We are what we are - Version US

We are what we are : Mexique vs. USA

Début septembre, Wild Side a eu la bonne idée éditoriale de sortir conjointement en vidéo le film d’horreur mexicain et bête à festivals Somos lo que hay (Jorge Michel Grau, 2011) et son remake américain, We are what we are (Jim Mickle, 2013). Cette sortie couplée est donc l’occasion pour nous de revenir sur deux conceptions diamétralement opposées du film horrifique, car contrairement à des cas tels que celui, récent, de la confrontation entre Morse et Laisse-moi entrer (qui comptaient plus de points communs de de différences fondamentales), cette double relecture du film de cannibales nous donne à observer deux visions très différentes du mythe…

Ne nous jugez pas ou l’horreur naturaliste

Commençons avec le film mexicain, retitré Ne nous jugez pas par Wild Side à l’occasion de sa sortie sur support DVD (et sur DVD uniquement). Le DVD arbore une très jolie jaquette, nous montrant une jeune fille se baignant dans une baignoire remplie de sang. Et c’est certes un détail, mais cet élément graphique risque au final de faire grincer pas mal de dents, pour la simple raison que s’il s’agit bien d’un photogramme issu du film, la jeune fille en question se baigne en réalité dans… de l’eau. Hé oui ! Point de grand guignol à l’horizon pour le premier film de Jorge Michel Grau, mais « juste » une plongée extrêmement réaliste dans les bas-fonds de la société mexicaine.

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We are what we are - Version mexicaine

Le saviez-vous ? Bien qu’il s’agisse d’un film mexicain, Ne nous jugez pas ne comporte ni moustache, ni tequila, ni sombrero.

Ne nous jugez pas est en effet un film profondément ancré dans la réalité sociale de son pays. Évitant avec brio le côté « carte postale » que peuvent avoir certains films par trop « exotiques » pour nous autres occidentaux d’Europe, le film de Grau dresse un constat social du Mexique absolument affolant, donnant à voir au spectateur un pays gangréné par la pauvreté et la violence, en état de délabrement avancé, et au cœur duquel la corruption règne en maître (les putes et les camés dictent leur loi, la police n’en branle pas une et pille les maisons…).

We are what we are - Version mexicaine

Par là même, l’argument fantastique / horrifique de Ne nous jugez pas est quasiment absent. On est en présence d’un film d’horreur naturaliste, qui, formellement, se rapproche beaucoup du film dit « social », pris sur le vif. Ce n’est pas à proprement parler qu’il n’y ait aucune recherche formelle, puisque certains plans et séquences sont très élégants dans leur sobriété forcenée, mais on n’est pas en présence d’un film aux plans richement composés avec une photo de ouf malade, non, on nage en pleine tradition du cinéma documentaire ; il n’est pas étonnant d’apprendre que le premier film du réalisateur Jorge Michel Grau était un court-métrage documentaire (Kalimán, 2006). L’éditeur ne s’y est d’ailleurs pas trompé : si Wild Side ne propose aujourd’hui Ne nous jugez pas que sur support à définition standard, il y a une raison : un encodage HD ne proposerait qu’un très faible gain qualitatif par rapport au DVD.

We are what we are - Version mexicaine

Cette façon froide d’aborder le genre, qui nous propose de découvrir cette histoire de cannibales à la façon d’un sordide fait divers, est à la fois la force et la faiblesse de Ne nous jugez pas. S’il est desservi par sa photo qui n’accroche qu’en de rares occasions la rétine et par sa lenteur et ses plans un brin poseurs (genre tu l’as vu mon film indépendant Coco ? Ça c’est de l’Art conscientisé, Coco), il faut admettre qu’il sait par moments réellement imposer le silence grâce à son réalisme abominable, littéralement effroyable.

Les intentions du réalisateur sont d’ailleurs bien servies par un DVD de haute volée, qui propose le film dans un master flambant neuf à l’encodage irréprochable (VOST uniquement). La galette éditée par Wild Side permettra aux fans de fantastique insidieux de découvrir un long-métrage dont l’originalité est destinée à marquer les mémoires. En complément de programme, un making of de presque une heure rend compte de la franche bonne humeur présente sur le plateau.

We are what we are - Version mexicaine

We are what we are, version U.S

Si le nom de Jorge Michel Grau était inconnu au bataillon (et pour cause, Ne nous jugez pas était son premier long-métrage), celui de Jim Mickle l’est nettement moins : Mickle est en effet l’une des têtes de file d’une nouvelle vague de cinéastes horrifiques US, dont les films sont très suivis par une poignée d’aficionados du genre, arborant souvent fièrement tatouages, barbes, poils et T-Shirts bariolés. Aux côtés de ses confrères Ti West et Rob Zombie, Jim Mickle signe depuis quelques années des films d’horreur underground ayant fait forte impression dans de nombreux festivals à travers le monde.

