Barbet Schroeder - Maitresse

Barbet Schroeder en Blu-ray chez Carlotta

La carrière de Barbet Schroeder est atypique et fait de lui un inclassable dans un milieu où tout est souvent carré. Nomade par excellence, il est né en Iran, a grandi dans un milieu germanique, s’est installé un temps en France avant de voyager dans le monde entier. Puis, il s’est fixé aux États-Unis, nation d’exilés par excellence, pour finir par adopter la nationalité suisse. Il a également endossé de nombreuses casquettes et s’est essayé à différents styles. Il commence comme critique aux Cahiers du cinéma puis devient producteur, créant avec Éric Rohmer l’une des maisons de production les plus importantes du paysage français, Les films du Losange, qui permit à de nombreux cinéastes de la Nouvelle Vague de trouver des financements.

Coffret Barbet Schroeder - Carlotta

La carrière de cinéaste de Schroeder débute réellement en 1969 avec un film choc stupéfiant – au sens propre comme au sens figuré – More avant de se tourner vers le documentaire politique, ethnographique, voire animalier. Il dresse notamment le portrait du dictateur africain Idi Amin Dada. Fort de son expérience documentaire, il cherche souvent, même dans ses fictions, à décortiquer l’humain, sa psychologie, ses pratiques. Mais Schroeder est surtout attentif aux déviances qu’elles soient sexuelles dans Maîtresse ou liées à un phénomène de dépendance : la drogue dans La Vallée et le démon du jeu dans Tricheurs. Enfin, en 1987, il s’installe aux États-Unis et se spécialise dans le thriller psychologique. Il reviendra en Europe au début des années 2000.

Carlotta avant déjà édité plusieurs films de Barbet Schroeder voilà maintenant 10 ans. Son nouveau documentaire, Le Vénérable W., qui sort au cinéma le 7 juin 2017, ainsi qu’une rétrospective intégrale au Centre Pompidou au mois de mai de la même année étaient donc l’occasion de rééditer ces films au format Blu-ray dans de nouveaux masters HD. En plus des œuvres de sa période la plus féconde : Maitresse, Général Idi Amin Dada, Koko, le gorille qui parle et Tricheurs, son dernier film avant l’exil hollywoodien, vient s’ajouter un opus plus récent : La Vierge des tueurs. Carlotta édite également, hors coffret, les Charles Bukowski tapes, des entretiens réalisés par Schroeder avec Bukowski en 1987.

Maitresse de Barbet SchroederMaîtresse est incontestablement le meilleur film de Barbet Schroeder. Il le tourne en 1976, après une période particulièrement féconde comme documentariste. Schroeder parvient à tirer profit de ses expériences précédentes pour mettre en scène une œuvre importante, fiction « documentarisante » et occultée lors de son lancement par d’autres films du même acabit comme Salò ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini ou L’empire des sens de Nagisa Oshima sortis quelques mois auparavant. On l’aura compris à la lecture des deux titres précédents, Maîtresse vise à provoquer, à choquer. Certes, il est sexuellement explicite et parfois violent mais il va au-delà de ce principe facile du scandale en image. C’est l’un des seuls films abordant de front le masochisme et, comme tous les films de Schroeder jusqu’aux années 80, il s’agit d’une œuvre forte sur l’humain, sa psychologie, ses pratiques marginales et notamment sur certaines déviances sexuelles.

Un ancien employé d’abattoir rencontre, lors d’un cambriolage, une femme dont il tombera amoureux et qui se révèle être une « maîtresse », une adepte des pratiques sadomasochistes qui met en scène des rituels visant à humilier, à rabaisser et maltraiter les pratiquants afin de les satisfaire. Cet employé, incarné par Gérard Depardieu, va tenter d’intégrer l’univers de cette femme et de l’en faire sortir, démontrant ainsi son impuissance à gérer certains moments extrêmes.

