Strictly Criminal

Strictly Criminal : Noir c’est noir

Passé par différentes manifestations cinématographiques de renom (en sélection officielle aux derniers Festival de Venise et de Toronto) et nanti d’une kyrielle de superlatifs en guise de campagne promotionnelle, Strictly Criminal débarque dans les salles obscures en guise de contre-programmation au nettement plus familial Voyage d’Arlo. Derrière les effets de maquillage appliqués au visage du sieur Depp se cache-t-il un aussi brillant « gangster movie » que sa réputation le laisserait supposer ?

Strictly Criminal - Affiche

Cette prestation de Johnny Depp que d’aucuns qualifient volontiers de « retour au sommet » qu’en est-il précisément ? Oui, la performance en impose et présente un personnage bicéphale, aussi prompt à choyer les siens qu’à expédier ad patres tous ceux qui se dresseraient en travers de sa route ou bien ne respecterait pas ses règles, à commencer par celle du silence. Pour autant, il conviendrait de ne pas éclipser l’impressionnant boulot de maquillage effectué ici (Depp est quasi-méconnaissable !) pour une performance que l’on doit sans aucun doute à son modèle vivant, James J. Bulger, dont le film retrace une portion de sa vie en adaptant le roman Black Mass : The True Story of an Unholy Alliance Between the FBI and the Irish Mob. Un titre à rallonge qui résume toutefois avec bien plus d’à-propos les véritables enjeux du récit que le nettement plus réducteur Strictly Criminal du titre français (« traduction » du titre VO, Black Mass -Sic !) balancé au cours d’une répartie finale par l’un des proches de Bulger.

Car la force, mais aussi la faiblesse, de Strictly Criminal, est précisément d’articuler tout son scénario autour de ses personnages, et plus précisément des faits relatés par ces derniers. Une force car les faits en question sont connus, tout comme l’issu (Bulger fut interpellé en 2011) et le mieux reste encore de s’intéresser aux « tranches de vie » depuis l’intérieur. Le récit va ainsi, dans un processus continu de témoignages (au travers d’interrogatoires conduits par le FBI ou bien en voix off) nous relater les faits (passés) marquants survenus dans la vie de ce James J. Bulger, ce Strictly Criminal, au cours de la période la plus marquante de son existence, à savoir la deuxième moitié des années 70 et les années 80. Sa force car ce sont précisément tous ces personnages qui gravitèrent autour de Bulger qui vont servir à en dresser le portrait. Celui d’un homme pour qui les liens du sang sont sacrés ; à commencer par ceux avec sa famille en la personne de sa mère et de son frère, Billy Bulger (Benedict Cumberbatch, acteur britannique vu l’an passé dans le très réussi Imitation Game). Soit deux personnages qui, bien que prépondérants dans la vie de Bulger, passent ici au second plan au profit de son « frère de la rue », John Connelly (Joel Edgerton, repéré notamment dans l’excellent Animal Kingdom de David Michôd).

C’est précisément ce lien aussi sacré qu’improbable entre le gangster et l’agent du FBI, amis d’enfance désormais de part et d’autre de la mythique « barrière », qui constitue in fine le véritable fil conducteur de Strictly Criminal. Ces tranches de vie dans le quotidien de chacun et cette relation qui ira jusqu’à détruire leurs couples respectifs tout en nourrissant leurs appétences mutuelles pour le pouvoir et la reconnaissance des leurs ; la fameuse « ligne blanche » devenant alors chaque jour un peu plus « grise » à mesure que les années passent. Une « double vie » au quotidien en quelque sorte, côté famille et côté rue, retranscrite avec force application aussi bien dans la mise en scène que dans l’interprétation. De là à qualifier Strictly Criminal de « pur film de gangster, impressionnant et passionnant, excellent, intense, hypnotisant » ou encore, « dans la lignée des Affranchis », il y a un pas (de géant) que nous ne franchirons point ici. Car cette même force dans l’attention portée aux personnages, au récit qu’ils font des évènements et aux liens entre chacun d’eux, constitue également la faiblesse de Strictly Criminal dès lors qu’il s’agit de répéter tout du long le même canevas scénaristique. Une scène côté flic, une scène côté gangster, une scène côté famille, une scène côté « business ». Le tout donnant parfois lieu à des séquences qui tombent un peu comme des cheveux sur la soupe, à l’image de cette scène d’enterrement (dont on terra la nature histoire de ne pas déflorer l’intrigue outre mesure) ou encore ce deal avec des membres de l’IRA, montré en deux minutes et tombé à l’eau en deux fois moins de temps à l’écran. À trop vouloir rentrer de choses au sein des deux heures que durent le film, celui-ci finit par en perdre en intensité.

