Mise à mort du cerf sacré - Image une critique

Mise à Mort du Cerf Sacré : Rituel canin

Depuis sa présentation au dernier festival de Cannes d’où il est un reparti broucouille ou presque avec un simple prix du scénario, le dernier film du grec Yórgos Lánthimos ne fait que très peu parler de lui. Pas de buzz, même pas une polémique, rien. Pourtant Mise à Mort du Cerf Sacré a déjà pour tête d’affiche Nicole Kidman et Colin Farrell dont on avait pourtant fait tout un foin durant l’été pour leur association dans le plus qu’oubliable Les Proies de Sofia Coppola. Un Colin Farrell que le réalisateur retrouve d’ailleurs après The Lobster, son précédent film qui fut lui aussi présenté à Cannes nanti d’un Prix du jury plus noble mais pas forcément plus mérité. Pour finir ce tour d’horizon un brin factuel, on osera remarquer que Lánthimos semble clore ici (temporairement ?) une trilogie basée sur la zoologie débutée avec Canine. Soit l’étude à peine déviante sous sa caméra du règne animal à la fois vivant et éteint incluant sa classification, sa structure sociale, sa physiologie et l’histoire des espèces.

Mise à mort du cerf sacré - Affiche France

 

En tant que zoologiste, Lanthimos poursuit donc son auscultation de l’espèce animale dominante du moment, l’Homme. Oui on sait, il faudrait alors plutôt parler ici d’anthropologie. Mais comme Lánthimos s’y refuse à sa façon, y a pas de raison de vouloir le contredire. D’autant que le cinéaste / zoologiste est implacable sous le microscope grossissant de sa caméra. Son œil chirurgical ne laisse rien dans l’ombre sans que pour autant il ne faille attendre aucune explication de sa part. Au spectateur privilégié (un peu comme ces assemblées de savants et docteurs qui pouvaient assister à une opération chirurgicale novatrice en début de siècle dernier) de suivre la démonstration sans que pour autant il ne puisse jamais précéder l’action ou même avoir le temps de l’assimiler in vivo. C’est après que l’on aura tout loisir d’essayer de remettre tout en place et d’intellectualiser. Ou pas en fait tant Mise à Mort du Cerf Sacré peut aussi se voir et se lire en toute linéarité avec son histoire de « revenge badass » teintée de fantastique qui fait froid dans le dos rien qu’à l’évoquer.

On pense d’ailleurs incidemment à Funny Games de Michael Haneke non dans la violence du propos ou dans la radicalité de la mise en scène, mais plutôt dans l’inéluctabilité de la conclusion. La force du film résidant dès lors dans la poigne de fer dans laquelle Lánthimos nous tient et ce sans même prendre de gants. Ou alors si mais dans un cuir froid et tanné. Il ne faut en effet pas se fier aux premières images montrant une famille hautement bourgeoise et unie où les parents sont d’éminents médecins dans leur spécialité respective et où les deux enfants tirés à quatre épingles ressemblent à des enluminures agnostiques. Kidman a d’ailleurs été certainement castée à son insu tant sa plastique tirée elle aussi façon Brazil, semble à elle seule symboliser tout ce que Lánthimos veut dénoncer. Le fait qu’elle soit la seule à prendre immédiatement conscience des enjeux du drame qui se noue au sein de sa famille a dû finalement la convaincre d’endosser ce rôle. Ça et peut-être aussi la séquence où elle joue la morte sur le lit marital et anciennement nuptial pour exciter ce qu’il reste de libido à son mari de Colin Farrell en une mise en scène mortifère annonçant la suite des événements.

La photo clinique, la réalisation à l’avenant et l’histoire que l’on pourrait qualifier d’anthropomorphique inversée personnifiée dès le début par l’intrus pathogène qu’est Barry Keoghan découvert dans ’71 et que l’on a vu dernièrement dans À ceux qui nous ont offensés et Dunkerque, sera en effet le précipité qui va révéler à tout ce petit monde, la vérité qu’ils attendaient en leur for intérieur. Cette inéluctabilité redoutée, attendue, espérée. Mais Mise à Mort du Cerf Sacré va en fait plus loin. Car non content d’inciter, pour ne pas dire plus, à balancer les oripeaux d’une éducation propre à permettre de vivre en société, Lánthimos annonce que derrière ce sacrifice il n’y a pas beaucoup mieux, pour ne pas dire rien. Comme si à sa façon, il rejetait en bloc le socle même de la pensée Nietzschienne qui veut qu’une fois l’homme au-dessus des contingences morales, religieuses et sociétales peut enfin s’accomplir et devenir ce fameux surhomme si mal compris par un certain Hitler. Dans Mise à Mort du Cerf Sacré,  il est juste un peu plus vide et un peu plus creux qu’avant. Et Lánthimos de nous laisser nous démerder avec tout cela. On ne l’en remerciera jamais assez.

Mise à Mort du Cerf Sacré (The Killing of a Sacred Deer – 2017) de Yórgos Lánthimos – 2h01 (Haut et Court) – 1er novembre 2017

Prix du scénario Cannes 2017

Résumé : Steven, brillant chirurgien, est marié à Anna, ophtalmologue respectée. Ils vivent heureux avec leurs deux enfants Kim, 14 ans et Bob, 12 ans. Depuis quelques temps, Steven a pris sous son aile Martin, un jeune garçon qui a perdu son père. Mais ce dernier s’immisce progressivement au sein de la famille et devient de plus en plus menaçant, jusqu’à conduire Steven à un impensable sacrifice.

Note : 4/5

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