Maitresse de Barbet Schroeder - Coffret Carlotta

Ce film s’intègre tout à fait au contexte historique et social de l’époque. Il se situe à l’un des points culminants de la libération sexuelle et de la monstration de l’acte à l’écran. Alors que les tabous semblent être sans cesse repoussés vers une émancipation maximale du plaisir, Schroeder montre que certains d’entre eux restent refoulés. La pratique mise en avant dans Maîtresse est l’une des plus des plus marquées par les interdits. D’une part, elle associe le sexe au mal et d’autre part, elle fait du plaisir un privilège puisque seule une frange de la population y a accès, la grande bourgeoisie et les restes de l’aristocratie décadente. Ce sont les seules à pouvoir se payer les services d’une maîtresse pour s’adonner à leurs passe-temps lubriques.

Le réalisateur dote son œuvre d’une critique sociale virulente à l’encontre de ces individus, les plus conservateurs, les plus puissants économiquement et politiquement mais également les plus pervertis. Tous semblent vouloir nier ces pratiques considérées comme honteuses, les cacher du monde, ne pas être découverts afin de s’y adonner sans être rabaissé au rang d’individus lambda. Et le spectateur d’assister à la libération la plus crue et la plus sordide de leurs vices. Schroeder signe un film éminemment politique sur l’hypocrisie du pouvoir et la fausse morale, les adeptes de cette pratique s’avérant tous être des drogués de l’autorité cherchant à tout prix à inverser le rapport dominant/dominé pour rétablir un certain équilibre.

L’intérêt du film est également documentaire. En effet, le réalisateur a fait appel de réels adeptes des pratiques SM qu’il a masqués. Ces individus ne savaient pas qu’ils allaient être conduits sur un plateau de tournage, ce qui contribue à accroître la véracité des scènes. Tout est montré de manière directe, dans des conditions réalistes, ce qui permet à Schroeder de sonder et de pénétrer plus en profondeur l’esprit malsain des personnes filmées. À cet égard, Maitresse semble être autant un documentaire sur le SM et la psychologie humaine qu’une histoire d’amour inhabituelle. Le contrepoint apporté par la fiction rétablit d’ailleurs l’équilibre et amène une nouvelle forme de réalité.

Barbet Schroeder - Maitresse

Cette sensation particulièrement vertigineuse prend toute son ampleur dans une séquence intrigante dans un abattoir. À première vue, elle est coupée de toute l’action du film. Gérard Depardieu visite ce lieu morbide et ce moment agit comme un retour aux sources. Soudain, la violence accumulée en lui depuis le début surgit et se matérialise dans la figure d’un cheval tué et saigné (âmes sensibles s’abstenir !) qu’il regarde, le visage impassible, avant de rentrer chez lui manger un steak. Alors que Depardieu est le personnage de la fiction, sa violence s’exprime dans une séquence qui apparaît comme une excroissance du documentaire de Georges Franju : Le Sang des bêtes.

Les rapports de domination sont incessants entre les personnages, et leur mise en scène réussie. Ce que Schroeder filme c’est un entre deux mondes : l’appartement du haut est celui de Bulle Ogier, de sa vraie vie, et l’appartement du bas est étroitement rattaché à la maîtresse : elle descend dans les entrailles de l’immeuble pour assouvir les désirs coupables de victimes consentantes. Le jeu de lumières d’Almendros, alors chef-opérateur fétiche de Schroeder, renforce cette impression. Elles sont très réalistes pour l’appartement du haut et plus expressives voire expressionnistes et colorées en bas, créant une atmosphère énigmatique.

De même, les espaces intérieurs sont le lieu de Bulle Ogier, prisonnière de son « emploi » de maîtresse, et l’extérieur est celui de la libération. C’est là où l’entraîne Gérard Depardieu et où elle retrouve une joie de vivre, où elle s’affranchit de toutes les conventions et du secret qui pèse sur sa pratique. L’opposition est nette entre l’une des premières séquences où Depardieu, qui cherche à dominer, conduit une voiture avec une Bulle Ogier frustrée alors qu’à la fin c’est le contraire. Arrive alors le climax, l’orgasme total. Maîtresse est l’anti-Belle de jour : Ogier cherche la liberté là où Deneuve cherchait l’emprise, Ogier cherche le plaisir de l’autre là où Deneuve cherchait le sien. Schroeder cherche la vérité de l’esprit humain là où Buñuel s’amusait à la manière du surréaliste qu’il était. Deux démarches opposées pour deux films majeurs.

