L'Autre - Image Une Test BRD

L’Autre de Robert Mulligan en Blu-ray : To Kill a Twin

Le film le plus connu de Rober Mulligan est sans aucun doute Du silence et des ombres (To Kill a Mockingbird – 1962). Trois Oscars dont celui du meilleur acteur pour Gregory Peck. L’histoire d’un avocat qui prend fait et cause pour son client noir accusé de viol dans le sud des États-Unis des années 30. Le tout vu par le biais de ses deux jeunes enfants. Film majeur pour ne pas dire incontournable dans l’histoire du cinéma, il représente aussi un des sommets dans la collaboration entre le réalisateur et le producteur Alan J. Pakula avant que celui-ci devienne à son tour metteur en scène avec des réalisations tels que À cause d’un assassinat (The Parallax View – 1974) ou Les Hommes du président (All the President’s Men – 1976), autres films iconiques s’ils en sont. L’Autre (The Other), qu’il réalise en 1972, est sans aucun doute le point d’orgue de sa deuxième partie de carrière. Déjà. Il ne retrouvera en effet plus jamais les mêmes sommets et encore moins la même alchimie au sein d’une filmo qui s’étirera jusqu’en 1991.

L'Autre - Affiche

Il y a en effet ici comme une synthèse. Celle de sa collaboration main dans la main avec Pakula (plus de 10 films ensemble sur plus d’une décennie quand même) et celle d’une envie d’aller voir ailleurs en explorant quelque part le genre fantastique sans pour autant renier ses thèmes de prédilection que sont l’enfance et l’adolescence traitées à hauteur de sujet. L’Autre, c’est d’abord l’adaptation d’un roman écrit par un ancien acteur Thomas Tryon. Voilà un nom qui ne dira pas grand chose au plus grand nombre. Pour ceux qui ont vu Le Cardinal (The Cardinal – 1963) d’Otto Preminger, il joue le rôle titre. Mais l’expérience de tournage plus que pénible (le cinéaste d’origine autrichienne est connu pour rudoyer à l’extrême ses acteurs) qui donnera un film empesé, manquant de souffle et à l’échec commercial retentissant (le plus important de la décennie) finira par tuer progressivement dans l’œuf une carrière bien mal partie de toute façon (il joue encore quelques rôles mineurs jusqu’en 1971 avec comme dernier film Johnny Got his Gun où il n’est même pas crédité au générique).

La reconversion passera par la machine à écrire d’où naîtra en 1971 The Other (Le Visage de l’autre), un best-seller instantané dont les droits seront acquis par Hollywood qui, privilège assez rare pour un novice en la matière, lui en confiera l’adaptation. Tryon pensait même qu’il serait choisi pour passer derrière la caméra. Mais Mulligan qui sortait du succès d’Un été 42, avait signifié son intérêt plus qu’appuyé pour en assurer la réalisation. Qu’à cela ne tienne puisque le dorénavant romancier va enquiller les succès critiques et commerciaux dont la nouvelle intitulée Fedora qui sera elle aussi portée à l’écran en 1978 par le légendaire Billy Wilder (disponible en Blu-ray chez Carlotta).

L'Autre

Quand Tryon écrit Le Visage de l’autre, un roman teinté de surnaturel, de mysticisme et de fantastique, cela n’est pas complètement par hasard s’il embrasse ces thèmes et cet univers. Le succès en 1968 de Rosemary’s Baby de Polanski, adapté lui-même d’un roman qui a cartonné dans les librairies, est en effet passé par là. Il démontrait que le « genre » pouvait aller au-delà de son audience de fans et/ou de niche. Mulligan qui était son propre producteur ici ainsi que la Fox avaient certainement bien cela en tête. Mais L’Autre, s’il emprunte en apparence certains codes bien identifiés du fantastique et de l’étrange, n’en demeure pas moins un film qui s’insère parfaitement dans la filmo d’un cinéaste esthète, romantique et à l’imagerie « pastorale » pour reprendre la terminologie de Pierre Bertomieu (spécialiste du cinéma hollywoodien qui intervient dans les bonus de l’édition DVD MK2 parue en 2008).  D’où peut-être son relatif échec en salles mais aussi qu’il soit devenu avec le temps un classique tout court.

