Elvira, maîtresse des ténèbres

Cette rubrique est un appel. L’appel désespéré d’un gamin ayant grandi dans les années 80, à l’ère de la VHS triomphante, où les video nasties côtoyaient les pépites inconnues dans tous les vidéo-clubs de France et de « Navarro ». Un appel pour retrouver des trésors de petits films un peu trop vite oubliés, mais dont on garde un vague souvenir dans l’inconscient collectif. Rayon inédits répertoriera, de façon non exhaustive bien sûr, les films, datant le plus souvent des années 80-90, qui ornaient nos vidéothèques VHS et qui restent, à ce jour, tristement inédits en France, que ce soit en DVD ou en Blu-ray. Entends ma supplique, toi, l’éditeur français, et prouve ton pouvoir exauçant le vœu du vidéophile ! Sors-nous Elvira, maîtresse des ténèbres de l’ombre où il a été honteusement relégué !

Chapitre 1 : Elvira, maîtresse des ténèbres (James Signorelli, 1988)

Elvira

Elvira dans son contexte

Comme le chantait Charles Aznavour il y a 120 ans environ, je m’en vais vous parler d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Décembre 1989 : incroyable mais vrai ! Les gens réussissent à vivre sans Internet, ni téléphone portable. C’est l’aube des années 90, on imagine que dans un futur proche, les voitures voleront, et on considère le Power Glove de Nintendo comme le must de la réalité virtuelle. Internet ou les portables, personne n’en parle : on ne voit même pas l’intérêt que pourrait avoir une telle invention.

Dans les rues et les cours de récréation, les enfants ne jurent que par les Crados et les Tortues Ninja, véritables phénomènes de société. Les plus fantaisistes rêvent de l’ultime spin-off, les Tortues Crados. On se divertit en regardant La 5 de Berlusconi, et on enregistre sur VHS les films de Canal +, dont le décodeur « saute » à chaque explosion ou couleur vive apparaissant sans prévenir à l’image. Votre serviteur, pré-ado, stocke sous son lit quelques exemplaires de Starfix, Mad Movies, Ciné-News ou Vidéo 7 (dont les pages du « cahier X » sont étrangement souillées), commence à développer une espèce de cinéphilie déviante, en fantasmant certains films évoqués dans les colonnes de ces revues, œuvres malheureusement « introuvables », surtout en province, mis à part dans certains vidéo-clubs bénis des dieux.

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Le phénomène Elvira

En couverture du Vidéo 7 de Janvier 1990, on retrouve, tout en yeux et en buste, une bien étrange créature nommée Elvira. Chevelure noire ébène, maquillage outrancier, Elvira est un succédané haut en courbes et en couleurs de Vampira, Ghoulita ou encore Moona Lisa : Elvira, de son vrai nom Cassandra Peterson, est une speakerine sexy qui introduisait les films horrifiques US de la chaine KHJ-TV : son décolleté vertigineux et son humour ravageur ont déjà conquis le cœur des américains. Notons qu’après avoir abandonné sa carrière de danseuse à Las Vegas, Cassandra a tourné dans quelques films (notamment dans Pee-Wee’s big adventure aux côtés de son ami Paul Reubens qui faisait partie de la même troupe d’improvisation), mais c’est vraiment la reine du macabre Elvira qu’on réclame à corps et à cris, et en quelques années, la notoriété de la star explose : mélange improbable de Jayne Mansfield, Mae West et… Vincent Price, Elvira fait délirer les foules, apparaît dans des centaines d’émissions, on la réclame pour des apparitions publiques (jusqu’à Disney World), elle signe juste après Michael Jackson une campagne de pub pour Pepsi… Bref, elle devient incontournable. On trouvera quelques années durant un énorme merchandising Elvira, allant des flippers aux jeux vidéo en passant par les panoplies, les perruques, T-shirts, comics, bijoux, etc.

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Mais en France, la sauce a du mal à prendre. Malgré un passage éclair en tant qu’invitée dans l’émission Babylone de Numa Roda-Gil, elle peine un tantinet à se faire connaître au pays des fromages qui puent, qui lui préfèrent, peut-être, son éphémère avatar français, Sangria, qui joue également les speakerines horrifiques sur La 5.

Elvira : le film

De passage au festival de Cannes en 1987, Elvira et son mari Mark Pierson, avec qui elle a créé la boite de prod Queen B Productions, annoncent la mise en chantier imminente du film Elvira, mistress of the dark. Le film est réalisé par le poissard James Signorelli, que la jeune femme a rencontré sur le tournage du show Saturday Night Live ; son principal fait d’armes est d’avoir réalisé pour le cinéma un gros flop en 1983, Easy money. Sorti à la rentrée 88 aux États-Unis, Elvira, mistress of the dark sera également un échec commercial, ne remboursant que 5,6 millions de dollars sur un budget relativement confortable de 7,5 millions. Après un passage remarqué au festival du Film Fantastique de Paris en décembre 89, où le film décroche le prix du jury ainsi que le prix du public, Elvira, maîtresse des ténèbres débarque sur les écrans français le 24 janvier 1990, et réunira tout de même un peu plus de 23 000 personnes dans les salles obscures.

