Notre Petite soeur - Image Une Critique

Notre petite sœur : Printemps précoce

Hirokazu Kore-eda fait partie de cette nouvelle génération de réalisateurs japonais qui à l’instar de Naomi Kawase, Sono Sion ou encore Kiyoshi Kurosawa semblent enfin prendre la relève de leurs illustres prédécesseurs qui ont fait l’âge d’or du cinéma d’auteur japonais. On a ainsi coutume de comparer Kore-eda à Ozu ou à Naruse pour la dimension sociale et familiale de ses films. Mais si Notre petite sœur s’inscrit bien entendu dans cette filiation, ce serait à la fois lui infliger une pression énorme mais aussi le réduire à ce qu’il n’est finalement que partiellement.

Notre Petite soeur - Affiche

C’est que le cinéma de Kore-eda a sa musique propre où l’histoire est racontée par ellipse pour mieux signifier les trajectoires de ses personnages. En cela Notre petite sœur fait d’ailleurs penser à Mes voisins les Yamada, film d’animation dirigé par Isao Takahata, qui par petites touches épurées (tant dans le graphisme que dans la narration) racontait avec drôlerie mais aussi avec une affectueuse mélancolie poétique le quotidien d’une famille typique japonaise. On retrouve ici cette amertume douceâtre qui rappelle sans cesse que la vie est faite de petits instants souvent insignifiants mais qui révélés devant la caméra de Kore-eda deviennent des moments d’intimité partagés avec pudeur et retenus.

On se souvient de Tel père tel fils – son précédent film lui aussi présenté à Cannes reparti nanti du Prix du Jury alors que Notre petite sœur y a été injustement boudé cette année – qui en relatant un fait divers avéré (l’échange non prémédité à la naissance de deux bébés qui six ans plus tard vont devoir réintégrer leur véritable famille respective après que la clinique se soit rendue compte de sa « bourde ») permettait à Kore-eda de mettre à mal la vision idyllique que se fait le monde et certainement son propre pays de la famille japonaise empreinte de traditions millénaires basées sur l’indéfectibilité de la transmission et le respect absolu des anciens. Notre petite sœur poursuit cet état des lieux en se focalisant sur l’histoire de trois sœurs célibataires ou presque habitants ensemble dans une grande maison « héritée » de leur mère partie refaire sa vie ailleurs.

Le film commence par un enterrement. Celui de leur père dont elles n’avaient plus vraiment de nouvelles depuis qu’il avait décidé de les quitter pour une autre femme quinze ans auparavant. Là, elles apprennent l’existence d’une demi-sœur devenue orpheline qu’elles vont très rapidement inviter à habiter avec elles. Elle sera alors le catalyseur de blessures que beaucoup pensait refermées mais aussi une nouvelle source de joie et de bonheur au sein d’une famille dont on constate la perte progressive de repères. Notre petite sœur peut alors s’apparenter à une sorte de chronique familiale dans son acceptation la plus pure. Il est d’ailleurs l’adaptation d’un manga intitulé Kamakura Diary écrit et dessiné par Akimi Yoshida dont l’éditeur Kana a publié en France les six tomes disponibles jusqu’ici. Entre les deux, des différences bien entendu, mais surtout des convergences qui magnifient un manga pourtant déjà riche et subtil où chaque vignette vient affiner une histoire somme toute sans enjeux apparents mais d’une rare efficacité narrative.

Ce qui est heureux aussi avec Notre petite sœur c’est que Kore-eda ne cherche jamais à opposer modernité et traditions. Entre les deux, il y a de toute façon la cuisine qui réunit les générations et qui reste l’une des thématiques essentielles du cinéma japonais (attention à ne pas aller voir le film le ventre vide). Et puis ses personnages sont un précipité juste et tragiquement triomphant d’une époque dans laquelle ils se meuvent en se cognant certes contre les murs mais toujours en se relevant. Point de pathos non plus, juste l’indicible parfum de destins qui se construisent et se reconstruisent. Et à l’arrivée, c’est tout simplement beau. Très beau.

Notre petite sœur de Hirokazu Kore-eda – 28 octobre 2015 (Le Pacte)

Sélection Officielle en Compétition au festival de Cannes 2015

RésuméTrois sœurs, Sachi, Yoshino et Chika, vivent ensemble à Kamakura. Par devoir, elles se rendent à l’enterrement de leur père, qui les avait abandonnées une quinzaine d’années auparavant. Elles font alors la connaissance de leur demi-sœur, Suzu, âgée de 14 ans. D’un commun accord, les jeunes femmes décident d’accueillir l’orpheline dans la grande maison familiale…

Note : 4/5

 

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