Un mariage - Image Une

Un mariage : Altman The Player

Robert Altman a eu deux vies significatives au cinéma. La première débute évidemment avec M*A*S*H en 1970 même si That Cold Day in the Park, le long métrage qu’il réalise l’année précédente, mériterait d’être redécouvert pour être remis au centre de sa filmo, et se termine avec Popeye en 1980 qui ne trouva pas son public et pour lequel il ne fut pas épargné par la critique. Et puis, il y a l’improbable renaissance (même s’il serait cruel d’oublier durant cette période Tanner ’88, le formidable mockumentary en 10 épisodes diffusé à l’époque sur HBO) avec The Player (1992) puis Short Cuts l’année suivante et dans une moindre mesure Godsford Park en 2001. Un mariage se situe dans la première période quand Altman profite à nouveau de sa boîte de prod créée en 1964, à une époque où personne ne comptait sur lui et avec laquelle il réalisera Countdown son deuxième long. En 1977, il s’était aussi appuyé sur celle-ci dans le but cette fois-ci d’avoir une liberté totale en montant Trois Femmes. Une belle réussite entre onirisme et poésie avec trois actrices rayonnantes (Shelley Duvall, Sissy Spacek, Janice Rule) mais qui n’obtint qu’un succès public très confidentiel.

Un mariage - Affiche 1978

À l’origine d’Un mariage, il y a une boutade d’Altman :  « Sur le tournage de Trois Femmes, une journaliste (…) vient me voir alors que j’étais en pleine préparation d’une scène particulièrement difficile à tourner. Elle se jette sur moi et me dit, « Bonjour ! Quel sera votre prochain film ? ». C’était une journée éprouvante, je n’étais pas d’humeur et la stupidité de la question m’a rendu fou furieux, donc je lui ai répondu, « je vais filmer un mariage. Je vais arrêter tout ce cirque et me faire engager pour filmer un mariage. » Nous sommes allés manger, et je me suis rendu compte que c’était en fait une bonne idée. Un mariage permet d’explorer tous les délires et manies de la société. Après tout, chacun de nous se comporte de façon différente dans ce type de situations protocolaires. Lors d’un mariage ou d’un enterrement, à moins d’être un parfait rebelle, vous suivez l’organisation culturelle. Vous ne vous comportez pas comme d’habitude ; vous faites bonne figure. Vous êtes dans l’inconfort, vous n’êtes pas habillé comme au quotidien. Nous avions donc là une arène pour une situation comique, multiculturelle et sociale. »

Et Altman de nous refaire le coup du film choral dans le prolongement de l’exceptionnel Nashville. Ainsi, dans Un mariage, ce n’est pas tant la réalisation qui met en valeur le film, même si celle-ci est d’une exceptionnelle vitalité, mais bien cette propension à donner la parole à ses 48 protagonistes non pas d’une manière équitable (ce serait injouable ou alors par trop superficiel) mais de telle façon à ce que le spectateur ne soit jamais perdu au sein d’un bestiaire pourtant délirant. Une gageure qui passe d’abord par des dialogues torchés aux petits oignons alors même qu’ils sont assénés dans une sorte de chevauchements incessants. Tout est audible mais peu d’échanges ont un début ou une fin. On est ainsi sans cesse en alerte, captivé et même frustré car de l’histoire de toutes ces personnes, on n’en saura finalement pas grand chose. Altman réussissant en effet à caractériser tout son petit monde sans pour autant leur donner l’épaisseur classique requise en pareil exercice.

Un mariage - Affiche 2016

Et puis comme il aime à le faire, tout se réalise et prend forme par petites touches avec pour idée directrice ici de montrer une frange de la société composée de gens très riches recroquevillés sur des certitudes d’un autre siècle mais surtout, et à leur façon, complètement déconnectés du reste du monde. En utilisant comme vecteur scénaristique cette journée de mariage où s’unissent deux familles fortunées (nouveaux riches et anciennes fortunes), Altman s’amuse à en décortiquer les travers, les lubies, les affèteries en usant tour à tour du mélodrame, de la satire ou plus simplement d’un comique de situation aussi enlevé que particulièrement bien vu. On pense un peu à Fellini, pas seulement à cause de la présence de Vittorio Gassman (qui n’a d’ailleurs jamais joué dans un film de Fellini) en maquignon des lieux, immigré italien et compagnon de Lilian Gish de 30 ans son aînée, mais bien parce qu’il y règne une atmosphère un peu putride non de fin de règne mais plutôt de décadence assumée et même voulue comme telle. Il y suinte comme une complainte d’emprisonnement mais aussi une volonté de ne pas en sortir. On regarde avec complaisance et hauteur mais on ne saurait s’immerger ailleurs que dans cette eau saumâtre.

Nashville qu’il réalise trois ans plus tôt est certainement un film plus ambitieux, plus politique et plus incisif dans ce que l’on pourra appeler la veine chorale du cinéaste. Ce pourquoi, et plus que jamais, il a pris une place prépondérante dans la filmographie d’Altman. Un mariage semble plus mineur. Et pourtant il mériterait d’être revu à la hausse d’autant qu’il est loin d’être cet exercice de style un peu vain que sera Short Cuts par exemple. Il y a avec Un mariage comme une volonté encore virginale de prendre à bras le corps des thèmes qui lui sont chères mais avec une certaine humilité doublée d’une critique caustique, drôle et toujours intelligente.

Un mariage de Robert Altman – 1h33 (Splendor Film – Rep. 2016) – 22 novembre 1978 – Reprise en version restaurée 4K le 6 juillet 2016

Résumé : Dans une belle banlieue américaine, un riche et somptueux mariage est sur le point d’être célébré. Invités de choix, cadeaux hors de prix et robes hautes coutures sont de mises. Mais au fil de la journée, différents évènements se succèdent, et la nature en apparence lisse des conviés va se débrider et laisser place à leur véritable personnalité : aussi futile et prétentieuse soit-elle.

Note : 4/5

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