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Elvira, maîtresse des ténèbres est une comédie fantastique à l’esprit très « campy » ; mélangeant les gags visuels à une large série de jeux de mots très grivois quasi intraduisibles, le film nécessite tout de même une bonne maîtrise de la langue anglaise pour en saisir toutes les subtilités. Les double-sens sont légions, ainsi que les sous-entendus clairement sexuels. Un court exemple : après qu’Elvira se soit pris un coup sur la tête, un personnage masculin lui demande « how’s your head ? », ce à quoi elle répond « haven’t had any complaints yet ! ». Bien sûr, vous conviendrez qu’il faut comprendre à quoi « head » fait référence dans l’esprit tordu de l’impératrice gothique pour rire à gorge profonde déployée. Heureusement pour les amateurs de version française (pour qui de nombreux gags verbaux tomberont forcément à plat), le rythme du film est bien tenu, et les gags visuels et clins d’yeux parodiques (Flashdance, Rambo…) s’enchainent sans temps mort. Les effets spéciaux ne vieillissent pas (le monstre de la casserole), et le production design en envoie volontiers plein les mirettes. Outre Elvira, qui est un effet spécial à elle-seul comme le soulignait le New York City Metro à la sortie du film, on retiendra le soin apporté aux décors ou à la personnalisation de la Thunderbird d’Elvira, sièges en léopard et barbelés un peu partout. Une Thunderbird de 1958, année de sortie de Plan 9 from outer space, avec qui Elvira, maîtresse des ténèbres partage un esprit campy et un autre personnage de déesse macabre, Vampira, qui intenta un procès à Cassandra Peterson au début des années 80 en l’accusant d’avoir « volé » son personnage. Le nom du personnage de l’oncle d’Elvira, Vincent Talbot (incarné par W. Morgan Sheppard), est également un hommage au film d’Ed Wood Jr., puisqu’il mélange les patronymes de Vincent Price et Lyle Talbot (acteur de Plan 9).

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Abordons maintenant la censure qu’a subi le film dans certains pays (et notamment en Europe). Cassandra Peterson étant rôdée, de par son expérience télévisuelle, à utiliser les double-sens (ou double-entendre comme le disent les américains) en évitant toute grossièreté, le film ne comporte pas le moindre « fuck » – c’est suffisamment rare pour être souligné. Néanmoins, un court passage du film a été censuré dans de nombreux pays : la fin de la séquence finale, et le fameux « tassel trick » de l’héroïne. Le tassel trick, kezaco me demanderez-vous ? (grands naïfs que vous êtes) Hé bien il s’agit de la prouesse physique bien connue des showgirls de Vegas, consistant à faire tourner des pompons fixés sur le bout de leurs mamelons. Elvira maîtrise ce « tour » depuis l’âge de 14 ans, ce qui lui a naturellement ouvert les portes de tous les casinos dans les années 70.

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Elvira et les déceptions adolescentes

Lorsqu’Elvira, maîtresse des ténèbres fut diffusé sur Canal+, durant l’été 1992 si je ne m’abuse, j’avais douze ans, et me réjouissais de découvrir ce film tant fantasmé, mais j’étais malheureusement en vacances dans les Landes au moment de sa diffusion. À l’époque chez nous, qui disait vacances disait « pas de télé », j’avais donc demandé à mon grand-père, dépositaire du décodeur de 128 kilos environ et plein de lumière clignotantes, dans un esprit très science-fiction, de me l’enregistrer, en même temps, si ma mémoire est bonne, que M.A.L. mutant aquatique en liberté (qui fera peut-être l’objet d’un article dans les mois à venir, la seule édition du film disponible en DVD en France étant une édition pirate monstrueusement anamorphosée), et Y’a-t-il un flic pour sauver la reine. Le film était affublé d’un carré rouge dans le journal des abonnés, à la manière du porno du premier samedi du mois : le comble quand on sait que malgré le côté provoc’ de son héroïne, on ne voit pas l’ombre d’un nichon dans le film ! A mon retour de vacances, mon grand-père avait décrété, très sérieux, que le film était « trop cru », et avait effacé l’enregistrement pour y mettre je ne sais quelle rediffusion du tiercé du jour. Amère, cruelle déception.

