La-Traite-des-blanches-Luigi Comencini

La Traite des blanches : La Cité des femmes

Dans la conscience collective, Luigi Comencini n’a pas l’aura d’un Fellini, d’un De Sica, d’un Pasolini ou encore d’un Visconti. Pourtant, sa filmographie n’a pas à rougir de ces figures tutélaires du cinéma italien qui lui sont au demeurant contemporaines. C’est que Comencini n’a initié aucun mouvement ni véritablement fait partie d’aucun courant cinématographique. Il n’a jamais été non plus un cinéaste engagé comme a pu l’être le cinéma transalpin des années 70. Comencini a en fait littéralement surfé sur les décennies se servant au gré de ses envies et de ses inspirations pour réaliser ses films.

La Traite des blanches - ComenciniAvec La Traite des blanches qui ressort ces jours ci en salles, il n’était encore qu’un jeune réalisateur et ancien critique très influencé par le film noir qu’il saupoudra ici d’un peu de néo-réalisme dont le ressac annoncé donnait déjà naissance à la comédie sociale à l’italienne. Un genre auquel Comencini s’est d’ailleurs frotté quasiment dans la foulée avec un film comme Pain, amour et fantaisie où il en profitait pour s’affranchir de certaines contraintes de mise en scène héritée de sa cinéphilie. Son style gagna dès lors en maturité et en fluidité narrative qu’il ne cessa jamais par la suite d’améliorer. À ce titre, La Traite des blanches a donc pour lui une certaine conception du cinéma entre respect des codes du polar rugueux, film de commande et volonté de bien faire. Il a contre lui un certain dogmatisme qui étouffe quelque fois le film dans des conventions de l’époque un peu pesantes.

Marc-Lawrence-La-Traite-des-blanchesMarc Lawrence

C’était aussi l’opportunité de prolonger Les Volets clos, son précédent film et deuxième long de fiction, qui traitait des mêmes thèmes dans un genre plus mélodramatique et s’employait à filmer les bas-fonds d’une grande cité italienne à la recherche d’une femme disparue, happée par le monde interlope de la prostitution. Celle-ci est montrée au grand jour ici. Elle prend la forme d’un mac (le fameux Marc Lawrence, acteur américain habitué aux rôles de gangsters qui fuyait alors le maccarthysme) qui organise des trafics de femmes profitant de la crédulité de celles-ci mais aussi de leur misère sociale. Pour les attirer, il se sert de marathons de danses censées attirer des producteurs de spectacles ou de cinéma qui ne viennent jamais ou alors juste en coup de vent pour dénigrer ce qu’ils voient (on ne peut s’empêcher ici d’y voir l’influence du romancier et scénariste Horace McCoy qui est entre autre l’auteur du roman noir On achève bien les chevaux édité en 1935 que Sydney Pollack adaptera au cinéma en 1969). C’est l’occasion aussi pour le réalisateur de mettre une nouvelle fois à nue un monde vivant en marge des lois mais aussi des villes où des sous-prolétaires s’entassent dans des maisons de fortune faites de carton et de planches vermoulues en bois. Comencini capte cela d’une manière proche du documentaire tout en y insufflant une photo accentuant la noirceur de la condition humaine censée à l’évidence refléter les intentions les plus viles de ceux qui organisent cette traite des blanches.

Sophia-Loren-La-Traite-des-blanchesSophia Loren

Et puis le futur réalisateur de L’Incompris montre déjà des talents indéniables de direction d’acteurs. Qu’ils soient déjà reconnus ou non. Il a par exemple sous sa pogne un Vittorio Gassman dont la popularité a déjà dépassé les frontières de son pays et dont le personnage vil et pleutre qu’il interprète donne encore au film aujourd’hui toute sa crédibilité intrinsèque. Il dispose aussi d’un bestiaire féminin qu’il met remarquablement en valeur. Il y a une certaine Sophia Loren (sous le nom de Sophia Lazzaro, future épouse de Carlo Ponti, un des producteurs avec Dino De Laurentiis du film qui deviendront, au passage, incontournables dans le paysage cinématographique italien et mondial) qui se fait remarquer dans un de ses premiers rôles substantiels alors que par ailleurs le personnage féminin principal est interprété par la Miss Italie 1947 en la personne de Eleonora Rossi Drago qui connut le succès dans Les Volets clos.

Heureuse combinaison entre une production initiée dans le seul but de surfer sur un sillon plus que sensationnaliste et voyeuriste et l’affirmation d’un cinéaste à l’univers en devenir mais qui ne faisait déjà plus aucun doute, La Traite des blanches se (re)voit avec un réel plaisir doublé de la conviction que Luigi Comencini a eu peut-être tort de l’avoir quelque peu renié.

Ps : À noter que les deux visuels illustrant ce papier sont issus du DVD d’assez bonne facture édité depuis le 1er juillet 2009 par SNC/M6 Vidéo. Il s’agit par ailleurs du même master remasterisé et numérisé pour le DVD qui est utilisé pour cette nouvelle sortie cinéma.

La Traite des blanches de Luigi Comencini – 07 janvier 2015 (Unzéro Films – Rep. 2015)

Dans l’Italie pauvre de l’après-guerre, des mafieux sans scrupule organisent des marathons de danse. Ces marathons servent en fait de paravent à un réseau de prostitution…

Note : 3.5/5

Une réflexion sur « La Traite des blanches : La Cité des femmes »

  1. Bref un bon film noir italien à tendance sociale qui se regarde d’une traite…
    Ce facile – mais si tentant ! – jeu de mots mis à part et que vous voudrez bien me pardonner, il faut avouer que le thème a toujours réussi au cinéma français parlant : Les Chemins de Rio (Robert Siodmak), Des Filles disparaissent (Edouard Molinaro), La Traite des blanches (titre homonyme signé par Georges Combret, 1964) et bien d’autres encore. Certains d’entre eux (le film de Combret par exemple) sont analysés en détails dans le collectif et très épais Dictionnaire des films français érotiques, éditions Serious Publishing, Paris 2011.

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