L’un des autres points forts de Maîtresse se situe au cœur du film, au détour d’une réplique. Schroeder, qui s’identifie pleinement à Bulle Ogier, lui fait dire : « C’est fabuleux de pouvoir entrer dans la folie des gens, c’est intime […] je ne participe pas, moi je suis là pour mettre en scène, c’est à moi d’inventer, de rentrer dans leur folie ». Cette phrase résume à elle seule l’enjeu du film. Il s’agit d’une réflexion sur le métier de cinéaste, sur sa démarche. Barbet Schroeder pénètre la folie humaine de la manière la plus intense qui soit. Et qui mieux que lui pouvait à l’époque se targuer d’être le metteur en scène de l’humain, de l’intime et de la folie ?

Général Idi Amin Dada - AfficheIdi Amin Dada est un dictateur africain, démocrate révolutionnaire selon ses propres termes, qui a sévi en Angola au cours des années 70. Quelque peu passé aux oubliettes, il reste de lui l’image d’un homme imbu de lui-même, violent et fou qui se prenait pour le maître à penser de tous les grands de ce monde alors que ces mêmes grands savaient à peine qui il était. Le film de Barbet Schroeder, incontestablement réussi, dresse un portrait saisissant de cet admirateur d’Hitler, antisioniste, et manipulateur invétéré. Son film est aussi un témoignage unique, le tyran ayant rarement accepté de se laisser filmer de cette manière.

Général Idi Amin Dada est donc à la fois un document précieux, une trace historique à prendre en compte et une tentative réussie de pénétrer l’esprit torturé d’un psychopathe au pouvoir. Par là Schroeder proposait une nouvelle vision, 30 ans après la fin de la seconde guerre mondiale, de ce qui pouvait subsister du totalitarisme à un moment où les pays occidentaux tentaient de réparer leurs propres dégâts, délaissant un continent entier ou s’en servant pour faire fluctuer leur économie sans se soucier des dégâts politiques. La séquence de pré-générique, décrivant l’état du pays avant et après l’accès au pouvoir d’Amin Dada, est frappante de ce point de vue.

Général Amin Dada de Barbet Schroeder - Coffret Carlotta

Partagé entre des images de l’homme dans sa vie de tous les jours, des entretiens et une voix-off qui rétablit la vérité sur certains points cruciaux, ce portrait peut se voir également comme une réflexion plus générale sur la forme documentaire. Il aborde des thèmes importants comme la vérité ou la manipulation des images. Il interroge les dispositifs de mise en scène propre au documentaire en les mettant à jour. Certes, les procédés sont différents mais ne sont pas sans rappeler ce que faisait Chris Marker dans Lettre de Sibérie, 20 ans plus tôt.

Déjà le titre laisse songeur. Ce n’est pas un portrait mais un autoportrait. À quoi sert donc Barbet Schroeder si le Général réalise son propre portrait ? La réponse est simple : il sert de guide au spectateur. En effet dans plusieurs séquences on voit Amin Dada montrer au cameraman ce qu’il doit filmer. Par là, il se met lui-même en scène avec sa propre voix en toile de fond. On retrouve mêlé à tout cela un autre style documentaire, celui de la reconstitution. Le général, désireux de montrer son pouvoir va jusqu’à mettre en scène avec l’armée de son pays une fausse tentative de s’emparer d’un territoire ennemi. Avec bien entendu happy-end pour lui et fausse victoire à la clé !

Barbet Schroeder - Général Idi Amin Dada

Schroeder se laisse faire dans un premier temps par le dictateur pour ensuite mieux retourner les images contre ce dernier grâce aux quelques mots de commentaire et au relâchement d’Amin Dada qui se sentait en confiance. À l’aide d’anecdotes amusantes ou effrayantes, de questions menant à des contradictions ou à des non-dits explicites, le cinéaste dévoile la face cachée d’un dictateur. Idi Amin Dada désirait plus que tout contrôler son image comme il contrôlait les médias et son simulacre de gouvernement. Schroeder finit par atteindre son but de manière magistrale. L’auto-dénonciation du régime est parfaite et la réflexion sur les pouvoirs de l’image toujours pertinente.

