Elle - Image Une Crtique

Elle : Neighbors 3

On ne peut s’empêcher de penser à la vision de Elle que Verhoeven en avait marre d’être au chômage et qu’il lui fallait coûte que coûte trouver un projet à se mettre sous la dent. Il le dit d’ailleurs lui-même. Il a trouvé «Oh…» de Philippe Djian, que le producteur Saïd Ben Saïd lui avait enjoint de lire, très intéressant. C’est tout ? Juste très intéressant ? Dans ce genre d’entretiens que l’on trouve sur les dossiers de presse, l’adjectif que l’on rencontre plutôt est « passionnant ».  Car il faut bien donner le change surtout quand on est juste le bras armé d’une production. Mais quand on est un auteur de la trempe de Verhoeven qui de plus n’a pas sa langue dans sa poche, cela devient « intéressant ». On veut bien faire bonne figure mais faut pas déconner non plus. Et Elle c’est un peu ça. On donne le change mais personne n’est dupe.

Elle - Affiche

Il y a en effet dans Elle quelques unes des thématiques et obsessions du réalisateur hollandais. D’abord il y a l’ambiguïté de cette femme qui subit un viol mais qui continue à vivre sa vie comme si de rien n’était tout en traquant son agresseur. Elle semble être dans le déni mais dans le même temps se confie à son entourage certainement par provocation, certainement aussi pour être le témoin de leurs réactions. Cet art de l’ambiguïté, Verhoeven le maîtrise depuis des lustres. On pense bien entendu à Total Recall et cette volonté de nous plonger dans un labyrinthe fait de virtuel et de réel afin de brouiller sans cesse les cartes et de nous déstabiliser.  À la différence qu’ici cela ne vole pas très haut avec comme seul relai une Isabelle Huppert, certes irréprochable comme bien souvent, mais dont les atermoiements, vicissitudes et autres interrogations se lisent trop facilement sur un visage qui pour le coup emplissent les béances d’une histoire voulue comme telles. Tout ceci est bien trop linéaire pour susciter autre chose qu’un suivi poli et jamais intrigué. Comme si malgré les efforts de la réalisation, on avait toujours un coup d’avance.

On retrouve aussi ces « respirations » visuelles qui hachent en apparence le récit mais qui sont en fait censées lui apporter une profondeur anthropologique. La scène de viol revue sous plusieurs angles ainsi que les clips montrant l’avancement du projet de jeu vidéo (Huppert est à la tête d’une boîte façon Ubisoft – Sic !) jouent ce rôle à la façon des actualités dans RoboCop ou des saynètes patriotiques dans Starship Troopers. À la différence encore ici que le tout tombe un peu à plat comme s’il fallait revigorer l’arc narratif voulu à la base par un Djian dont on connaît le clinquant très superficiel de son écriture. Quelque chose qui est resté coincé dans les années 80 avec un Jean-Jacques Beinex qui en avait fait le parangon d’une décennie. Pour autant Verhoeven a suffisamment de talents (on n’en doutait point il va sans dire) pour ne pas s’en contenter et d’emmener le film en des contrées autrement plus riches.

D’abord, dans cette capacité à modeler des acteurs dont on ne pensait pas qu’ils sortiraient un jour de leur zone de confort de jeu. Là encore ce n’est pas nouveau. On n’a jamais revu la troupe de jeunes comédiens de RoboCop ou alors dans des nanars ou séries Z. Ici c’est certes différent puisque tous ont déjà un vécu devant la caméra mais pas certain par exemple qu’un Lafitte, qu’un Berling ou qu’une Efira s’exposent autant à l’avenir. Oh Verhoeven ne leur demande pas des choses insensées, juste d’assumer quelque peu leur qualité intrinsèque de comédiens habitués à un certain train-train de la production française. Et puis le hollandais volant insuffle aussi une mise en scène qui ne lui ressemble pas trop, comme s’il voulait calquer justement ce que l’on trouve habituellement en France, tout en s’autorisant quelques morceaux de bravoure iconoclastes et low key peu habituelles chez lui. La scène de viol bien entendu revue sous trois angles aussi peu spectaculaire que chirurgicalement décortiquée. La scène dite du chauffe-eau au sous-sol qui de par sa température de couleur rappelle sans aucun doute les ambiances de Mars dans Total Recall mais façon remake d’un fan youtubeur.

Tout cela est plus que jamais assumé. Verhoeven abat ses cartes sans passion mais toujours avec un certain sens de (ses) responsabilités. À la différence d’un De Palma qui bazardait un peu tout avec Femme Fatale ou surtout Passion, Elle n’est pas un film de la déchéance, c’est on l’espère un film de transition ou peut-être même une sorte de rite de passage certes exotique mais plus proche de son univers qu’un film hollywoodien façon Hollow Man. C’est peut-être moins grandiloquent mais cela reste tout de même, comme le dit si bien Verhoeven,  plus intéressant.

Elle de Paul Verhoeven – 2h10 (SBS Distribution) – 25 mai 2016

Ce film a été présenté en Compétition au Festival de Cannes 2016

RésuméMichèle fait partie de ces femmes que rien ne semble atteindre. À la tête d’une grande entreprise de jeux vidéo, elle gère ses affaires comme sa vie sentimentale : d’une main de fer. Sa vie bascule lorsqu’elle est agressée chez elle par un mystérieux inconnu. Inébranlable, Michèle se met à le traquer en retour. Un jeu étrange s’installe alors entre eux. Un jeu qui, à tout instant, peut dégénérer.

Note : 3/5

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