De cette même intensité qui, à trop vouloir en faire par endroits, finit là aussi par appauvrir le portrait d’ensemble. Les séquences les plus significatives en la matière sont à chercher du côté des « exécutions » conduites par Bulger en personne au cours desquelles la musique se fait de plus en plus prégnante à grand renfort de montée en puissance et de descente dans le bas du spectre pour bien sur-souligner le côté « attention, cette personne va y passer car elle n’a pas respecté les règles Bulger ». Si le procédé pour asseoir le personnage-titre fait sens au début, son systématisme finit par devenir non seulement prévisible mais de surcroît un rien ronflant, pour ne pas dire irritant. Un procédé pas bien finaud mais finalement en phase avec le précédent long-métrage de Scott Cooper, Les Brasiers de la colère (2013), pas toujours très fin lui non plus. Davantage de recul, voire même d’ellipse formel aurait pu aboutir à un résultat autrement plus convaincant sans dénaturer pour autant le portrait de celui qui figura durant plus de douze ans sur la fameuse liste des dix fugitifs les plus recherchés du FBI.

Ce qui n’empêche nullement certains de voir déjà Strictly Criminal comme un très sérieux prétendant sur la future liste des Oscars. Pourquoi pas. Serait-ce les mêmes qui voyaient un parcours identique pour A most violent year l’an passé ? À l’arrivée, le très réussi long-métrage de J.C. Chandor (sans pour autant là non plus crier au génie) ne récolta qu’une seule nomination dans la catégorie meilleure actrice dans un second rôle pour Jessica Chastain (difficile au passage de comprendre le pourquoi de cette nomination dans la catégorie « second rôle » puisque la comédienne y occupe le haut de l’affiche). Quitte à (re)voir un « pur film de gangsters », autant se (re)mater certains longs-métrages de Martin Scorsese, à commencer par celui suscité quelque peu à l’emporte-pièce, ou encore Les Infiltrés, excellent remake du non moins excellent polar hongkongais Infernal affairs dont l’action se déroule également au sein de la pègre irlandaise du sud de Boston et dans lequel, pour la petite histoire, le personnage campé par Jack Nicholson est librement inspiré de… James J. Bulger. Un film qui, pour le coup, rafla quatre Oscars dont celui du meilleur réalisateur pour Scorsese qui remportait (enfin) la précieuse statuette après que celle-ci lui soit passée sous le nez à six reprises auparavant. Une récompense que d’aucuns considérèrent alors davantage comme un « lot de consolation » pour l’un des plus grands cinéastes contemporains que pour un film en deçà du reste de sa filmographie à ce moment-là de sa carrière. Pris indépendamment, Strictly Criminal est effectivement un bon film de gangsters qui permet à Johnny Depp de faire valoir ses talents de comédiens dans un nième rôle tout en grimage. Mais considéré à l’aune de ses prédécesseurs, le long-métrage Scott Cooper ne fait que marcher dans l’ombre de ses aînés.

Strictly Criminal de Scott Cooper – 25 novembre 2015 (Warner Bros.)

Résumé : Dans le Boston des années 70, l’agent John Connolly du FBI convainc le mafieux irlandais James « Whitey » Bulger de collaborer avec le FBI afin d’éliminer leur ennemi commun : la Mafia italienne.

Note : 3,5/5

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