Koko, le gorille qui parle - AfficheSuite à son film Général… Schroeder s’arrête quelques temps en France, le temps d’y réaliser Maîtresse puis il part aux États-Unis où il trouve matière à réflexion auprès de biologistes, ethnologues et psychologues. C’est là qu’il réalise Koko, le gorille qui parle, l’un de ses films qui sera le plus matière à polémiques. La religion approuvait peu l’idée d’un singe capable de pensées. Mais c’est également l’un des documentaires les plus fascinants sur ce qui est sans doute le thème de prédilection du cinéaste jusqu’aux années 80 : l’Homme. L’intérêt du film est de ne pas tenter de dire des vérités brutes mais au contraire d’apporter plusieurs points de vue différents, même si on sent un intérêt accru pour certaines thèses. Schroeder les confronte et surtout il apporte une matière à réflexion davantage que des réponses toutes faites.

Après une brève séquence résumant des expériences préalables, souvent infructueuses, ayant eu pour but d’apprendre à un singe à parler, Barbet Schroeder se concentre sur l’une des plus surprenantes découvertes scientifiques des années 70. Celle-ci va lui permettre d’aller plus loin dans sa tentative de compréhension de l’être humain et de l’animalité d’un point de vue philosophique. Il va raconter l’histoire de Koko, un gorille auquel plusieurs chercheurs américains venus de Palo Alto, ville dans laquelle est située un important centre de recherche en psychologie et en communication, apprennent le langage des signes.

Koko, le gorille qui parle de Barbet Schroeder - Coffret Carlotta

Le film en quelque sorte fait diversion. Un simple singe permet à Schroeder de revenir à ses obsessions. Si le singe peut parler, même à l’aide de signes, s’il sait cumuler certains mots afin de faire des phrases, même syntaxiquement incorrectes, ou d’avoir des idées, où se situe alors la limite entre l’homme et l’animal ? Le singe, qui a cinq ans, est d’après les biologistes et psychologues juste un peu moins évolué qu’un humain au même âge. Il possède 300 mots courants et en a déjà utilisé plus de 600. Jusqu’à quel stade son développement peut-il évoluer ? Schroeder filme d’ailleurs le singe comme un enfant turbulent qui apprend à se maîtriser et insiste sur certaines scènes de punitions lorsqu’il n’est pas sage. En outre, les moments de discussions présentent la psychologue jouant presque un rôle de maman pour l’animal-enfant.

Barbet Schroeder - Koko

Mais certaines questions divisent et diviseront toujours. Le directeur du zoo se demande comment réagirait Koko maintenant s’il se retrouvait auprès des siens. Il n’est plus vraiment un singe, pas un humain non plus… Qui est-il ? Et peut-il comprendre des notions aussi abstraites que le bien et le mal, la jalousie ou l’amour ? Koko est en fait un reflet, au sens où il fait office, pour le cinéaste, de miroir de la nature humaine. Il ne reste plus au spectateur qu’à plonger en lui-même et à s’interroger au-delà de ses présupposés, à voir la part d’animalité dont nous sommes composés et dont Schroeder scrute sans cesse les apparitions dans son œuvre. Et c’est en cela que le film est fondamental et particulièrement réussi.

Tricheurs - AfficheAprès Koko… Barbet Schroeder reste une première fois aux États-Unis pour monter un film qui ne se fera que 10 ans plus tard. Entre temps, il repart en sur le vieux continent pour réaliser ce qui sera son dernier film Européen avant les années 2000 et son dernier grand travail fictionnel comme explorateur des consciences et des déviances humaines : Tricheurs. Dans ce film, il met en scène un homme accroc à la roulette qui peut gagner et perdre des sommes folles en quelques heures. Il passe sans sourciller du statut de nabab à celui de crève-la-faim. Il est accompagné d’une femme ou femme-objet puisqu’elle est son porte bonheur. Elle n’est, dans un premier temps, qu’un numéro pour lui. Le 7. Étrange scène de rencontre à 7h07 près d’une affiche de 7’up alors qu’elle porte une robe numérotée 7. Elle va le suivre, il va la perdre. Il sombrera dans la tricherie, avant de la retrouver. De là l’ambiguïté du film va naître : s’ils vont tenter de s’en sortir, elle aura sur lui un effet cathartique et libérateur, la contagion du jeu la gagne et rend les choses plus difficiles, plus extrêmes, plus violentes encore.