Ne serait-ce que pour sa propension à une nouvelle fois filmer à hauteur d’enfants. Ici, deux jumeaux inséparables dont l’un, diabolique, semble prendre peu à peu l’ascendant sur l’autre. Pour autant, Mulligan ne s’intéresse pas plus que cela aux liens forcément cinégéniques de la gémellité. En tout cas pas comme a pu le faire un Cronenberg avec Faux-semblants (Dead Ringers – 1988) ou encore un De Palma avec Sœurs de sang (Sisters – 1973). Il suffit pour s’en convaincre de voir comment il les met en scène. À savoir qu’il ne les filme jamais dans un même plan alors qu’il disposait bien sur le plateau de deux vrais jumeaux (Chris et Martin Udvarnoky dont ce sera d’ailleurs les seules apparitions au cinéma). Au lieu de cela, il préfère panoter de l’un à l’autre ou de simplement opérer un champ-contre-champ. Les plus clairvoyants découvriront rapidement le « pot aux roses » renforçant donc ce sentiment que Mulligan sait ce qu’il fait en nous orientant très vite sur ce qui l’intéresse : description de la perte de l’innocence et mise en abyme de la folie en utilisant une imagerie gothique proche des productions de la Hammer. On pense surtout à ceux qui ont trait à la sorcellerie qui mettent à jour le lent processus de corruption de l’âme humaine. Le récent The Witch, formellement plus épuré, ne montre d’ailleurs rien d’autre et se nourrit à n’en pas douter du film de Mulligan.

L'Autre

L’Autre délivre aussi ses messages en usant d’un climat progressivement anxiogène. Pour cela Mulligan joue sur une photo aux couleurs d’abord outrageusement chargées mais extrêmement primaires signée par le prolifique Robert Surtees (Ben-Hur, Le Lauréat, Un été 42…) qui donne à l’ensemble une tonalité solaire, bucolique et nostalgique. Puis, peu à peu, le film devient plus dur, plus sombre, plus noir. Les couleurs disparaissent au profit d’un bleu omniprésent rappelant le regard devenu glacial des jumeaux. Il y a aussi la musique de Jerry Goldsmith à la fois entêtante et lancinante où quelques notes de clavecin ici peuvent répondre à de véritables envolées lyriques comme lors de la séquence de transe du début où l’un des deux jumeaux, guidé par sa grand-mère, se projette dans un corbeau pour appréhender sa vision en plein vol.

L’Autre n’est pas un film précurseur mais il est sans aucun doute un film référent qui en aura inspiré beaucoup d’autres dans sa façon d’aborder le genre sans donner l’impression d’y toucher. C’est au demeurant quelque part le fil rouge de la discussion présente en guise de bonus au sein de cette édition entre Fausto Fasulo (rédacteur en chef à Mad Movies) et le réalisateur Pascal Laugier dont le dernier film à date The Secret, s’approprie justement le côté mélange des genres formels (thriller, fantastique…) pour mieux asséner son message politique et social. Ce que doit permettre cette faction du cinéma et ce qu’il ne rend absolument plus compte aujourd’hui. Un entretien croisé très agréable à suivre qui permettra aussi de se rendre compte, pour ceux qui en doutait, que Laugier est un cinéphile averti doublé d’un passionné de la chose aussi viscéral qu’un, au hasard, Christophe Gans.

