Les Patriotes - Image une test Blu-ray

Les Patriotes de Eric Rochant enfin en Blu-ray chez Gaumont

En juin 1994 sortait sur les écrans ce qui sera l’un des plus gros flops du cinéma hexagonal (321 489 entrées pour un budget actualisé de 35M d’euros – 72M de francs de l’époque) fauchant en plein vol la filmographie naissante d’un cinéaste ambitieux déjà auréolé d’un César pour Un monde sans pitié, son premier long en forme d’OFNI générationnel. Le cinéma d’Eric Rochant ne sera en effet plus jamais le même après Les Patriotes. Le ressort était cassé. Les films qui ont suivis en témoignent (à l’exception du jouissif Total Western). Mais l’homme n’a jamais baissé les bras et s’est encore moins lamenté sur son sort. Il le martèle d’ailleurs à la fin du super doc présent en bonus de ce Blu-ray. Tourné en 2004 et déjà présent sur le DVD collector paru en 2005, Rochant a le recul pour constater que sa carrière n’a pas pris la tournure qu’il espérait sans pour autant penser qu’il a laissé passer sa chance. Il faut croire que l’actuel showrunner du Bureau de légendes avait mille fois raisons. Et de nous demander finalement si Les Patriotes ne serait pas l’épisode pilote de cette série unanimement adoubée. Éléments de réponse avec ce Blu-ray que l’on n’espérait plus.

Les Patriotes - AfficheQui se souvient que Les Patriotes fut sélectionné au Festival de Cannes ? Une édition dont Clint Eastwood était le Président d’un Jury qui décernera la Palme d’Or à un certain Quentin Tarantino pour Pulp Fiction. Côté français c’est La Reine Margot de Patrice Chéreau (Prix du jury et Prix d’interprétation féminine pour Virna Lisi) qui raflera la mise pour un film devenu sans conteste un classique. Mais que dire du Prix du scénario attribué à Michel Blanc ? Certes l’histoire qu’il a imaginé et mis en scène entremêlant sans cesse réalité et fiction permettait à Grosse fatigue d’être un peu plus qu’une simple comédie sociétale. Mais on a quand même du mal à admettre que la double trame se basant sur de longues et exhaustives recherches  menées par Eric Rochant sur le monde de l’espionnage ne lui tenait pas la dragée haute. On peut penser que les premiers retours critiques cannois qui cataloguaient Les Patriotes de film sioniste ont dû de surcroît refroidir les membres du Jury.

Les Patriotes - Bonus

Même si Grosse fatigue ne démérite pas et s’inscrit sans conteste dans la mémoire populaire (rediffs TV obliges), qui pour contester encore aujourd’hui la richesse scénaristique d’un film aussi pro israélien que l’inspecteur Callahan est partisan du dialogue et de la résolution pacifique des conflits interurbains ? Ce qui ne veut pas dire que Les Patriotes et sa description édifiante des arcanes du Mossad ne soit qu’une vue de l’esprit et encore moins un artifice plaisant de cinéma à l’instar du MI6 chez James Bond. Cela va bien au-delà. À tel point d’ailleurs que le film aura servi de passeport à Eric Rochant quand il a approché la DGSE pour écrire la première saison du Bureau des légendes. Il y apprendra même que Les Patriotes est systématiquement projeté aux nouveaux arrivants afin de les initier aux méthodes des services étrangers. On a connu adoubement moins classe.

Alors bien entendu tout n’y est pas frappé du sceau de l’authentique. Le bonus intitulé Le Mossad en 12 leçons le démontrait bien. On emploie l’imparfait car cet excellent document vidéo de 20 minutes présent sur le double DVD paru en 2005 n’a pas été repris pour cette édition Blu-ray.  En cause, un manque de place qui a donc obligé l’éditeur à faire des choix jusqu’à celui d’encoder tous les bonus en SD. Plus que dommage. Frédéric Encel, alors directeur en géopolitique et enseignant à L’ENA, y décortiquait en effet Les Patriotes précisant ses quelques invraisemblances (un étranger à l’État d’Israël ne peut pas intégrer le Mossad comme le fait le personnage d’Yvan Attal et surtout pas pour y effectuer des missions touchant d’aussi près à la sécurité nationale) tout en louant ses multiples qualités comme la réalité historique des deux opérations décrites dans le film : la première conduira l’aviation israélienne à bombarder une centrale nucléaire irakienne fournit par la France en juin 1981 et la deuxième relate d’une manière à peine détournée la célèbre affaire Jonathan Pollard, du nom de cet officier du renseignement américain de confession juive qui livra de son plein gré des informations secret défense à Israël.

