Anatahan - Image une test Blu-ray

Fièvre sur Anatahan en Blu-ray chez Lobster Films

Fièvre sur Anatahan est le dernier film que mettra en scène Josef von Sternberg (Jet Pilot, sorti en 1958, a été tourné en 1951), le réalisateur austro-américain qui une vingtaine d’année plus tôt commettait L’Ange bleu  avec une certaine Marlene Dietrich. Le début d’une collaboration qui s’étendra sur 6 autres films avec celle qui deviendra une icône hollywoodienne. Quand von Sternberg officialise leur rupture professionnelle à l’issue du tournage de La Femme et le pantin, il n’aura de cesse d’affirmer par la suite avoir « cessé de faire du cinéma en 1935 ». Mais c’est sans compter sur ce Fièvre sur Anatahan réalisé en 1953 au Japon qui est sans aucun doute sa réalisation la plus personnelle ainsi que de son propre aveu, son film le plus abouti. Il faut dire que von Sternberg, aussi crédité à la photo, à la production et au scénario, avait eu les coudées franches pour réaliser une œuvre dont il aura le contrôle absolu. Si Fièvre sur Anatahan fut au final un échec commercial à sa sortie au Japon mais aussi aux États-Unis et ailleurs, qu’il fut remonté pour une deuxième exploitation à la fin des années 50 sans plus de succès, il mérite d’être (re)découvert aujourd’hui dans cette version director’s cut de 1958, réputée la plus fidèle aux intentions du cinéaste, ne serait-ce que pour l’universalité de son discours et l’étude sur la société humaine aux conclusions malheureusement toujours aussi prégnantes. La modernité n’a pas d’âge d’autant que cette édition Blu-ray de par sa signature technique lui redonne  une seconde jeunesse.

Anatahan - Affiche 1953

Un groupe de soldats japonais, survivants d’une attaque aérienne qui a coulé leur bateau, échoue sur Anatahan, une île japonaise vidée de sa population. On est en juin 1944 et après quelques jours d’errement, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas tout à fait seuls. Le gardien d’une plantation et ce qu’ils pensent être sa femme y sont restés bravant l’interdit des autorités. Ils vont finalement rester là jusqu’en 1951 avec l’intention de défendre l’île de l’envahisseur yankee puis rejetant l’offre de reddition ne voulant pas croire que leur pays avait capitulé depuis août 45. L’histoire est basée sur des faits strictement avérés mais aussi sur le récit d’un des survivants qui a couché au sein d’un bouquin ces 7 années passées dans une forme de prison à ciel ouvert où personne n’est rentré indemne quand certains y ont laissé leur vie. Peu de films ont fait l’objet de ce qui est devenu une ligne importante de l’histoire du japon. Ceux que l’on a appelé les « zanryū nipponhei » pour « traînards », ces soldats japonais qui ont refusés la capitulation, ont pu être évoqués au détour de séries ou de films bien souvent américains mais n’ont jamais été traités en tant que tel sinon ici au sein d’un film dont on précisera à toutes fins utiles qu’il est de nationalité japonaise.

Pour autant, von Sternberg ne fait pas de ce qui n’était qu’un fait divers à l’époque, le sujet central de son film. Ou plutôt, il ne veut pas en faire ce qui pourrait le définir par la suite. Il ne s’agit pas de réaliser un film historique pour les futures générations ou de stigmatiser la guerre avec ses vainqueurs et ses vaincus. Non, ce qui intéresse von Sternberg c’est (toujours) la femme. De celle qui va comme ici attiser les convoitises, provoquer la luxure et bien entendu la mort. Le fait que le récit se déroule sur une île quasi déserte du pacifique à la fin de la seconde guerre mondiale importe finalement peu. Von Sternberg utilise ce présupposé à des fins bien précises que d’aucuns ont qualifié d’anthropologique. En gros, Fièvre sur Anatahan se propose d’étudier l’être humain dans une situation donnée afin d’en caractériser certaines lignes de force. Ce qui revient ici à montrer que le soldat japonais entraîné et limite fanatique va avoir les mêmes déviances que n’importe quel autre être humain plongé dans la même situation. On peut être différent par notre éducation ou notre environnement social, mais au final on est tous égaux devant nos pulsions primaires. En tenant ce propos et en en faisant l’éclatante démonstration, von Sternberg avait pour ambition dans l’immédiat après-guerre de rapprocher les peuples. À quoi bon se faire la guerre si finalement tout le monde se ressemble ? Plus de zones d’ombre, plus de peur de l’inconnu…

