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Aux yeux des vivants en Blu-ray : un tueur dans votre salon

N’en déplaise aux langues de vipères, le cinéma de genre en France n’est pas encore enterré. Les duettistes Julien Maury / Alexandre Bustillo en sont par exemple deux des plus fiers représentants dans l’hexagone, et le prouvent à nouveau avec leur nouvelle livraison sévèrement burnée, Aux yeux des vivants, qui vient de débarquer dans les bacs de vos revendeurs, et en Blu-ray s’il vous plait…

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Le troisième long-métrage du duo Julien Maury / Alexandre Bustillo, intitulé Aux yeux des vivants, n’a certainement pas eu en salles la carrière qu’il méritait. D’une part, le film semble avoir été la cible d’un certain acharnement médiatique : la bienveillance n’est pas toujours de mise au sein de la critique ciné française, et de peur peut-être d’être taxés de complaisance, beaucoup de critiques semblent avoir oublié d’être constructifs et l’ont purement et simplement assassiné, sans lui laisser une chance d’exister. D’autre part, le métrage a été la victime de la légendaire frilosité des distributeurs à se lancer dans la grande aventure du film de genre à la française, chose qui n’ira probablement pas en s’arrangeant dans les années à venir d’ailleurs, l’affaire « Annabelle » ayant encore fait quelques dommages collatéraux en pointant du doigt les amateurs de bandes horrifiques et les assimilant à de vilains casseurs de salles de ciné. Au final, le film n’est parvenu à rassembler que 1 800 curieux dans les salles obscures, sur seulement neuf copies en France. Un nouveau coup dur pour les deux réals français, mais aussi pour les producteurs, Caroline Piras, Fabrice Lambot et Jean-Pierre Putters, qui défendaient le film sous les couleurs de Metaluna Productions. Bien sûr, il faut relativiser en se disant que Maury et Bustillo ont malheureusement un peu l’habitude de se voir ainsi sacrifiés par une distribution compliquée : si A l’intérieur, leur première incursion dans le petit monde du film d’horreur avait réuni 70 500 fans de gore qui tâche dans 110 salles, leur deuxième long Livide ne s’offrait déjà plus que 17 salles, et stoppait par conséquent sa carrière à 5 100 fans de maison hantée et de jeunes filles mécaniques. Tout ça pour dire qu’on espère franchement qu’Aux yeux des vivants se rattrapera dans les salons des amateurs français de frissons sur celluloïd. D’autant que le film vaut vraiment le détour…

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Aux yeux des vivants… Film de la maturité ?

« En fait, le mélange des influences ne nous gêne pas. C’est peut-être notre plus gros défaut, mais nous on aime ça : on aime les films généreux. Même s’il y en a trop et que tu as envie de dégueuler à la fin, on voulait à tout prix éviter que les gens s’emmerdent… Et puis nous sommes de jeunes réalisateurs, on débute, on a toujours la crainte que le film qu’on tourne pourrait être notre dernier. Et donc on y va, « Et si on foutait un vampire là ? Et une mechanic girl ici ? », on s’emballe, on essaie de tout tasser, et ensuite on écrème, on retire tout ce qui est explicatif pour ne garder que l’imagerie, que ce qui est beau, qui pète… Et au final, ça peut désarçonner puisque tu ne te retrouves qu’avec des tableaux, mais pour nous, ça fonctionne. »

Ces propos de Julien Maury, extraits d’un entretien avec l’auteur de ces lignes à l’occasion du festival du film fantastique de Strasbourg de 2011 où ils présentaient Livide montre à quel point les deux réalisateurs français étaient conscients de ce que beaucoup d’amateurs à la dent dure reprochaient à leur cinéma. Sur ce point précis, Aux yeux des vivants aurait logiquement du faire cesser les quolibets : probablement sur les conseils avisés de leurs producteurs, les duettistes se sont en effet astreints à proposer un récit beaucoup plus resserré, forcément un poil plus linéaire également, au cœur duquel on ne retrouve plus aucun des débordements foutraques qui faisaient de Livide un attachant maelström partant un peu dans toutes les directions. À aucun moment ici le récit ne déviera de son sillon sanglant, gardant bien à l’esprit que le plus court moyen de se rendre d’un point A à un point B est la ligne droite.

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Aux yeux des vivants suit donc sa ligne directrice sans jamais perdre le spectateur dans des digressions visuelles inutiles, et le film y gagne nettement en tension. Une tension tenue également en éveil par des dialogues réalistes et une direction d’acteur claire et nette, qui marque de la même manière un net progrès de la méthode Maury / Bustillo par rapport à leur film précédent. Bien sûr, le film n’en est pas exempt de références pour autant, la bande de gamins de la première partie du film rappelant forcément celle au cœur de films tels que Stand by me ou des productions Amblin des années 80 (sans l’incontournable toutou cela dit), et le décor abandonné de Black Woods des films tels que The funhouse de Tobe Hooper ou encore Carnival of souls de Herk Harvey. Mais ces références n’empiètent jamais sur le déroulement du récit, et au final, Aux yeux des vivants parvient à se créer une identité propre et à coup sûr suffisamment forte pour marquer durablement le spectateur. D’autant plus durablement que la photo signée Antoine Sanier est littéralement à tomber, que certains plans impriment de ce fait quasi-instantanément la rétine et que le film nous propose de découvrir un boogeyman à la particularité physique disons pour le moins… mémorable (et originale).

