Archives de catégorie : Critiques Ciné

Babylon – Pré-Code Land

À l’instar d’un William Friedkin ou d’une Kathryn Bigelow, Damien Chazelle sait emmener son cinéma en des contrées d’abord telluriques. Il suffit de se prendre en pleine poire les quasi 30 minutes en plan séquence de la fête orgiaque dans une sorte de manoir perdu sur les hauteurs d’un Hollywood embryonnaire pour en être une nouvelle fois convaincu. Whiplash, le long qui le fit connaître sur cet apprenti batteur et son prof vicelard, en donnait un aperçu plus que probant. La La Land qui le consacra aux yeux de tous, ne marchait quasiment qu’à cela. Et même First Man, qui revenait sur la personnalité plus que taciturne de l’astronaute Neil Armstrong, bouillait de l’intérieur à tel point qu’il arrivait au détour de chaque plan à fracasser le vernis d’un biopic pour en faire une aventure épique de l’intime. Babylon se veut plus frontal, plus ambitieux encore dans ce qu’il nous raconte et forcément encore plus intensément jouissif dans un plaisir total et indéniable de pur cinéma.

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Nos frangins – Malik et Abdel

Quand on a demandé à Samir Guesmi qui joue le père d’Abdel Benyahia dans Nos frangins ce qu’il faisait en cette fin d’année 1986, la réponse fuse : « Je devais certainement vendre des jeans du côté des puces à Barbès. En fait je n’ai pas de souvenirs précis de ce que je faisais en cette nuit funeste où Malik Oussékine et Abdel Benyahia furent tués ». C’est que l’acteur à la filmo longue comme le bras mais dont le commun des mortels peinera à mettre un blaze sur sa tronche tout en l’identifiant dès qu’il apparaît à l’écran, n’a pas envie de stigmatiser ce double meurtre de ces français d’origines maghrébines commis par la police dans la nuit du 5 et 6 décembre 1986. L’idée n’est bien entendu pas de mettre cela sous le tapis de la République ou de ne pas vouloir faire de vagues à l’image de la grande majorité de ces immigrés maghrébins dits de la première génération auquel son personnage appartient. Déjà, sa participation au film de Rachid Bouchareb atteste du contraire mais surtout cela en dit long sur le ressenti d’une population qui connaît et vit dans sa chair le concept de la vexation policière au quotidien quand il ne s’agit pas de racisme latent ou à visage découvert. Il ne s’agit donc pas de minimiser et encore moins d’oublier mais bien de faire comprendre que si pour la majorité c’est un sentiment de colère qui nous étreint devant un système et un État de non droit aussi manifeste, pour d’autres c’est certes la pire des conclusions mais au final pas une surprise.

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Les Amandiers – Il était une fois 19 acteurs

Suivre Valeria Bruni Tedeschi cinéaste est loin d’être une sinécure. Tant mieux diront certains tant le cinéma peut tout se permettre sauf laisser indifférent. Et c’est vrai qu’à la découverte des Estivants (2018), sa précédente réalisation (au hasard), on avait frisé l’indigestion carabinée propre à cette catégorie de films qui puait l’ethnocentrisme par tous les pores de ses pixels tout en étant porté devant la caméra par une Valeria constamment hystérique. En soi c’était du grand art. En réalité on s’en n’est jamais vraiment remis. Jusqu’à la vision des Amandiers. Preuve déjà que même précédées d’une ou plusieurs mauvaises expériences, il faut toujours « donner sa chance au produit » surtout quand la bande annonce fait pour une fois excellemment bien le job donnant véritablement envie d’en savoir plus.

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Sans filtre – Thérapie de luxe

Avec Sans filtre, Ruben Östlund est rentré instantanément dans la catégorie très fermée des cinéastes ayant obtenu la Palme d’or pour deux films réalisés à la suite. Seuls Bille August (Pelle le Conquérant – 1988 et Les Meilleures Intentions – 1992) et Michael Haneke (Le Ruban blanc – 2009 et Amour – 2012) ont marqué leurs filmographies respectives de ce sceau indélébile. Ce constat validé quid de Sans filtre ? Outre sa Palme d’or qui n’entérine pas forcément le meilleur film d’une sélection (si tant est que la notion même de « meilleur film » ait une signification tangible au sein du raout cannois), Sans filtre marque-t’il déjà de son empreinte le cinéma et pourquoi pas son époque ? On serait tenté de répondre par l’affirmative ne serait-ce que par l’effroyable lucidité de son regard porté envers ses semblables. C’est-à-dire vous et nous.

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Les Enfants des autres – Déchirante humanité

Rebecca Zlotowski impose progressivement mais incontestablement sa griffe dans le paysage cinématographique français. Apparue sur les radars en 2010 au festival de Cannes section Semaine de la Critique avec Belle Épine qu’elle prolongera trois ans plus tard avec Grand Central présenté à Un Certain regard, on avoue bien volontiers que rien ou pas grand-chose ne nous avait donné envie de crier au génie ou à la fulgurante révélation décrétée par une bonne partie de la critique d’alors. On avoue aussi que son Planétarium qu’elle réalise en 2016 en s’adjoignant un casting plutôt détonnant (Natalie Portman, Lily-Rose Depp, Emmanuel Salinger, Amira Casar, Pierre Salvadori, Louis Garrel…) nous avait tellement laissé de marbre que nous ne l’avons toujours pas vu. C’est donc peu de dire que quand débarque Une fille facile à la Quinzaine des réalisateurs en 2019, on y va surtout pour satisfaire une curiosité des plus voyeuristes cinéphiles. Pensez donc, il y a Zahia en tête d’affiche. La claque rohmérienne que l’on s’est prise, outre le fait que l’on ne s’y attendait pas, et bien on ne s’en est toujours pas remis. Une brulure faciale que Les Enfants des autres prolonge de la plus belle des manières.

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