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Le Juge et l’assassin : La mort et rien d’autre

Le Juge et l’assassin reste un objet filmique protéiforme, peu malléable mais toujours aussi passionnant à (re)découvrir. Il est le troisième long dans la filmographie très dense de Bertrand Tavernier. Il est encore sans aucun doute l’un des plus ouvertement fascinant et politiquement engagé. Au point d’ailleurs de manquer un peu de finesse sur la toute fin. Le ressortir en Blu-ray, alors que le DVD datait de 2001, est une excellente chose bien que l’on puisse être un tantinet déçu par la qualité de l’upgrade technique, surtout au niveau de l’image.

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Le rouge est mis

Le Juge et l’assassin c’est d’abord une opposition. Celle d’un juge d’instruction de province ambitieux face à un criminel en série dans la France des années 1890. La volonté pour l’un est de brûler les échelons de sa hiérarchie en se servant de cette affaire dont il recherche un retentissement médiatique conséquent, alors que pour l’autre il s’agit de se faire reconnaître fou pour échapper à la guillotine tout en rendant la IIIème République responsable de son état et de ses crimes. Pour Tavernier les enjeux sont multiples et tout aussi visibles. En prenant pour cadre cette France de Zola qui se déchire sur l’Affaire Dreyfus annonciatrice de son histoire à venir et en s’inspirant de faits réels comme la traque et la cavale sanguinaire de Joseph Vacher qui a tué au moins une vingtaine de personnes à la fin du XIXe siècle, il donnait à son film une résonance singulière dans cette France qui n’en finissait pas de digérer les événements de mai 68. Encore aujourd’hui, sa critique en creux d’une société repliée sur elle-même et doutant de ses institutions reste malheureusement plus que jamais actuelle.

Le Juge et l’assassin est donc aussi un film politique tendance engagé rouge vif sur un scénario co-écrit par Tavernier et les grands Jean Aurenche et Pierre Bost. La Commune n’est pas loin et les revendications ouvrières non plus (la CGT est créée en 1895). Le juge représente l’ordre établi, cette république modérée déjà conservatrice et l’ascension définitive d’une bourgeoisie engoncée dans des certitudes mesquines propres à sa classe. Le criminel en série est forcément issu des laissés pour compte. Ici un ancien soldat certainement versaillais qui a fui l’ordre établi pour se réfugier dans l’anarchie et la folie. Entre les deux, l’énigmatique procureur Villedieu (Jean-Claude Brialy délicieux) rentré précipitamment d’Indochine éclaboussé par un scandale dont on ne sait rien. Tavernier aurait pu en faire notre fil rouge, celui par qui l’on découvre l’histoire. Il n’en est rien. Le cinéaste ne cherchant jamais la facilité. On est sans arrêt malmené sans la moindre branche à laquelle se raccrocher. Chaque personnage dévidant une partition viciée, grise et aride. De celle qui décrit une humanité au plus proche de sa réalité.

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Galabru reste grandiose en psychopathe doté d’une intelligence redoutable (César du meilleur acteur en 1977, le seul qu’il n’obtiendra jamais), Noiret est sans pareil dans sa veulerie à arracher mot par mot les aveux qui feront de lui ce magistrat de premier plan auquel son personnage aspire par-dessus tout. Tavernier ordonnance cela tel un opéra macabre accentuant le trait ici, aérant le propos là via des plans somptueux dans la montagne, mais surtout en ne lâchant jamais sa trame pour un film au cordeau, rude et sans concession. Jusqu’à cette fin que beaucoup lui reprochèrent et qui si elle étonne par sa naïveté façon image d’Épinal, n’en demeure pas moins une excroissance logique de ce que le film tendait à démontrer jusqu’ici : ne jamais renoncer face à l’ordre établi surtout quand il est inique, économiquement fourbe et profondément inhumain. Quand on vous dit que tout cela est plus que jamais d’actualité.