We are what we are est son troisième long-métrage. En guise de carte de visite, Mickle nous proposait le brillant Mulberry Street – un quartier délabré de New York, la canicule, des rats et ça y est, c’est l’invasion de zombies – et le très intéressant Stake Land – un post-nuke vampirique dont s’inspirera énormément la série The walking dead… Excusez du peu, m’sieurs dames.

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Et la nature de remake de son petit dernier ne l’empêche pas de parfaitement s’intégrer dans la filmo du bonhomme, qui en quelques films seulement, s’est créé une « famille » cinématographique qu’on retrouve une fois de plus à ses côtés : l’acteur Nick Damici co-signe à nouveau le scénario en plus de jouer dans le film, et Kelly McGillis, à qui il avait redonné sa chance dans Stake Land, est également de la partie. Ryan Samul, directeur photo de Mickle depuis son premier long, reprend aussi du service, nous offrant des visuels époustouflants, à la fois naturels, lumineux et étrangement oppressants. Aux côtés des habitués s’intègrent au casting deux « gueules » du cinéma indépendant US : l’épatant Bill Sage, vraiment tétanisant dans son rôle de trouble patriarche, et le toujours impeccable Michael Parks.

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Ce qui surprend le plus de prime abord quand on entame le visionnage de We are what we are en gardant à l’esprit l’œuvre qui lui sert de point de départ, c’est son esthétique ultra-soignée : le film est rempli de plans superbes, composés avec un sens du cadre incroyable. Mais il ne s’agit pas non plus d’une coquille vide : oscillant avec talent entre le thriller tendance psychologique et le pur cinéma de genre, le film révèle rapidement sa nature exigeante, refusant les facilités du tout-venant de la production horrifique actuelle. Même si, comme dans leur collaboration précédente, Mickle et Damici mettent en place une intrigue dont les péripéties ne proposent pas de réelle surprise pour le spectateur (du moins jusqu’à son final, qui pour le coup risque littéralement de vous clouer à votre fauteuil), l’enchainement un peu « mécanique » des éléments narratifs rajoute une dimension inéluctable à l’affaire, et s’impose de lui-même comme aussi glaçant que vraiment solide. Là où le réalisateur mexicain choisissait l’ellipse et le non-dit, l’américain explicite les choses, entremêlant des éléments bien plus subversifs qu’ils n’en ont l’air au cœur d’une construction remarquable, complexe et paradoxalement absolument limpide.

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Que cela soit dans le traitement de ses axes narratifs ou dans sa mise en scène purement formelle, entre le remake et son modèle, il y a un monde, qui tendrait même à nous faire penser que si Jim Mickle et Nick Damici avaient décidé de ne pas citer ouvertement leur inspiration, personne n’en aurait jamais rien suspecté. Il s’agit vraiment d’une relecture totale de l’œuvre originale, tenant d’avantage de la variation sur un même thème que du simple remake. En cherchant bien, on trouve bien sur des points communs entre Ne nous jugez pas et We are what we are : son intrigue cannibalesque bien sûr (qui dynamite l’image d’Épinal de la cellule familiale traditionnelle), mais surtout son ambiance lourde, son climat délétère, et la lenteur générale de l’entreprise. La principale différence venant du fait que cette lenteur, savamment calculée chez Mickle, ne provoque jamais d’ennui ou de bâillements étouffés, mais une fascination trouble et malsaine, par moments assez crûment poétique, contribuant à l’impression diffuse de menace constante au cœur même du récit, qui explosera avec une brutalité inattendue dans la dernière bobine du métrage.

We are what we are - Version US

Conscient de la nature puissante de l’œuvre, et de son élégance formelle, Wild Side nous propose naturellement de découvrir le film en HD, sur support Blu-ray. Une galette irréprochable sur les scènes de jour, au piqué quasi-chirurgical et aux couleurs incroyables, mais un peu en deçà sur les passages nocturnes et/ou en basse lumière, au rendu beaucoup plus  « bruité ». Qu’à cela ne tienne, la force du film vous emportera à coup sûr. VO et VF (doublage correct) sont proposés dans des mixages DTS-HD Master Audio 5.1 parfaitement enveloppants (on n’oublie jamais la pluie qui submerge littéralement le patelin du film et les enceintes arrière), et du côté des bonus, nous avons droit à un commentaire audio malheureusement non sous-titré, et surtout à un excellent making of, en HD siouplé.

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En bref, on tire une nouvelle fois notre chapeau à Wild Side, qui fait montre d’une belle richesse éditoriale en nous proposant de découvrir les deux films dans des formats et des éditions qui s’imposent d’eux-mêmes. Reste que la puissance insensée – et pour tout dire un peu inattendue – du remake relègue l’œuvre originale au statut de simple curiosité, presque de supplément idéal pour apprécier à sa juste valeur le monumental boulot d’écriture et de mise en scène déployé par Jim Mickle sur We are what we are. Si l’on suspectait déjà le « grand » cinéaste en devenir à la vision de ses premiers films, ce nouveau coup d’éclat ne fait que confirmer cette impression, et fera office de mise en bouche dans l’attente de son prochain film, Cold in July, qui sortira dans les salles françaises le 24 décembre prochain.

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