Pour Tricheurs Schroeder retrouve son actrice fétiche, Bulle Ogier, qui a participé à chacun de ses films depuis La Vallée et qui semble incarner la mère des vices, des passions et de la destruction. C’est l’entraîneuse par excellence mais également – les deux facettes ne sont pas antinomiques mais complémentaires – une figure de la liberté et de la marginalité. C’est aussi ce qu’elle était déjà dans La Salamandre d’Alain Tanner. Face à elle, Jacques Dutronc, acteur à ses heures perdues, partagé entre un non-jeu et un sur-jeu assez caricatural, reste convaincant en accroc de la roulette. Schroeder a su utiliser au mieux ses défauts d’acteurs pour en faire un personnage hors norme lui aussi.

Tricheurs de Barbet Schroeder - Coffret Carlotta

Le cinéaste a un regard parfois documentaire sur cette psychose, partagé entre des scènes de souffrance intense, de folie et de vie quotidienne. Il reste à distance souvent, s’approche parfois, oublie tous les discours inutiles et concentre sur l’action et les scènes de passage entre deux états. La « normalité » et la folie. Un docteur Jekyll et son Hyde qui sommeille et se réveille sans pouvoir être contrôlé.

Certaines séquences sont brillamment mises en scène, comme celle où il dilapide son argent pendant que Bulle Ogier se saoule. Leur réconciliation a lieu dans un couloir bleuté, aux formes arrondies, un entre deux pour une tentative d’explication déconcertante et une demi-mort. L’autre point fort du film est son rythme, que le cinéaste sait doser. Se servant de son expérience de documentariste, il privilégie une approche comportementale et non sensationnelle comme peu cherchent à le faire. C’est à la fois ce qui fait la force du film mais aussi sa faiblesse car le spectateur est parfois maintenu trop à distance pour s’identifier aux personnages.

Barbet Schroeder - Tricheurs

De tout cela se dégage une nouvelle réflexion sur l’humain, la perte de contrôle de ses désirs et la mécanique tortueuse de son esprit. Malgré une fin peut-être convenue, il se dégage une certaine poésie comme lorsque Dutronc explique qu’il se sent bien une fois qu’il a tout perdu. Il ne lui reste alors que la contemplation du monde et de ses petits plaisirs…

La Vierge des tueurs - AfficheIl est parfois dommage de découvrir un film une quinzaine d’années après sa sortie comme c’est le cas pour La Vierge des tueurs de Barbet Schroeder. Ce qui semblait alors osé, novateur voire révolutionnaire, est aujourd’hui devenu tellement commun que ce film, qui expérimentait des choses qui ne se faisaient guère ou alors rarement au début des années 2000, semble un peu simple et plat maintenant.

À l’époque Schroeder est dans une phase de transition. Il vient de réaliser six films en 13 ans aux États-Unis et, las d’Hollywood, il retrouve la productrice Magaret Ménégoz et la société qu’il a co-fondée en 1962, Les Films du losange, pour un thriller en Colombie. Il retournera tourner Calculs meurtriers en Californie deux ans plus tard avant d’entamer une nouvelle carrière en Europe.

Autant Schroeder avait l’habitude – et il la reprendra – d’alterner documentaire et fiction, autant sa parenthèse hollywoodienne l’a entrainé dans les méandres de la fiction pure, thrillers en tête, sans lui laisser l’opportunité de faire autre chose que ces quelques œuvres certaines intéressantes mais également très calibrées. Avec La Vierge des tueurs, il adapte un roman publié quelques années auparavant par Fernando Vallejo et reste dans un récit très construit d’un bout à l’autre, mais sa mise en scène le ramène vers quelques aspects documentarisants.

