La Taularde - Image Une Critique

La Taularde : Bande(s) de filles

La proposition est suffisamment rare dans le cinéma français pour que l’on s’y attarde. Car outre Un prophète, il faut remonter à pas mal de décennies en arrière pour trouver trace de films ayant pour cadre quasi unique l’univers carcéral. Spontanément on pense à Un condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson (1956) qui peut aussi être vu comme un film sur la Résistance ou encore au Trou de Jacques Becker (1960). On me souffle au débotté Zonzon réalisé il est vrai en 1998 par Laurent Bouhnik. On en garde un souvenir diffus mais encore positif. En fait, avec La Taularde, on a surtout en tête Les Poings contre les murs du britannique David Mackenzie à qui l’on doit aussi le tout récent Comancheria.

La Taularde - Affiche

Il y a dans les deux films une implacabilité sourde et tenace provoquant d’abord chez le spectateur une véritable oppression physique qui est sans aucun doute celle que doit ressentir son héroïne dès la première minute où elle pénètre dans l’enceinte de sa prison. C’est d’abord ça La Taularde. Cette propension à avoir su rendre compte de cet endroit confiné et surpeuplé en utilisant d’abord à merveille le décor à dispo (une prison désaffectée) via des angles de caméras réfléchis et souvent statiques mais jamais sur-composés. Le côté étriqué des lieux est par ailleurs judicieusement accentué par un travail sur la bande son extraordinaire. Les dialogues ne sont par exemple jamais expurgés des bruits d’ambiance composés de cris de détenues, de cliquetis incessants de clés, d’ouvertures de portes ou de grilles, de bips hiératiques, des conversations au loin… Une apparente cacophonie doublée d’échos en permanence diffractés qui oblige les prisonnières tout comme les spectateurs à être sans cesse sur le qui vive.

Le film prend alors tout son sens. S’il s’agit de raconter l’histoire de cette femme qui par amour pour son homme mais aussi mue par des convictions idéologiques / politiques chevillées au corps, décide de l’aider à s’enfuir en prenant sa place en prison, la réalisatrice Audrey Estrougo veut aller plus loin en montrant le mécanisme lent mais inexorable de l’enfermement qui débute dès le moment où l’on vous attribue un numéro d’écrou. Une déshumanisation appuyée par l’impression que la communauté carcérale n’est que le microcosme, en certes plus violent, de la société. Si sur ce dernier point, la démonstration est fluctuante pour ne pas dire peu convaincante, le process qui amène le personnage joué par Sophie Marceau (on y revient) à devenir la taularde du titre est pour le moins probant. Après, il va sans dire que le cinéma américain est passé de multiples fois en ce domaine avec de formidables réussites dont au final on retiendra surtout et paradoxalement la série TV Oz chez HBO. Audrey Estrougo a certainement eu cela en tête. Ce pourquoi sa Taularde s’affranchit de suite de certains des codes du genre a contrario par exemple d’un Jacques Audiard (les gangs, délimitation du territoire, se mettre sous la protection d’un caïd…).

La comédienne Sophie Marceau y contribue aussi pour beaucoup. Son physique ultra sec, son jeu d’une rigueur de tous les instants, son interaction avec les autres actrices pour la plupart déjà vues dans les précédents films de la réalisatrice, sa faculté à distiller tour à tour incompréhension, peur panique, convictions inébranlables… donnent en effet au film son ultime direction. Et la grande intelligence du scénario c’est de ne jamais faire croire que tout cela va s’arranger dans le meilleur des mondes. Des choix ont été faits. Il faut maintenant en assumer les conséquences, que cela soit pour la taularde du titre comme pour toutes les autres. Le côté « équitable » de la prison en quelque sorte.

Le seul reproche au final que l’on pourrait faire à cette Taularde est peut-être cette volonté à ne pas assez prendre de recul avec son sujet. Le film aspire par tous les pores la chose contribuant comme on l’a dit à accentuer physiquement la chape de plomb de la réclusion mais la réalisatrice ne nous octroie presque jamais de plages de respiration. On pense à cette scène triviale de trempage de cul dans une bassine d’eau qui donne tout de suite au métrage une certaine volatilité nécessaire pour que le spectateur ne décroche pas mais aussi pour accentuer la réalité d’un quotidien forcément marqué par ce genre d’épisodes plus futiles. C’est bien entendu assumé par la réalisatrice mais on ne peut s’empêcher de penser que c’est maladroit confinant de fait La Taularde à une expérience de cinéma certes fascinante mais jamais décisive.

La Taularde (2016) de Audrey Estrougo – 1h40 (Rezo Films) – 14 septembre 2016

Résumé : Pour sauver l’homme qu’elle aime de la prison, Mathilde prend sa place en lui permettant de s’évader. Alors que sa survie en milieu carcéral ne dépend que de lui, Mathilde n’en reçoit plus aucune nouvelle. Isolée, soutenue uniquement par son fils, elle répond désormais au numéro d’écrou 383205-B. Mathilde deviendra-t-elle une taularde comme une autre ?

Note : 3/5

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