S’il y avait un reproche à faire à Aux yeux des vivants, il se situe paradoxalement dans sa volonté farouche de ne plus laisser de blanc dans l’intrigue : les dialogues sont parfois un peu redondants ou inutilement explicatifs ; à force de tenter de ne plus faire d’ellipse, les deux scénaristes / réalisateurs sont un poil tombés dans l’excès inverse. Par exemple, au début du film, et pour bien lancer les aventures de nos jeunes héros, les personnages répètent au moins à trois reprises, frontalement ou de façon détournée, qu’il s’agit du dernier jour de l’année scolaire ; dans le même état d’esprit, quand les jeunes gens contemplent le studio abandonné avant d’y pénétrer, l’un d’entre eux lance « Les gars, bienvenue au studio de cinéma de Black Woods ». Un ligne parmi quelques autres un poil too much et un peu scolaires, uniquement destinées au spectateur ayant besoin d’être pris par la main.

C’est amusant d’ailleurs, parce que dans l’excellent making of du film proposé en bonus sur le Blu-ray édité par M6 Vidéo, on sent Alexandre Bustillo vaguement agacé sur le tournage par cet état de fait. Alors qu’une des membres de leur équipe leur fait remarquer que les gamins pourraient très bien, en lieu et place d’escalader le superbe galion pirate attenant aux studios Black Woods, ils auraient aussi vite fait de le contourner, il lui répond : « On ne peut pas le justifier, nous, qu’ils passent par le galion. Sinon ça devient explicatif à mort, et puis on donne des explications de gogol, en plus, tu vois. Ça marchera à l’écran… ». Des concessions ont du être faites, mais au final, le recul de quelques mois et le film tel qu’il existe aujourd’hui lui donnent -à postériori- amplement raison.

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Aux yeux des vivants en haute définition

D’une manière générale, il est rare qu’un film ayant fait moins de 15 000 entrées bénéficie d’une exploitation vidéo sur support Blu-ray. M6 Vidéo avait néanmoins déjà fait des exceptions à la règle avant Aux yeux des vivants, en sortant le très intéressant Territoires d’Olivier Abbou en 2012, alors que celui-ci était sorti dans une seule salle en France (!!!). Dans le même état d’esprit, Shellac compte bien sortir le génial L’étrange couleur des larmes de ton corps en combo Blu-ray / DVD en décembre (5 900 entrées sur 12 salles). Ce qui réunit ces films, si différents soient-ils, est leur appartenance à un cinéma que l’on pourra qualifier d’« extrême », doublé de, dans le cas du film de Maury et Bustillo comme dans celui du couple Cattet / Forzani, un attachement particulier à la mise en scène formelle de leur bébé. Des films particulièrement léchés, visuellement superbes, dont l’exploitation sur support haute définition semble couler de source, même si elle n’était pas gagnée d’avance.

Et il faut admettre que le boulot abattu par M6 Vidéo sur le Blu-ray d’Aux yeux des vivants est d’un très haut niveau. La définition et le piqué sont d’une précision incroyable, les couleurs affichent une vitalité extraordinaire, et le niveau de détail est assez époustouflant. Les scènes sombres ou en basse lumière ne sont pas en reste, le master proposé par l’éditeur ne souffrant d’aucune baisse de régime ; l’encodage étant au diapason, tout est fait pour découvrir le film dans les meilleures conditions possibles. Côté son, on savourera le métrage en DTS-HD Master Audio 5.1. La première partie du film laisse la part belle aux ambiances, avec néanmoins quelques pics dynamiques inattendus et très surprenants. La seconde partie s’avère encore plus immersive et vraiment stressante, utilisant à bon escient la scène arrière pour renforcer les moments les plus éprouvants pour le spectateur.

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En supplément du métrage, on pourra se plonger dans un long making of du film (une heure environ), suivant le tournage jour après jour. Si rien ne l’indique nulle-part, on se demande si ce journal de tournage ne serait signé pas Chloé Coulloud, jeune héroïne de Livide, faisant également une apparition dans Aux yeux des vivants. Bien tenu, relativement bien rythmé, ce making of rend compte avec justesse d’un tournage où l’ambiance semblait globalement à la bonne humeur générale. De la bonne humeur, on en retrouve également en écoutant le commentaire audio du film par les deux réals / scénaristes. S’ils laissent certes quelques blancs s’installer et cherchent parfois leurs mots, les deux lascars fournissent de nombreuses informations inédites, évitant la plupart du temps les redondances avec le making of. Volontiers amusante, cette piste audio se révèle un bon moyen de redécouvrir le film sous un jour nouveau, et un intéressant témoignage de leurs contraintes d’écriture autant que de leur expérience bulgare (oui , l’intégralité du tournage s’étant en effet déroulé en Bulgarie).

Sous l’appellation « galerie photos » se cache en réalité un tour d’horizon ultra-complet des storyboards et croquis préparatifs ayant servi pendant la production d’Aux yeux des vivants. Enfin, on retrouvera également l’intégralité de « Bedtime Stories », la bande dessinée que lit le jeune Victor (Théo Fernandez) dans le film. Cette BD dans le plus pur style des Eerie, Creepy ou autres Tales from the crypt, devait à l’origine servir de générique au film.

 

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Aux yeux des vivants (M6 Vidéo)

2014 • 88 min • Ratio 16/9 – 2.35
Couleur • VF DTS-HD Master Audio 5.1
Sous-titres sourds et malentendants • Chapitrage

Notes :
Image : 5/5
Son : 4,5/5
Bonus : 4/5

Captures Blu-ray – Aux yeux des vivants

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