Les acteurs employés sont non-professionnels (le film sera le premier de presque tous les protagonistes) et Schroeder tourne en décors naturels, directement dans les rues de Medellín qu’il observe et montre dans une grande profondeur de champ comme pour essayer de capter la vie intérieure de la cité colombienne. Et surtout, afin de se faire « discret » et d’observer les différents quartiers de la ville, il s’arme d’une caméra numérique assez légère et maniable avec une petite équipe.

La Vierge des tueurs de Barbet Schroeder - Coffret Carlotta

Dans ce film, Medellín devient un personnage au même titre que ceux qui font le récit. Récit assez sauvage, osé et cruel en soi puisqu’il montre la violence ordinaire des gangs et des tueurs dans la ville avec ses habitants habitués et la misère générale qui règne. Mais aussi parce que l’histoire d’amour au cœur de La Vierge des tueurs est celle d’un homme d’âge mur qui rentre en Colombie après de longues années à l’étranger et d’un jeune homme à peine sorti de l’adolescence issu des bas-quartiers de la ville. Au-delà du réalisme, le dernier tiers devient un peu plus kitsch avec une entrée dans un univers légèrement fantastique, relié à la perte d’une religiosité qui vient pour autant toujours hanter le paysage et le thème du double qui perturbe un peu l’histoire. Mais formellement, ce qui se dégage est une impression assez télévisuelle, ancrée fin des années 1990 et début 2000 et qui passe plus difficilement maintenant.

De même, aujourd’hui le numérique a pris son essor, les histoires d’amour homosexuelles ne sont plus aussi rares au cinéma, et les films comme Cidade de deus et autres ont amplifié la monstration de la violence quasi gratuite issue des favelas ou des populations défavorisées. Du coup, malgré l’intérêt du film, et une originalité certaine, cette impression vague d’assister à quelque chose de récent mais pourtant un peu dépassé perdure.

Barbet Schroeder - La Vierge des tueurs

Avis technique du coffret Barbet Schroeder

Les 5 films du coffret Carlotta sont proposés en 3 Blu-ray et 5 DVD. Nous nous concentrerons ici sur les Blu-ray. Tricheurs et Maîtresse sont sur le même disque, de même que Général Idi Amin Dada et Koko, le gorille qui parle. On pouvait avoir peur d’une perte de qualité avec deux films sur un seul Blu-ray mais il n’en est rien. En plus d’un master soigné, pratiquement sans défaut, comme c’était déjà le cas sur le précédent coffret, on a une image avec un beau piqué, respectueux des couleurs, des formats d’écran et de pellicule. Le grain sera plus marqué dans Général Idi Amin Dada puisque le film a été tourné en 16mm. Il en est de même pour La Vierge des tueurs, présent quant à lui tout seul sur un Blu-ray. Le format est un 1.78, lié à l’esthétique d’un tournage en numérique sur HDCAM. Dans l’ensemble, on ne constate que très peu de problèmes techniques à l’image.

Les films sont tous présentés en version originale DTS-HD MA 5.1 & 2.0 pour La Vierge des tueurs et DTS-HD MA 2.0 & 1.0 pour les quatre autres titres. Là aussi le son est de bonne facture. Certes une légère perte de qualité peut être perceptible, notamment dans les documentaires, mais c’est essentiellement dû aux conditions originelles de tournage et dans l’ensemble ce n’est rien d’important. Tout a été correctement restauré et certainement pas modifié et c’est le principal. On appréciera aussi le 5.1 de La Vierge des tueurs, film dans lequel la musique résonne fort et où les bruits d’ambiance liés à la ville sont importants dans le portrait qu’on en fait. L’amplitude du son est plutôt intéressante et on parvient à distinguer les diverses textures des voix, sons et musique sans trop de problème.

Coffret Barbet Schroeder - Carlotta

Pour les 4 premiers films, les suppléments sont pour l’essentiel les mêmes que ceux des premières éditions. Seul s’ajoute – disponible seulement sur le DVD de Tricheurs – un bon documentaire, très historique, sur la carrière de Schroeder. En 56minutes, Victoria Clay Mendoza, spécialiste des portraits d’artistes, reprend les principaux moments de sa vie, revient sur les films et thématiques majeurs et offre tout ce qu’on peut attendre d’un tel document. C’est donc une agréable introduction !

