Le Roi de coeur (1966) de Philippe de Broca

Le Roi de coeur : De Broca s’en va-t-en guerre

Si une bonne partie des longs-métrages les plus populaires de Philippe de Broca sont déjà disponibles en Blu-ray (à quand le flamboyant Cartouche avec notre Bébel national ?), des œuvres moins connues du cinéaste demeurent encore inédites à ce jour sur le support. Ce qui ne les empêche aucunement de bénéficier d’éditions particulièrement soignées lorsque celles-ci daignent enfin jouer la carte de la HD. À l’instar de ce Roi de coeur (1966) qui ne laisse nullement paraître sa cinquantaine.

Le Roi de coeur : Le mal-aimé

En observant les résultats au box-office français des longs-métrages réalisés par Philippe de Broca, une tendance assez nette se dessine, celle dite des montagnes russes. Entre deux succès (multi)millionnaires s’intercalent en effet des films n’ayant guère recueilli les suffrages du public. Tout en bas de cette échelle box-officienne se trouve Le Roi de coeur avec un bien famélique 141 000 entrées. À titre de comparaison la sortie du film s’intercale entre les 2,7M des Tribulations d’un chinois en Chine (1965) et les 1,6M du Diable par la queue (1969). Un seul film dans toute la carrière de de Broca fera encore moins bien : Amazone (2000) avec à peine 80 000 entrées.

Le Roi de coeur (1966) de Philippe de Broca - Capture Blu-ray

Quelles sont les causes d’un tel désamour du public pour ce Roi de coeur ? Assurément multiples comme nous le relate Michelle de Broca dans l’entretien disponible au sein des bonus. À l’origine du projet, on trouve un certain Maurice Bessy qui avait lu ce fait divers dans le journal à propos de fous évadés d’un asile alors que les allemands approchaient de Paris. Et si à la base le scénario prenait place en 39-45, le chef décorateur François de Lamothe suggéra d’en déplacer l’action en 14-18 en découvrant la ville de Senlis où se déroulera le tournage. Un décalage qui permettait in extenso une certaine distanciation avec la Seconde Guerre Mondiale dont le douloureux souvenir était encore trop présent dans toutes les mémoires et même si le triomphe de La Grande Vadrouille tendait à démontrer qu’on pouvait désormais rire de l’occupation allemande. Bien que la confrontation ne soit jamais évoquée au sein des suppléments, il n’est pas dit non plus que la sortie du film de Gérard Oury deux semaines plus tôt ne porta pas préjudice à la carrière du Roi de coeur pour un projet qui, à la base, n’intéressa aucun producteur français, conduisant de Broca à aller chercher des capitaux outre-Atlantique et à créer sa propre boite de prod Fildebroc. L’ex-épouse du cinéaste assume par ailleurs sa part de responsabilité quant aux mauvais résultats dans les salles de l’Hexagone, jugeant la promotion du film ratée (mauvais titre, mauvaise affiche, etc.) tandis qu’il connaîtra un grand succès aux États-Unis où il débutera au sein du circuit universitaire, devenant « culte » auprès d’un certain public qui y voyait là un parallèle avec une certaine guerre du Vietnam.

Le Roi de coeur (1966) de Philippe de Broca - Capture Blu-ray

Par-delà le bourbier vietnamien, la Première ou bien même la Seconde Guerre Mondiale, Le Roi de coeur se pose avant tout et surtout comme une gigantesque farce pacifiste et foncièrement antimilitaire. Ce n’est pas un hasard si, à la fin du film, la délicieuse Geneviève Bujold qui interprète Coquelicot, la « promise » du Roi, déclame : « Ce sont de drôles de gens » à propos de troupes anglaises et germaniques s’entretuant ou bien que le général Géranium campé par Pierre Brasseur déclare quant à lui : « D’un côté les putes, de l’autre les généraux, la vie est simple » comme pour bien souligner la distinction entre les gens du peuple et les « va-t-en guerre ». Ce n’est pas un hasard non plus si la ville est « laissée » aux mains de ces présumés fous qui chantent, dansent, font la fête, bref profitent de la vie lorsque celle-ci peut enfin reprendre ses droits sitôt le conflit écarté mais jamais bien loin pour autant. La scission entre ces deux « mondes » est en effet soulignée à plusieurs reprises. Ainsi lorsque les nouveaux compagnons du Roi l’exhortent à rester avec eux alors que celui-ci s’apprête à rejoindre son régiment, lui hurlant alors que « ils sont méchants de ce côté-là » et autres « ils ont la mort dans le sang » ou bien encore lorsque Jean-Claude Brialy qui interprète le Duc de Trèfle préfère refermer les grilles de l’asile au sein duquel ont à nouveau « trouvé refuge » ses occupants tout en déclarant, en guise de conclusion au Roi de cœur que « les plus beaux voyages se font par la fenêtre ». Derrière toutes ces fanfreluches et autres pitreries à mi-chemin entre théâtre, cirque et spectacle de rue qui ne dépareille nullement au sein de la filmographie exubérante du cinéaste, Le Roi de cœur est donc avant tout et surtout l’occasion pour de Broca de tendre un miroir au spectateur pour que ce dernier s’interroge sur qui, de ces personnages excentriques ou bien du monde au sein duquel ils évoluent, est le plus fou des deux. Sous ses dehors farfelus, le cœur véritable de ce Roi-là continue donc d’interpeller un demi-siècle plus tard.

