Le Pont des Espions : Il faut sauver le pilote Powers

Cela fait une dizaine d’années maintenant que Spielberg regarde en arrière, qu’il scrute l’Histoire de ses contemporains avec toujours autant de tact et quelque part, de bienveillance. Munich, certainement son film le plus « dur » de cette période, n’échappe pas à ce constat. Tact de la mise en scène et bienveillance auprès de ses personnages. Le Pont des Espions semble éprouver une nouvelle fois ce « système » tout en l’amenant en des contrées encore inconnues chez un cinéaste obsédé par cette forme de justice immanente qui contrebalance de temps à autre l’indicible foutoir permanent perpétré par l’Homme.

Le Pont des Espions - Affiche

On le sait depuis un bail maintenant, le cinéma de Spielberg peut-être celui de l’optimisme béat. Des films récents comme Cheval de guerre ou même sa version de Tintin sont indéniablement à ranger dans ce tiroir qu’il serait peu opportun d’ouvrir à nouveau car on y trouverait aussi enseveli sous la poussière Always, Amistad, Hook, A.I.… Mais de temps à autre, une face bien plus sombre tiraille l’homme et donc le réalisateur propre alors à dégainer des productions plus malades et donc plus passionnantes à (re)découvrir. C’est le cas d’Empire du soleil mais aussi de La Liste de Schindler, de La Guerre des mondes ou bien entendu de Munich. Entre les deux, il y a Le Pont des Espions qui peut se réclamer d’une tradition initiée avec La Couleur Pourpre. Une sorte de sucrerie par moment bien indigeste mais sauvée par un art consommé du storytelling qui n’est plus à démontrer.

Spielberg, plus que quiconque, sait choisir ses histoires et celle-ci est une nouvelle fois passionnante à plus d’un titre. Déjà parce que le cinéaste se frotte pour la première fois à la période de la guerre froide. Plus précisément au début des années 60 quand celle-ci va monter d’un cran avec la construction du Mur de Berlin en partie consécutive à la destruction en vol d’un avion espion américain dans le ciel soviétique. Cet incident qui vaudra à son pilote, le capitaine Francis Gary Powers, une condamnation à dix ans de prison est le nœud gordien d’un film qui va patiemment s’attacher et avec un certain didactisme à en démêler l’écheveau. Pour cela Spielberg s’appuie sur un scénario écrit par les frères Coen dont on connaît l’habileté pour saisir tous les enjeux d’une histoire que leur mise en scène finit généralement à mettre en valeur (on rappellera à toutes fins utiles qu’ils sont les scénaristes de tous leurs films). Celle de Spielberg est frontale, classique et à sa manière, terriblement efficace.

Elle est aussi magnifiquement racée car dotée de mouvements d’appareils amples et généreux sans que pour autant ils annihilent le propos du film plutôt lucide, âpre et énergique. Il s’agit d’une contradiction cinématographique que Spielberg porte en lui depuis toujours qui lui permet bien souvent d’arriver à ses fins avec maestria. On en veut pour preuve le climax où lors du fameux échange d’espions opéré sur le pont situé à Berlin, Spielberg joue avec nos nerfs durant deux bonnes bobines alors même que l’on en connaît le dénouement. Si la réalisation associée à un montage diabolique jouent à plein ici pour donner cette séquence au cordeau, sa réussite est aussi due à tout ce qui précède. Tout est en effet pensé et tout converge pour donner cet instant certes moins pan dans la gueule que l’intro du Soldat Ryan mais qui n’en est pas moins estomaquant.

En cela, la performance de Tom Hanks en avocat commis quasi d’office par son pays pour défendre son client espion russe qui va devoir s’improviser négociateur avec le KGB est encore une fois sous la houlette de Spielberg remarquable. Son jeu participe indubitablement à cette tension constante qui monte inlassablement. C’est que Spielberg n’a pas son pareil pour en faire un Monsieur tout le monde en qui l’on peut facilement mais sans maniérisme, manipulation ou manichéisme s’identifier pleinement. C’est certainement là que réside l’un des secrets de sa mise en scène qui aussi « simple » qu’elle puisse paraître recèle une insondable profondeur d’humanité à nulle autre pareille. Elle lui permet de fluidifier des rouages qui chez d’autres seraient bien trop visibles ou pénibles. Elle lui permet surtout d’insuffler un souffle épique à chacun de ses plans pour lesquels le spectateur à l’impression d’y participer pleinement tel un acteur omniscient. Autre secret de réalisation en apparence évident mais que beaucoup ont tenté de reproduire sans jamais réellement y parvenir.

Le Pont des Espions (Bridge of Spies) de Steven Spielberg – 2 décembre 2015 (Twentieth Century Fox France)

RésuméJames Donovan, un avocat de Brooklyn se retrouve plongé au cœur de la guerre froide lorsque la CIA l’envoie accomplir une mission presque impossible : négocier la libération du pilote d’un avion espion américain U-2 qui a été capturé.

Note : 3,5/5

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