Sinon, on a droit à un long entretien entre Barbet Schroeder et le critique et analyste Jean Douchet sur chaque film. Ils ne sont pas vraiment aussi inédits que la présentation l’annonce puisque déjà présents sur les DVD mais l’important n’est pas là. Ils sont tous très bien faits, nous apprennent beaucoup sur chacun des films et c’est surtout ce qu’on attend. La Vierge des tueurs est également accompagné d’un making-of plutôt long. Il est parfois répétitif par rapport à l’entretien mais les deux se complètent bien.

Dommage qu’on n’ait pas eu l’apport d’une personnalité extérieure comme c’est le cas pour Amin Dada, Koko, Maîtresse et Tricheurs. Carlotta réutilise ces bonus déjà très bien fait pour nous faire découvrir une sorte d’envers du décor plutôt théorique avec un documentariste, auteur d’un film sur Mobutu pour le premier, un ethnologue et anthropologue spécialiste des primates pour le deuxième, deux spécialistes du sado-masochisme pour le troisième et enfin un thérapeute spécialiste des jeux et des addictions pour le dernier. Chacun de ces compléments propose une bonne mise en perspective des thèmes abordés dans les films.

Notes pour l’intégralité du coffret :

  • Image : 4/5
  • Son : 4/5
  • Bonus : 4/5

 Spécifications techniques Blu-ray du coffret Barbet Schroeder :

Général Idi Amin Dada + Maitresse
1 BD-50
Image : 1.37:1 et 1.66:1 encodé en AVC 1080/23.98p
Langues : VF DTS-HD MA 2.0 & 1.0 / audiodescription DD 2.0
Sous-titres : Français Sourds et Malentendants

Suppléments :
Entretien avec Barbet Schroeder par Jean Douchet (21min)
Entretien avec Thierry Michel : Idi Amin Dada, général ubuesque (16min)
Préface : L’Ouganda au temps de Dada (6min)

Entretien avec Barbet Schroeder par Jean Douchet (18min)
Entretien avec Jean Streff : Maitresse sans dessus dessous (17min)
Interview avec Jeanne de Berg : Une femme et son double (13min)

Cliquez sur les captures Blu-ray du film Maîtresse ci-dessous pour les visualiser au format 1920×1080

Cliquez sur les captures Blu-ray du film Général Idi Amin Dada ci-dessous pour les visualiser au format 1920×1080

Koko, le gorille qui parle + Tricheurs
1 BD-50
Image : 1.37:1 et 1.66:1 encodé en AVC 1080/23.98p
Langues : VF DTS-HD MA 2.0 & 1.0 / audiodescription DD 2.0
Sous-titres : Français Sourds et Malentendants

Suppléments :
Entretien avec Barbet Schroeder par Jean Douchet (19min)
Entretien avec Frédéric Joulian : Koko, qui ? Que ? Quoi ? (16min)
Bande-annonce

Entretien avec Barbet Schroeder par Jean Douchet (20min)
Entretien avec Serge Minet : Jouer n’est pas tricher (16min)
Documentaire : Some more : Barbet Schroeder (2015 – 56min) – Disponible uniquement sur le DVD.

Cliquez sur les captures Blu-ray du film Tricheurs ci-dessous pour les visualiser au format 1920×1080

Cliquez sur les captures Blu-ray du film Koko, le gorille qui parle ci-dessous pour les visualiser au format 1920×1080

La Vierge des tueurs
1 BD-50
Image : 1.78:1 encore en AVC 1080/29.97p
Langues : VO DTS-HD MA 5.1 & 2.0
Sous-Titres : Français

Suppléments :
Entretien avec Barbet Schroeder par Jean Douchet (31min)
Making-of (41min)
Bande-annonce

Cliquez sur les captures Blu-ray du film La Vierge des tueurs ci-dessous pour les visualiser au format 1920×1080

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