Le Grand jeu - Image une critique

Le Grand jeu : Ascension cinématographique par l’Aile Ouest

De grand jeu il en est en effet question dans ce premier long signé par le (très) grand scénariste Aaron Sorkin. Celui d’abord du chat et de la souris avec le spectateur, celui ensuite du Monopoly quatre étoiles avec ses acteurs et puis celui enfin du poker (forcément) menteur avec sa réalisation. Mise en scène que d’aucun pourront au demeurant qualifier de (grand) bluff ou d’enfumage bling bling, là où nous préférerons y voir une machinerie retorse et brillante au service de la seule cause qui soit au cinéma. L’histoire.

Le Grand jeu - Affiche

Mais, pour être honnête, Le Grand jeu n’a besoin d’aucun artifice ou effets de manche (et encore moins de notre plume) pour s’imposer d’entrée comme un premier coup de maître. Les spécialistes pourront même avancer qu’avec un full de rien le scénariste / Showrunner de The West Wing empoche le tapis et fait sauter la banque. C’est que ce Molly’s Game (titre VO aussi pourri que sa trad VF) n’avait sur le papier que bien peu d’atouts dans sa manche. À commencer justement par l’histoire évoquée plus haut dont les différents climax passent (forcément là aussi) par des parties de cartes endiablées, ou pas. Compliqué en effet de passer après un certain Martin Scorsese. Et pourtant. Sans renouveler la chose, au contraire même, Aaron Sorkin filme cela de la manière la plus paresseuse possible allant jusqu’à envoyer des signaux et autres tutos en incrustations numériques à l’attention des ignares qui de toute façon seront vite dépassés. De quoi empeser une image et brouiller les cadres. Mais c’est sans compter sur un je ne sais quoi qui rebat en permanence les cartes et donne à l’ensemble une espèce de souffle épique qu’une voix off vient de plus enturbanner de la plus belle des manières.

Non pour sur-expliquer, non pour faciliter encore une fois paresseusement le travail d’adaptation du bouquin. Au contraire. Sorkin ne connaît que trop bien l’artifice et le détourne de la plus belle des manières un peu à la façon d’un Joe Gillis dans Sunset Boulevard. Et les morts ne sont pas ceux auxquels on pense. Quant à Molly herself, interprétée par une Jessica Chastain rayonnante, elle est cette looseuse flamboyante qui à sa manière a révolutionné le « game ». Sorkin, le fossoyeur de cette Amérique annonciatrice du règne de Trump, en fait alors comme toujours des tonnes aux dialogues pour stratifier son récit en une épopée post reaganienne où tout doit être possible du moment que l’on détourne la loi avec brio, tact et d’une manière entrepreneuriale versant start-up. En cela la tagline marketing française est totalement à côté de la plaque. Molly n’est certainement pas Le Loup de Wall Street au féminin. C’est qu’elle ringardise tellement le parcours du personnage joué en son temps (encore Scorsese me direz-vous) par DiCaprio que cela en est littéralement gênant.

Elle est d’une autre époque. De celle qui désacralise jusqu’au Dieu dollar pour n’en faire qu’un pis aller, un exutoire ante mortem même pas foutu de l’aider à dormir. En cela, elle rappelle l’insomniaque Edward Norton (qui au passage n’a jamais été aussi parfait) dans Fight Club. Celui que Fincher (et l’auteur du bouquin Chuck Palahniuk) appelle « le narrateur ». Celui qui porte déjà en lui les stigmates d’un mode de vie à l’agonie a enfin trouvé sa sœur. Mais Molly, elle, ne souhaite plus rien. Elle n’attend plus rien de la vie. Encore moins de tout faire péter ou même se foutre en l’air. Elle regarde au-delà mais ne scrute que le vide vertigineux dans lequel elle tombe sans cesse. Et notre société avec. La boucle est bouclée.

Le Grand jeu est un film d’une rare noirceur porté par un scénariste au verbe toujours aussi haut et dont on découvre maintenant la finesse de sa démonstration plus que jamais lapidaire et férocement intrusive. Tel le nostradamus inquiétant dans Tintin et L’Étoile mystérieuse, il admoneste avec son gong la parole disruptive aux bonnes gens que nous sommes non pour nous éveiller (c’est bien trop tard pour cela), mais bien pour nous pétrifier sur place. On pourra (re)voir au hasard la pépite toute de noir vêtue d’Archie Mayo pour ne pas s’en remettre. Y a pas à dire, 2018 commence sous les meilleurs auspices.

Le Grand jeu (Molly’s Game – 2017) de Aaron Sorkin – 2h20 (SND) – 3 janvier 2018

Résumé : La prodigieuse histoire vraie d’une jeune femme surdouée devenue la reine d’un gigantesque empire du jeu clandestin à Hollywood ! En 2004, la jeune Molly Bloom débarque à Los Angeles. Simple assistante, elle épaule son patron qui réunit toutes les semaines des joueurs de poker autour de parties clandestines.

Note : 4/5

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