Mais attention, le film d’Eric Rochant n’est pas uniquement cette formidable histoire richement documentée qui fait dorénavant date et qui lui a permis de rebondir jusqu’au Bureau des légendes avec cette expertise dans le domaine qu’on lui reconnait aujourd’hui. Notre John Le Carré à la française a aussi réalisé avec Les Patriotes un véritable tour de force cinématographique qui va puiser son inspiration dans le cinéma US des années 70. Un savant mélange entre intelligence du propos et ambition de la mise en scène au service d’un spectateur que l’on ne prend jamais pour un con (sorry for my french). Alain Rocca, son producteur qui le suivait depuis Un monde sans pitié, le répète d’ailleurs inlassablement au sein du formidable doc Les Illusions perdues déjà cité plus haut qui lui n’a heureusement pas sauté : Eric Rochant a toujours eu pour ambition de retrouver ce cinéma à la fois populaire et lucide sur son époque à la manière d’un Pakula avec Les Hommes du Président, d’un Sidney Lumet ou encore d’un John Schlesinger (Macadam Cowboy, Marathon Man). Une période que l’on n’appelait pas encore le Nouvel Hollywood et qui aura marqué au fer rouge le jeune homme déjà cinéphile qui intègrera l’IDHEC au début des années 80 (célèbre école de cinéma disparue en 1988 au profit de La FEMIS) en même temps qu’un certain Arnaud Desplechin dont La Sentinelle, son premier long qu’il réalisera en 1992, reprendra pour mémoire tous les codes du film d’espionnage.

Les Patriotes - Bonus

Les Illusions perdues évoque ainsi les partis pris de mise en scène issus de cette volonté de cinéma. Comme l’utilisation des amorces de plan qui permet à Rochant de ne filmer que ce qu’il considère comme signifiant. Une forme d’épure qui lui donne paradoxalement ensuite toute latitude pour donner libre cours à ses digressions visuelles ou temporelles retenant ainsi les leçons d’un Leone sur Il était une fois en Amérique. Rochant aborde aussi sa volonté de filmer en scope et exclusivement en longue focale. Ce qui pour les scènes d’intérieur obligent à une préparation rigoureuse pour ne pas dire militaire de chaque plan avec l’obligation de ne jamais tomber dans l’académisme. Quant aux extérieurs tournés selon le même procédé, elles donnent immédiatement au film un souffle de véracité proche du documentaire. Il suffit pour cela de jeter un rapide coup d’œil à l’affiche du film pour s’en convaincre. On ne saurait donc trop vous conseiller le visionnage de ces Illusions perdues réalisé à une époque où un bonus se devait d’être a minima signifiant. Produit pour Gaumont Vidéo, (une entité dirigée alors avec un certain panache par Nicolas Rogister de la Mothe, fils de Thierry Rogister alors big boss de feu Gaumont Columbia TriStar Home Vidéo), il est le pur produit d’un certain âge d’or du format.

Les Patriotes - Bonus

Une époque au demeurant tellement révolue que les plus attentionnés auront remarqué la disparition de tous les extraits issus d’émissions ou de journaux télévisés qui caviardaient avantageusement le doc. Ici la cérémonie des César de 1990 où Jean Rochefort annonce la victoire d’Un monde sans pitié dans la catégorie Meilleur premier film. Là quand Eric Rochant reçoit le César du meilleur court-métrage pour Présence féminine en 1988. Des journaux télévisés d’Antenne 2 qui reviennent sur le bombardement de la centrale irakienne. Sans oublier quelques morceaux choisis savoureux d’un Cercle de minuit présenté par Michel Field en direct depuis la Croisette qui accueillait Sandrine Kiberlain et Eric Rochant cueillis tout juste après la projection du film dans le Grand amphithéâtre cannois (une autre époque). En face il y avait bien souvent des critiques dont ici Thierry Jousse alors rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma. Savoureux en effet d’entendre celui qui essaiera de définitivement sortir le mensuel de sa période Mao où il  s’était vautré depuis les années 70 (c’est l’époque où là-bas on découvre enfin le cinéma de Clint Eastwood ou de Tim Burton) émettre des réserves totalement à côté de la plaque (film naïf et condescendant sur l’État d’Israël). Ces disparitions ne sont pas ultra préjudiciables au rythme et à la compréhension du doc. Mais elles démontrent en creux qu’il est dorénavant impossible aujourd’hui de régler les milliers d’euros à l’INA (détenteur des droits en la matière chez nous) dont la tarification en la matière n’a pas évolué d’un iota alors que le marché de la vidéo physique a son âge d’or dans le dos.

Disparus aussi le scénario imprimable depuis une extension DVD-Rom (une autre époque là encore) ou plus prosaïquement la bande annonce que nous avons du coup reprise sur notre chaîne Youtube. Toujours ce manque de place et la volonté de ne sortir qu’une galette afin de proposer cette édition à 15 euros. Par contre, le long document mettant en scène les nombreuses scènes coupées est bien là. Introduites, commentées, disséquées face caméra depuis une salle de cinéma par Rochant et sa chef monteuse Pascale Fenouillet, elles sont juste passionnantes à visionner. Director’s Cut que cela s’appelle. Il s’agit là de la plus belle des manières pour contextualiser un montage qui reste selon eux toujours perfectible. On regrettera juste la disparition d’un carton présent sur le DVD qui expliquait pourquoi il existe une différence notable de qualité selon les scènes coupées présentées. En fait certaines avaient été numérisées, d’autres non car certainement abandonnées très tôt dans le process de montage. Ces scènes pourtant montées sont du coup restées sur le banc de montage puis ont été perdues. Mais c’était sans compter sur le professionnalisme de Pascale Fenouillet qui avait pris la peine de filmer au caméscope l’écran même de la salle de montage certainement pour garder une trace quelque part en cas d’accident quelconque mais aussi dans un soucis d’archivage au cas où il aurait fallu revenir sur une scène initialement abandonnée. Pour les plus jeunes, on rappellera qu’en ces temps là, un film se montait à même la pellicule et non en numérique derrière un ordi.