Anatahan - Affiche 2018Affiche de la ressortie 2018 en version restaurée

Autant dire que le message ne plaira pas à grand monde. À commencer par les japonais eux-mêmes qui y verront une critique virulente de leur mode de vie et de leur société assénée par un cinéaste de la nationalité des vainqueurs en mode donneur de leçons. Les autres pays seront décontenancés par la forme où une voix-off explicative se superpose tout au long du film à des dialogues en japonais jamais sous-titrés. Ajoutés à cela des décors ostensiblement décrits en carton d’introduction comme étant créés de toute pièce dans les Studios de Kyoto, l’ancienne capitale du Japon, et on a là comme une artificialité assumée et un décalage supplémentaire vis à vis de l’action, propres à rejeter le spectateur aux portes d’un film qui montre de surcroît une société humaine dans ce qu’elle a de plus vile et de profondément animale. Jusqu’à la femme baptisée ici « La reine des abeilles » dont les traits de caractère se résument à un objet sexuel retors puisqu’à la fois dominant mais aussi dominé. Josef von Sternberg ne propose aucun échappatoire et tel le générique de début qui montre des poissons dans un aquarium, tout le monde se cogne aux parois du cadre, renvoyant chacun à ses démons, les spectateur avec.

Découvrir ou redécouvrir pour les plus cinéphiles Fièvre sur Anatahan ne peut donc que bluffer encore aujourd’hui. Ou plutôt aujourd’hui encore plus qu’hier. C’est qu’à l’heure où nos sociétés n’en finissent plus de s’éloigner l’une de l’autre, l’incompréhension devient maintenant galopante au sein même de chacune d’entre elles. Et les « expérimentations » de Josef von Sternberg d’avoir pris les atours de la télé réalité (exemple parmi tant d’autres) où il ne s’agit plus de tirer les leçons des travers de l’Homme mais bien de s’en repaître et d’en rire à ses dépends.

Un Blu-ray qui affiche au thermomètre de la rédac un joli 38,5°

Une telle leçon qui va bien au-delà du cinéma n’avait eu jusqu’ici que les honneurs d’une pauvre sortie en DVD chez Film Sans Frontières il y a une petite dizaine d’années. On ne reviendra pas sur la légitimité de cet éditeur au sein de notre paysage vidéo, mais à l’évidence il était grand temps que Fièvre sur Anatahan puisse enfin bénéficier d’une édition digne de ce nom d’autant que nos amis anglais (Eureka) et américains (Kino Lorber) en sont pourvus depuis 2017. Deux éditions sur lesquelles Lobster Films s’est beaucoup appuyé pour concevoir la sienne. À savoir déjà la présence du même master dont la restauration en 2K a été effectuée en collaboration avec le Library of Congress (dont les missions de préservation et de restauration peuvent s’apparenter à ceux de notre cinémathèque à la différence qu’elles ne se cantonnent pas au seul domaine du cinéma), la Cinémathèque Française et Lobster Films justement. Ce qui donne dans les faits une image plutôt convaincante même si non exempte de défauts mineurs et certains majeurs à même la pellicule qui pour une raison inconnue n’ont pas été gommés lors du process de restauration. On mettra de côté au sein de cet inventaire les images d’archive ou stock-shots forcément très abimés même après lifting.

Anatahan - Capture BDNon, le gros point blanc n’annonce pas la venue d’un Kraken surgissant des profondeurs

Mais ce serait dommage de ne se focaliser que sur ces scories tant la copie qui nous est soumise sied parfaitement aux standards élevés que l’on se doit de constater pour une image Blu-ray. À commencer par des contrastes aux abonnés présents qui mettent en valeur cette jungle de Studio et donc la mise en scène de von Sternberg qui ne cherche aucunement à faire dans le naturalisme ou le documentaire. La définition de l’ensemble fait aussi plaisir à voir et ce malgré une absence notable de grain pellicule tandis que le travail sur le N&B rend parfaitement compte de la photo assez stylisée que von Sternberg accompagné de Kōzō Okazaki ont élaborée.  Sur le versant sonore, Lobster Films propose la VO en PCM mono 2.0. Si, devant les premiers retours acerbes en son pays, le co-producteur Nagamasa Kawakita a fait réaliser une version où  la voix-off est en japonais, il ne semble pas que sur le même principe un pendant VF ait vu le jour. Nous avons donc bien droit à la version où c’est la voix de von Sternberg que l’on entend et qui décrit à sa manière le déroulé et les enjeux du film. Au passage, on ne dira jamais assez que ce procédé plus souvent utilisé dans le documentaire apporte ici un éclairage et une profondeur à l’intrigue totalement novatrice, inédite (en ce qui nous concerne en tout cas) et in fine totalement justifiée. Autant dire aussi que voilà une bande son qui ne va pas mettre à mal les circuits de décodage de votre ampli. Mais il le mettra tout de même à contribution par la finesse de l’équilibre qu’il lui faudra sans cesse trouver entre le tapis sonore avec les dialogues en japonais, la musique et cette voix-off donc.