Un Blu-ray pas toujours défendable

On reste en effet dubitatif quant à la qualité de l’image proposée. On est ici juste au-dessus des standards attendus du medium. On ne sait pas au demeurant si le film a eu droit à sa restauration. Ce n’est indiqué nulle part et quand on sait que ce n’est pas le genre d’information qu’un éditeur à intérêt à passer sous silence, on se dit que le master proposé est donc bien issu d’une simple remasterisation. On en veut d’ailleurs pour preuve un gros défaut de pellicule repéré à la 41ème minute déjà présent sur le DVD. Rien de rédhibitoire toutefois puisque le gap est tout de même évident. À commencer par la définition aux abonnés plus que présents et des contrastes appuyés. Un peu trop cependant, occasionnant par moment des noirs un peu bouchés dans certains arrières-plans sombres. On regrettera aussi la présence d’un DNR utilisé trop fréquemment, gommant le grain naturel d’origine présent sur l’image DVD. Pour synthétiser, le transfert ne s’en sort quand même pas trop mal au vu du master compliqué qu’il doit encoder. Dans l’absolu, il rend tout de même bien compte de cette photo travaillée à la colorimétrie très tranchée pour chacun des personnages. De la haute couture en 2.35 que le recto de la jaquette annonce au passage en 1.66.

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Le Juge et l'assassin - Bertrand TavernierBlu-ray

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Le Juge et l'assassin - Bertrand TavernierBlu-ray

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Le Juge et l'assassin - Bertrand TavernierBlu-ray

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Le Juge et l'assassin - Bertrand TavernierBlu-ray (et oui il s’agit bien de Gérard Jugnot à gauche

Pas grand chose à redire sur l’encodage sonore. L’unique piste en DTD-HD Master Audio 2.0 mono s’en sort avec les honneurs. On préfèrera tout de même recentrer les débats sur la voix centrale si l’enceinte ad hoc et l’ampli le permettent, car ainsi les dialogues seront plus intelligibles sans que pour autant les ambiances perdent en crédibilité. Mais bon cela reste un choix totalement subjectif et en fonction de l’écoute souhaitée.

Le Juge et l'assassin - Bonus Blu-ray

Le Juge et l'assassin - Bonus Blu-ray - Michel Galabru

Niveau bonus, on retrouve les deux interviews présentes sur le DVD. L’un avec Tavernier et Noiret qui reviennent comme il se doit sur les coulisses du tournage avec pas mal d’anecdotes passionnantes. Celle avec Galabru est plus « légère » niveau informations mais reste néanmoins intéressante ne serait-ce que sur l’éclairage très personnel et lucide de ce personnage auquel il doit beaucoup pour la suite de sa carrière. Manque à l’appel la très belle galerie de photos et les 2min 22s de vidéo filmées en leur temps par une équipe de FR3 venue sur le tournage du film. Des images dont les droits sont détenus par l’INA et pour lesquelles l’éditeur a donc préféré s’en passer pour des raisons évidentes de coût et peut-être aussi d’intérêt intrinsèque.  On vous laisse juge ci-dessous 😉

Image : 3/5
Son : 4/5
Bonus : 6,5/5

Cliquez sur les captures Blu-ray ci-dessous pour les visualiser au format HD natif 1920×1080

Le Juge et l’assassin – Édition Blu-ray

Éditeur : StudioCanal Vidéo
Date de sortie : 10 mars 2015

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Spécifications techniques :
– Image : 1.66:1 encodée en AVC 1080/24p
– Langues : Français DTS-HD MA 2.0 Mono et Audiodescription
– Sous-titres : Français pour sourds et malentendants
– Durée : 2h06
– 1 BD-50

Bonus :
– Interview de Bertrand Tavernier et Philippe Noiret (34min41s)
– Interview de Michel Galabru (26min41s)
– Bande annonce (2min11s, 720p)

2 réflexions sur « Le Juge et l’assassin : La mort et rien d’autre »

  1. Je ne sais pas s’il y a eu DNR, mais à vu de nez, je blâmerai plutôt l’utilisation d’un master fort daté, d’où le rendu du grain assez épais.

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