C’est d’ailleurs cet aspect très pelloche qui a été privilégié lors de la restauration 2K du master (admirez cette transition). On ne sait si elle a été supervisée par le directeur de la photo Pierre Novion (le carton en fin de film à propos de la restauration ne semble pas l’indiquer mais la jaquette du Blu-ray le précise bien), mais elle démontre bien des partis-pris au niveau de l’étalonnage pour le moins radicaux et surtout pour le meilleur. Avant de vous jeter sur les captures comparatives et cliquables ci-dessous disons que la différence se fait surtout au niveau de la température des couleurs plus froide en extérieur et plus chaude en intérieur (pour la faire courte). Mais en fait c’est bien tout le métrage qui a été revu de fond en comble avec pour résultat, outre une définition accrue et une balance des contrastes beaucoup plus homogène, le sentiment d’avoir voulu tout simplement upgrader le film pour qu’il s’insère le plus naturellement possible dans cet univers digital qui est le notre aujourd’hui sans pour autant avoir au passage vendu son âme au Diable. C’est ainsi que l’on peut noter la présence d’un grain précieux, une profondeur de champ préservée pour ne pas dire accrue et des arrières-plans stables avec des noirs qui tiennent plus que bien la route même lors des scènes nocturnes.

Les Patriotes - Capture Blu-rayCarton de fin de générique détaillant le travail effectué sur la restauration en 2018

Comparatif image DVD 2005 Vs Blu-ray 2019 (captures cliquables)

Pari réussi donc tout comme celui de proposer deux encodages audio pour la VF et la version internationale (hébreux / français / anglais) quand le DVD n’arborait que le nouveau mixage 5.1 réalisé pour l’occasion par l’ingénieur du son Dominique Dalmasso. Il est incontestable que le DTS-HD MA 5.1 (VI comme VF) n’a aucun soucis pour rendre compte du mixage d’origine. On est même sans conteste un cran au-dessus du DD 5.1 entendu sur le DVD qui avait tendance à beaucoup exagérer sur les basses (c’était à la mode). Mais on est quand même heureux de trouver sur le Blu-ray la stéréo d’origine qui rend compte quant à elle et d’une manière bien plus fidèle, de ce mixage que l’on ne pouvait entendre que dans certaines salles équipée en Dolby Stéréo. On pourra même basculer depuis son ampli en Dolby Surround (là aussi VI comme VF) avec certes une petite perte dans la définition des sons arrières (le film n’en propose de toute façon que très peu) mais avec un positionnement des dialogues beaucoup plus fin et accru. Et d’ailleurs à ce sujet, on ne saurait trop vous conseiller d’adopter la version internationale étant entendu qu’en VF tous les acteurs se sont doublés en post-prod avec souvent des désynchros labiales du plus mauvais effet.

En résumé : un putain de film et superbe introduction à l’univers de la série Bureau des légendes qui ne pourra que vous donner envie d’y jeter un œil si cela n’est pas déjà fait ou de s’y replonger histoire de se faire à nouveau surprendre par les filiations et les ponts thématiques. Gardez votre DVD si vous l’aviez acquis à l’époque pour les bonus absents du Blu-ray qu’il vous faudra quand même acquérir ne serait-ce que pour le kif de se (re)voir le film dans des conditions techniques optimales. Sur ce, on vous laisse avec un petit cadeau bonus en vidéo ci-dessous.

Les Patriotes - Jaquette Blu-rayLes Patriotes (1994) – Édition Blu-ray

Réalisateur : Eric Rochant
Éditeur : Gaumont
Sortie le : 20 novembre 2019

À 18 ans, Ariel Brenner est en quête de lui-même. Il quitte sa famille et rejoint en cachette le Mossad, les services secrets israéliens. Après plusieurs années d’entraînement, il se voit assigner sa première mission : dérober les documents d’un atomiste français, Rémy Prieur…

 

Spécifications techniques Blu-ray :

  • Image : 2.35:1 encodée en AVC 1080/24p
  • Langues : Français et Version originale (français / anglais / hébreux) en DTS-HD MA 2.0 stéréo et DTS-HD MA 5.1
  • Sous-titres : Français et anglais débrayables
  • Durée : 2h25min 54s
  • 1 BD-50

Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080

Bonus : 

  • Les illusion perdues : retour rétrospectif sur Les Patriotes par ceux qui l’ont fait (50min 48s – SD)
  • Director’s Cut : scènes coupées présentées par le réalisateur Eric Rochant et Pascale Fenouillet, chef monteuse (55min 27s – SD)

Une réflexion sur « Les Patriotes de Eric Rochant enfin en Blu-ray chez Gaumont »

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