Anatahan - Coupure de presse Life Coupure de presse issue du magazine Life avec en photo la véritable « Reine des abeilles »

Il sera alors temps de se plonger dans les compléments que l’on aurait espérés plus riches eu égard à l’importance du métrage. Mais peut-être sommes nous un poil trop exigeant face à un combo Blu-ray + DVD vendu à moins de 15 euros. Le fait est que Lobster a repris la quasi totalité des bonus produits par Kino. On trouve ainsi une rencontre avec Nicolas von Sternberg, le fils du réalisateur, qui nous confie quelques souvenirs de tournage forcément parcellaires et pas forcément significatifs vu qu’en 1953 il n’avait qu’un an. Mais ce sont leurs discussions sur le film des décennies plus tard dont il nous rend compte qui sont passionnantes car elles montrent un cinéaste touché par cette fin de carrière injuste mais fier d’avoir réalisé un tel morceau de cinéma. Le reste est anecdotique à commencer par quelques scènes de nu de l’actrice Akemi Negishi coupées au montage et que l’on reverra par la suite dans plusieurs films de Kurosawa. Ou encore un inventaire des passages qui diffèrent entre la version de 53 et celle de 58. On notera d’ailleurs que Kino et Eureka proposent en sus l’intégralité de la version de 53 qui n’avait certes pas la préférence du réalisateur mais dont la présence d’un point de vue stricte d’histoire du cinéma est plus que justifiée. Si l’on a droit aussi à un reportage muet d’époque montrant l’arrivée des survivants au Japon, on aurait quand même aimé voir/lire un document qui aurait mis en perspective ce film dans la carrière de von Stenberg. Comme le fait qu’il se soit retrouvé au Japon pour faire ce film, lui, le pur produit hollywoodien. Lui, l’homme fasciné par la culture du Japon qu’il avait visité avant guerre et dont il était revenu bien décidé à y faire un film. Mais la guerre l’en a empêché repoussant cette aventure à la décennie suivante.

Si Lobster Films n’a donc pas vu les choses en grand façon coffret définitif ou ultime, cette édition combo DVD + Blu-ray de Fièvre sur Anatahan remplit parfaitement son office en proposant pour un coût somme toute raisonnable un des fleurons du cinéma mondial qui était jusqu’ici traité en nos contrées d’une manière indigne. Injustice quelque peu réparée donc.

Anatahan - Jaquette 3D Combo Blu-ray + DVD
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Fièvre sur Anatahan (Anatahan – 1953) – Édition Combo Blu-ray + DVD

Réalisateur : Josef von Sternberg
Éditeur : Lobster Films
Sortie le : 12 novembre 2018
 
Juin 1944. Un groupe de soldats japonais fait naufrage sur Anatahan, une île presque déserte du Pacifique. Seuls deux occupants y habitent encore : Kusakabe, le gardien d’une plantation abandonnée, et Keiko, sa compagne. Face à l’isolement, la belle Keiko va bientôt devenir l’objet de toutes les convoitises…

 

Spécifications techniques :

  • Image : 1.37:1 encodée en AVC 1080/24p
  • Langues : Anglais PCM 2.0 mono
  • Sous-titres : Français
  • Durée : 91min 23s

Bonus (HD – VOST) :

  • Saga – The making of Anatahan (15min 33s)
  • Comparaison des versions 1953 et 1958 (8min14s)
  • Scènes coupées – Nus de Keiko (2min 52s)
  • Bande annonce originale 1953 (2min 28s)
  • Reddition des japonais de l’île d’Anatahan (8min 01s – muet)

Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080

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