Marrant et un brin pathétique comme ce genre de déception peut marquer à vie un esprit dérangé et/ou pas tout à fait mature [rayer la mention superflue]. Quelques mois plus tard, je m’étais rattrapé en achetant la K7 VHS du film, sortie chez Antarès & Travelling, découvrant par ce biais la VF doublée par Evelyne Grandjean. Mais le mal était fait : j’étais marqué à vie. « Trop cru »… Le jugement était tombé comme un couperet : un jugement de valeur certes balancé à l’emporte-pièce, mais parfaitement représentatif de l’esprit potache et irrévérencieux d’un film qui ne s’adresse décidément pas à tout le monde. La provocante Elvira peut agacer, voire franchement choquer les âmes les plus prudes (et les ligues de morale très populaires aux USA), à force de vulgarité pétaradante, de minauderies grotesques et de lascivité forc(en)ée. Le film en rajoute d’ailleurs volontiers dans la provoc’ et l’exubérance, alignant presque une trentaine de gags visuels ou verbaux ayant pour sujet les seins de la jeune femme, ce qui nous donne une référence à sa poitrine environ toutes les trois minutes. On tendrait même à dire que tout Elvira, maîtresse des ténèbres converge vers ce corps incroyablement expressif, vers cette espèce de Jessica Rabbit gothique et de chair et d’os qui, comme Jessica Rabbit justement (ou Mae West en son temps), s’avère au final un peu victime de son image trop sexy, puisque les trois quarts des spectateurs ne chercheront pas forcément à voir au-delà de l’image qu’elle renvoie. Oui, Elvira fait tout dans l’excès, roule des yeux, s’enthousiasme, grimace, chante, crie et danse : Elvira est un toon.

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Elvira aujourd’hui

Cassandra Peterson est née en 1951 ; Elvira a donc, au moment où j’écris ces mots, 63 ans. Elle qui déclarait en 1988 vouloir incarner Elvira jusqu’à ce qu’elle « ne rentre plus dans ses robes » continue de porter les frusques de la tonitruante maîtresse des ténèbres.

En 2001, elle a entièrement financé un deuxième film, sobrement intitulé Elvira’s haunted hills (le titre français du film, Elvira et le château hanté, a entièrement gommé cette nouvelle référence à sa poitrine). Vibrant hommage à la série de films de Roger Corman adaptant les œuvres d’Edgar Allan Poe et à toute une tradition du cinéma gothique des années 50/60, Elvira’s haunted hills explore des voies nouvelles et diamétralement opposées au film de 1988. Beaucoup plus visuel que son prédécesseur, ce nouveau film signé Sam Irvin s’avère une curiosité à découvrir, que les amoureux d’horreur classique ne pourront qu’apprécier.

En 2007, elle est le centre d’une série de télé-réalité intitulée The search for the new Elvira, déclinaison de la Nouvelle Star dont le but était, comme son titre l’indique, d’assurer la succession de cette grande figure de la pop culture. Car les traces qu’a laissé Elvira dans la culture populaire sont bel et bien présentes ; outre la consécration de s’être vue représentée dans un épisode des Simpson, des milliers de panoplies lui rendant hommage sont encore aujourd’hui sorties des placards au moment d’Halloween aux USA ; dans le même état d’esprit, des hommages au personnage fleurissent régulièrement sur la toile, le plus connu étant probablement celui d’Hannah Minx en 2011, puisqu’il a attiré l’attention d’Elvira en personne, qui a répondu à sa vidéo sur Youtube par une autre vidéo (car la maîtresse des ténèbres est très présente sur les réseaux sociaux).

En France, Elvira est retombée dans l’oubli, sauf pour une poignée d’amateurs de cinéma fantastique des années 80, ainsi que pour une large frange de la culture gay : son exubérance, son mauvais goût assumé et son côté « bigger than life » ont fait d’elle une icône homosexuelle, au même titre que Nadine Morano, Mylène Farmer ou Chantal Goya. Ah, on me fait signe que non… Non, pas Nadine Morano.

Pour les amateurs, le merchandising consacré à la star existe toujours, et même plus que jamais, sur son site Internet : elvira.com

7 réflexions sur « Elvira, maîtresse des ténèbres »

  1. Elvira!!! j’ai regardé ce film quand j’avais 8 ans, et bien que je ne comprenais absolument pas les sous entendus, je restais fascinée par sa plastique et son charisme. Adolescence je cherchais à lui ressembler (sans grand succes haha). Bref je remercie mes parents d’avoir acheté la K7, et de m’avoir permis de voir et revoir en boucle ce film sans aucune censure de leur part. Pour moi ce film est toujours une référence 🙂

  2. … moi, me, myself and I avons depuis un bail le DVD anglais ainsi que son équivalent widescreen le tout resynchronisé avec l’audio tiré de la VHS, lui-même remasterisé; ce qui fait au final un vrai beau DVD en french, pas très officiel mais pas pire que ce qu’on trouverait dans le commerce! Et même un sympa menu
    https://www.youtube.com/watch?v=DjgR0QPbbNg
    Evidemment, c’est pas du Blu-ray, on ne peut pas tout avoir !

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