Le Client - Image Une Cannes 2016

Cannes 2016 – Jour 10 : Un certaine fin du festival

Alors que la section Un certain regard dévoile son palmarès 2016, nous avons vu un dernier film de cette sélection, La Longue nuit de Francisco Sanctis de Andrea Testa et Francisco Márquez, ainsi que les deux derniers films en compétition officielle : Le Client d’Asghar Farhadi et Elle de Paul Verhoeven.

La Longue nuit de Francisco SanctisLa Longue nuit de Francisco Sanctis de Andrea Testa et Francisco Márquez

Premier film argentin réalisé par un duo de cinéaste, La Longue nuit de Francisco Sanctis est l’un des films les plus surprenants de la sélection, à propos duquel il est difficile de se faire une véritable opinion. Le récit débute simplement, se focalisant sur un homme qui ne reçoit pas la promotion qu’il désire et qu’une amie de longue date appelle. Celle-ci voudrait que Francisco se rendre dans une maison pour prévenir deux individus qu’ils pourraient être enlevés par la police. À partir de là, on suit son périple et ses peurs dans un cheminement surprenant parce qu’il ne se passe pratiquement rien : il appelle sa femme, il a peur, il va au bar, il le quitte, il marche, prend un bus, un taxi et voilà. Toutefois, derrière ce vide apparent, à propos duquel il serait aisé de dire : « mieux vaudrait un court-métrage », on suit le parcours psychologique d’un homme en proie à des souffrances intérieures : politiques, morales, nostalgiques, et sa marche est également notre marche. Dans n’importe quel film, on aurait résumé la dernière demi-heure du film par un simple cut : il est dehors / cut / il arrive à destination. Les deux réalisateurs nous entraînent dans cette figure de montage, qu’ils rallongent, nous permettant de voir ce que d’habitude il nous est impossible de saisir : le déroulement des émotions contradictoires d’un individu pendant un laps de temps qu’il est narrativement possible d’évacuer. En cela le film est intéressant, d’autant plus que la mise en scène est travaillée pour créer une atmosphère adéquate : gros plans sur le visage, alentours brouillés, lumières sombres et lugubres… Mais, difficile de ne pas constater également que cette longue nuit est aussi un grand film vide, dans lequel il ne se passe rien !

Elle - Affiche

Lire le dossier de presse Elle (Cannes 2016)

Après quelques jours de disette ou semi-disette dans la compétition, le festival de Cannes a attendu le dernier jour pour nous livrer deux films importants qu’on espère retrouver au palmarès. Cela sera peut-être plus délicat pour Elle, le dernier film de Paul Verhoeven, puisque fidèle à son habitude, le cinéaste néerlandais livre une œuvre assez retorse et érotique avec un soupçon de violence et une forte dose de perversion. Plus surprenant, le tout n’est pas dépourvu d’une certaine dimension comique et cynique proche de l’absurde. Les films trop sulfureux et peu réflexifs sont rarement palmés, tout comme ceux qui choisissent de rire de leurs vices et dépravations. Reste que ce film, sur une créatrice de jeu vidéo au tempérament nihiliste et au passé ravageur qui enquête sur un viol qu’elle a subie, est tout simplement excellent. L’adaptation de Philippe Djian est excellente, la mise en scène très préparée et maîtrisée comme toujours chez le cinéaste qui semble penser chacun de ses cadres au millimètre près et les acteurs sont tous très bons dans leur rôle malgré une diversité de styles et de tons qu’on imaginait mal aller ensemble. D’Isabelle Huppert à Virginie Efira en passant par Charles Berling, Vimala Pons ou Laurent Lafitte, le cinéaste a réussi une mission impossible en parvenant à homogénéiser l’ensemble !

Le Client - Affiche Cannes 2016

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Le Client est par contre une palme potentielle. Asghar Farhadi n’en est plus à ses débuts après des succès comme celui d’Une séparation et un dernier film réussi même si un peu froid : Le Passé. Dans son dernier opus, il retourne en Iran et se focalise sur une histoire double, celle d’une répétition théâtrale et des premières représentations de La Mort d’un commis voyageur d’Henri Miller, et celle d’un couple d’acteurs dont la femme a été agressée chez elle et qui semble complètement abattue pendant que son mari, épris de vengeance, part à la recherche du coupable. La première séquence pose les préceptes formels et narratifs d’un film maîtrisé d’un bout à l’autre : à la suite d’une erreur, un immeuble menace de s’effondrer, les murs craquent, et tous les habitants doivent le quitter dans la précipitation, métaphore intelligente des émotions qui s’empareront par la suite du couple qui a du mal à gérer l’agression subie. Toute la suite du film reprend ce mécanisme tout en prenant une tournure toujours plus sombre, en jouant sur les non-dits, le hors-champ et les suggestions, à mesure que l’histoire avance et que la pièce rencontre plusieurs déconvenues. Farhadi, sans jamais faire de compromis, parvient à ne jamais devenir sentimental et mélodramatique ou violent et déprimant. Il évite les écueils politiques et sociaux, qu’on perçoit en arrière-plan, dans la manière dont la ville se dessine, dans l’humiliation et l’impossible recours à la police, dans la censure dont la pièce pourrait être l’objet ou dans la manière dont les relations entre individus sont montrées. Mais tout reste en suspens : présent et absent, de l’ordre du ressenti. On éprouve le poids des récits premiers et secondaires sans jamais les trouver lourds ou bancals, et l’atmosphère dérangeante créée par le cinéaste offre un climat idéal au film. C’est une indéniable réussite !

Le dimanche à Cannes, c’est la journée rattrapage de la compétition officielle pour ceux qui sont toujours là. Nous irons donc rattraper trois films au haut potentiel palmable d’après de nombreux ouï-dire : Toni Erdmann de Maren Ade, I, Daniel Blake de Ken Loach et Neon Demon de Nicolas Winding Refn. Pour le moment, indépendamment de notre choix personnel et de la personnalité du président du jury, et vu les critères officieux qui régissent les impénétrables lois des films primés à Cannes – tendance sociale, protagonistes faibles mais forts, réalisateur déjà révélé, pas trop genré, plutôt réaliste, avec une dimension politique et une mise en scène pas trop maniérée – celui qu’on imagine bien obtenir le titre est le film iranien d’Asghar Farhadi, Le Client.

Un Certain regard, le palmarès :

Le choix du film finlandais est à la fois inattendu et logique. Inattendu car, malgré sa réussite, il résiste aux classifications de genre et il est plutôt naïf et simple, mais logique par rapport au palmarès général. Les cinq films évitent de prendre parti pour des conflits nationaux à l’œuvre ou pour les tendances politiques et sociales liées à des pays en proie à des difficultés. Le choix du jury s’est, au contraire, porté sur des œuvres poétiques et oniriques, laissant aussi de côté les questions de genres pour se concentrer sur des thématiques transversales et universelles comme la famille, l’amour, le couple ou les enfants. D’aucuns pourraient le leur reprocher, mais dans leur approche du cinéma, ce palmarès sonne juste.

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