L'Autre : Bonus Laugier

Ce bonus a aussi le mérite de ne pas faire doublon avec l’excellent livret signé FAL (pour Frédéric Albert Lévy, ex Starfixien de renom) sur lequel d’ailleurs une bonne partie de ce papier repose / s’inspire. Outre un chapitre éclairé sur la production du film et un autre sur l’itinéraire de Mulligan, FAL consacre une dernière partie sur… mais en dire plus révélerait finalement beaucoup trop de choses sur le film. Il n’en demeure pas moins qu’elle donne un éclairage encore plus prégnant sur une œuvre qui décidément n’a pas fini de révéler sa véritable nature.

Un petit mot sur la technique pour confirmer que l’image de ce Blu-ray enterre celle de l’édition DVD MK2. Le contraire eut été une faute de goût manifeste. Ce nouveau transfert issu d’un master impeccable permettra de mieux appréhender ce travail sur la photo évoqué plus haut. On pense ainsi au long travelling en pleine forêt du début opéré vraisemblablement à la grue qui finit par se focaliser sur l’un des deux jumeaux assis au sein d’une clairière que la caméra cette fois-ci statique nous fait découvrir à l’aide d’un zoom progressif. La lumière, la focale, l’ensemble du plan font alors découvrir une sorte de halo autour de l’enfant. Comme si l’autre prenait déjà l’ascendant.

L'autre - Capture Blu-ray

Bon sinon, on vous laisse zieuter les captures comparatives ci-dessous. Cela vaut mieux finalement qu’un long discours. On précise qu’elles sont cliquables.

Enfin, on appréciera aussi le gap sonore que procure l’encodage en DTS-HD MA 2.0 tant en VF qu’en VOST et ce même si le DVD était à l’époque proposé en PCM donc sans compression aucune. Si on privilégiera la VO ne serait-ce que pour le doublage français qui sucre un peu les fraises (les jumeaux en deviennent neurasthéniques avec leur voix façon Collargol), les deux pistes se tiennent dans un mouchoir de poche en ce qui concerne dynamisme d’ensemble et intelligibilité des dialogues. La VO finit tout de même par avoir le dessus par sa patine bien plus réaliste du fait de la captation et d’un rendu bien plus naturel des ambiances. Ce qui en soit est tout à fait logique.

Voilà, y a plus qu’à maintenant…

Notes :
– Image : 4/5
– Son : 4/5
– Bonus : 3,5/5

Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080

L'Autre - Packshot Blu-ray 3DL’Autre (The Other) – Édition Blu-ray + DVD + Livret – de Robert Mulligan (USA – 1972) – WildSide Vidéo – Sortie le 14 septembre 2016

1935, dans un petit village du sud des États-Unis, Niles et Holland Perry, des jumeaux entretenant un lien extrêmement fort, passent leurs journées à jouer ensemble paisiblement. Élevés par leur grand-mère Ada, celle-ci leur enseigne « le jeu »… Un rituel étrange qui consiste à se transformer en objet ou animal par le seul pouvoir de la pensée. Débute alors une série d’accidents de plus en plus macabres…

Spécifications techniques Blu-ray :

  • Image : 1.85:1 encodée en AVC 1080/24p
  • Langues : Anglais et Français DTS-HD Master Audio 2.0 mono
  • Sous-titres : Français, Anglais
  • Durée : 1h 40min 05s

L'Autre - Packshot ouvert BRD

Bonus :

  • Robert Mulligan, l’autre Hollywood : Entretien croisé avec Fausto Fasulo (Mad Movies) et le réalisateur Pascal Laugier (32min30s, HD)
  • Un livret exclusif de 78 pages sur le film et sa genèse, spécialement écrit pour cette édition par Frédéric Albert Lévy (ex Starfix), illustré de photos d’archive rares.

2 réflexions sur « L’Autre de Robert Mulligan en Blu-ray : To Kill a Twin »

  1. Mulligan a fait un très beau western (flirtant avec le thriller psychopathologique et le fantastique) : THE STALKING MOON [L’Homme sauvage] (USA 1968) en scope 2.35.
    Aussi incroyable que ça puisse paraître, il n’existe actuellement ni en bluray américain ni en bluray français ni même en dvd français.

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