Petit Prince - Image de Une Digital Ciné

À propos de la version animée du Petit Prince…

On pourrait dire facilement tout le mal que l’on pense du Petit Prince de Mark Osborne, qui n’a de Petit Prince que le titre tant le film est à l’opposé du livre original. Ce n’est même plus une adaptation mais un simple placement de produit : « il était une fois une histoire dont il fallait faire quelque chose pour qu’elle rapporte de l’argent… donc on a décidé d’y intégrer le personnage de Saint Exupéry ». Entre le formatage scénaristique qui consiste à dénaturer l’ouvrage et à le montrer le moins possible pour construire autre chose, entre l’aviateur devenu caricature grossière du vieil excentrique déjà mille fois fait au cinéma, la mère plantée comme le stéréotype du conformisme et la fillette obligée de subir mais qui veut se libérer… ce n’est pas qu’on ressent une impression de déjà-vu… mais en fait si.

petit prince

Par contre ce qu’on ressent à peine, c’est la philosophie du conte initial. Le Petit Prince se résume à une dizaine de minutes de séquences aussi bien faites que courtes et mal agencées en papier mâché, histoire de dire que c’est torché en quelques phrases clés. Et puis surtout une deuxième partie d’une abjection absolue où on trouve le petit prince… adulte et prisonnier du businessman. À la simple idée de cette horreur calibrée jusque dans l’utilisation d’images de synthèse, au mieux d’une platitude totale, marketée et à peine bonne à vendre des produits dérivées, Saint-Ex doit se retourner dans sa tombe. Mais ce n’est pas le seul, son meilleur ami aussi : Léon Werth, poète, antimilitariste, libertaire, écrivain, voyageur… est totalement trahi, maltraité, et sa pensée envolée et torturée en quelques plans.

Je voulais coller ici une image de la version adulte du petit prince. Mais on n’en trouve pas. En ont-ils tellement honte ?

On rétorquera que ça plaira aux enfants, que c’est bien le Petit Prince en film pour les plus petits. Mais les enfants peuvent aussi aimer les Teletubbies et ingurgiter du MacDo cinématographique à la pelle. Et j’ai trop de respect à leur égard pour leur infliger un produit aussi inepte. Tant que les parents ne comprendront pas que le goût s’éduque, le monde ira à vau-l’eau. Surtout qu’en cherchant un minimum, les films qui n’ensevelissent pas les jeunes esprits dans un formatage narratif et audiovisuel existent. Les enfants ne sont pas des êtres qu’il faut abêtir. Eux aussi ont droit d’apprendre ce qu’est la subtilité.

Mais bon…

Pour éviter de continuer car ce film ne mériterait au final que notre plus profonde indifférence, nous allons proposer autre chose qui ne se fait jamais habituellement. On va plutôt… parler du film d’animation du Petit Prince. Mais pas le même, un bon film même s’il n’est pas parfait. Il s’agit un court-métrage de 30 minutes de Will Vinton que vous pouvez trouver en cliquant ici.

petit prince vinton

Les courts-métrages sont des formes si peu vues, dont on parle à peine et qui pourtant regorgent de merveilles. Déjà pour une raison simple : ils ne cherchent pas à tenir 1h30 ou 2h quitte à se perdre pour s’intégrer dans la masse des films habituels. Ils expérimentent et ils innovent. Et celui-là est exemplaire.

Will Vinton est le fondateur d’un studio spécialisé dans l’animation de pâte à modeler à la fin des années 1970. A la suite d’un imbroglio, il le perd et le Will Vinton studio devient Laika, spécialiste de la figurine en plasticine, à l’origine de Coraline, ParaNorman ou Les Boxtrolls. Le cinéaste est donc un spécialiste de l’animation en volume et Le Petit Prince, réalisé en 1977 n’y échappe pas. Le film reprend l’essentiel de l’intrigue du livre, la modifie légèrement, mais surtout, il offre au cinéaste tout le loisir d’expérimenter tant au niveau des décors que des personnages, dans les textures et couleurs ainsi que dans la façon dont l’ensemble se meut, à la fois réaliste et impossible. L’animation en pâte à modeler permet ici de dépasser la dimension humaine, charnelle, pesante, tout en restant un pied dedans. Ce qui, pour un conte comme le Petit Prince, est important.

petit prince

Mais son grand intérêt réside aussi dans sa propension à diversifier les techniques et de ne pas hésiter à utiliser les premières possibilités du cinéma informatique, qui en était alors à ses prémisses, pour les intégrer à la narration. À la matière de la pâte à modeler vient donc s’ajouter un surplus impalpable et c’est l’une des plus impressionnantes réalisations de l’époque. Alors bien sûr, l’ensemble peut sembler un peu « cheap » aujourd’hui, mais les passages abstraits, comme lors de la rencontre du petit prince et du renard, illustrent parfaitement la volonté de ne pas juste rendre compte superficiellement d’un récit essentiellement dit en voix-off, mais de créer tout un univers autour des personnages. À l’aide de ces techniques mixtes et grâce à la maîtrise du « claypainting » (peindre, notamment les arrières plans, à l’aide d’un assemblage de pâtes à modeler colorées) de Joan Gratz, le réalisateur pénètre davantage encore dans le récit et ses émotions. Il laisser vagabonder son esprit tout en nous permettant de faire de même dans des moments de pause salutaires, ce que ne permettent plus les films actuels, souvent trop rapides. Comme dans le livre, perdre son temps ne devrait pas être un luxe et Vinton le comprend.

En somme, au lieu de se précipiter dans les salles pour voir une chose qui n’aurait jamais dû exister, ou qui, en tout cas, n’aurait jamais dû s’appeler Le Petit Prince, pourquoi ne pas découvrir ce court ?

PS : Il existe également un long métrage, un peu kitch lui aussi mais assez réussi, fait par Stanley Donen en 1974 avec Gene Wilder en renard et Michael JacBob Fosse en serpent. De quoi  avoir le choix.

Petit Prince

Une réflexion sur « À propos de la version animée du Petit Prince… »

  1. Houulala… Pas tout compris, toi, hein ??????
    St-Ex aurait apprécié beaucoup d’allusion qui font directement référence à sa philosophie :
    Une enfant plus sage que son adulte de mère,
    un pilote qui a su vieillir sans etre adulte,
    un monde d’adultes qui ont oublié qu’ils avaient été des enfants
    (y compris le petit prince… comme Peter Pan a oublié qui il était chez Spielberg..)
    des rêves que l’on broie pour fabriquer des choses « Utiles »,
    et pleins d’autres choses encore…..
    Tout est réussi… même si rien n’est parfait ! (comme une planète sans chasseur et… sans poules !!)
    En tout cas objectif plus qu’atteint : idées principales transmises et, surtout, les quelques enfants que je connais ont décidé de lire ou relire le petit prince (ainsi que quelques adultes…).
    Maître d’école, j’essaie chaque année, différemment selon leur âge, d’imprégner tous mes élèves de cette oeuvre (qui, comme pour des millions de gens, fait partie de moi)…
    ..merci pour le coup de main Mark Osborne !

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