-il fallu donner de l’épaisseur à son intrigue et à ses personnages. Le plus emblématique étant celui du procureur, le fameux District Attorney de New-York si chère à Sidney Lumet, dont on ne comprend jamais les motivations si ce n’est à la toute fin lors d’un dialogue qui confine au ridicule tellement la crédibilité de la chose est proche du néant. Quant au couple sous les feux de la rampe (Oscar Isaac vu dernièrement dans Inside Llewyn Davis et Jessica Chastain à l’abattage indéniable) et propriétaire de cette entreprise de fioul dont le chiffre d’affaire exponentiel fait de l’ombre à tout le monde, il leur manque l’étincelle de vie pour laquelle on veut bien y croire.

A Most Violent Year est un film violemment désincarné et profondément assumé ainsi. Il confirme la démarche du cinéaste à systématiquement vouloir tuer le père tout en manquant ici de solides références. Il se veut la relecture d’une époque traitée à la façon d’un documentaire fantasmé quand il n’était question jusqu’ici que d’imprimer la légende. Un peu comme si on avait voulu violer Scarface mais juste avec l’annulaire. La tentative n’est pas nouvelle (on pense à American Bluff, l’autre déception de l’année) mais elle ne peut marcher que si les codes du genre que l’on veut aborder et/ou détourner ont bien été assimilés. Ce qui à l’évidence ici n’est pas le cas.

A Most Violent Year de J. C. Chandor – 31 décembre 2014 (Studio Canal)

New York – 1981. L’année la plus violente qu’ait connu la ville. Le destin d’un immigré qui tente de se faire une place dans le business du pétrole. Son ambition se heurte à la corruption, la violence galopante et à la dépravation de l’époque qui menacent de détruire tout ce que lui et sa famille ont construit.

Note : 2/5

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