Le Roi de coeur (1966) de Philippe de Broca - Capture Blu-ray

Le Roi de coeur : Un Blu-ray royal

Et si, comme le rappelle Pierre Lhomme dans l’autre entretien exclusif à cette édition Blu-ray, ni les acteurs ni les techniciens ne semblaient comprendre exactement quel film ils étaient en train de faire, celui-ci préfère y voir une œuvre sur des « originaux » et non des fous tout en précisant que « Philippe était très sensible à la bêtise de la société » et qu’il profita du Roi de coeur pour « régler ses comptes avec sa famille » (qui comportait plusieurs militaires). Mais derrière les facéties, le cinéaste n’en était pas moins un technicien émérite puisqu’il avait fait une école de photo-cinéma. La caution apportée par son ami de longue date (ils se sont connus à 20 ans) sur cette restauration et l’étalonnage effectuée en 4K à partir du négatif original 35mm et supervisée par Pierre Lhomme en personne comme nous le rappelle l’écriteau au lancement du film est donc oh combien précieuse.

Le Roi de coeur (1966) de Philippe de Broca - Capture Blu-ray

Le résultat à l’écran n’est nullement galvaudé avec en premier lieu un master d’une propreté quasi-immaculée (il conviendra de porter un regard des plus aiguisé pour tenter de déceler les quelques petzouilles de copie restantes) et secondée par un encodage soigné aboutissant à un rendu vidéo précis où le dégrainage sait se faire des plus discrets. Pour autant, le meilleur reste encore à venir avec un rendu des couleurs tout bonnement somptueux qui fait la part belle à l’éventail pour le moins bariolé des costumes et plus globalement de la direction artistique du film dans son ensemble. C’est donc peu de dire que Le Roi de coeur ne fait clairement pas ses cinquante printemps. Même son de cloche du côté de la piste DTS-HD Master Audio 2.0 mono, elle-aussi idéalement nettoyée et permettant d’apprécier l’intégralité du spectre sonore du film (dialogues, musiques signées du très prolifique Georges Delerue, explosions, etc.) avec une limpidité et un dynamisme là-encore des plus surprenants pour un film de cette maturité. Ajoutez-y les deux interviews évoquées ci-dessus ou encore deux autres vidéos d’archive en guise de bonus et vous obtenez une édition Blu-ray du Roi de coeur n’ayant nullement à rougir de la comparaison avec les autres films de Philippe de Broca déjà disponibles sur le support et autrement plus populaires. L’occasion rêvée donc de (re)découvrir cette farce pacifiste méconnue du grand public.

Notes :
– Image : 4,5/5
– Son : 4,5/5
– Bonus : 2,5/5

Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080

Le Roi de Coeur (1966) de Philippe de Broca - Packshot Blu-rayLe Roi de Coeur – Édition Blu-ray – de Philippe de Broca (France, Italie – 1966) – L’Atelier d’Images – Sortie le 24 janvier 2017

À la fin de la Première Guerre Mondiale, les allemands évacuent les villes et villages de France qu’ils occupaient jusque-là. Mais avant cela, ils décident de dissimuler une bombe au sein d’une de ces bourgades, l’engin devant exploser à minuit lorsque les troupes britanniques pénétreront dans la ville. Un soldat anglais, Charles Plumpick, est chargé de localiser le dispositif et de la désamorcer. Il découvre une bourgade désertée par ses habitants, à l’exception des pensionnaires de l’asile de fous. Ceux-ci l’accueillent à bras ouvert, il devient alors leur « roi de coeur ». Plumpick se laisse séduire par ses nouveaux compagnons mais n’en oublie pas sa mission pour autant…

Spécifications techniques :

  • Image : 2.35:1 encodée en AVC 1080/24p
  • Langues : Français DTS-HD MA 2.0 Mono, Audiodescription
  • Sous-titres : Français pour sourds et malentendants
  • Durée : 1h 43min 03s

Bonus (HD) :

  • Entretien avec Pierre Lhomme (10min 02s)
  • Entretien avec Michelle de Broca (9min 21s)
  • Les comédiens sur le tournage (5min 54s)
  • Le monde irréel de Philippe de Broca (1min 25s)
  • Bande-annonce (4min 42s)

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