Jusqu'à la garde

Jusqu’à la garde : Possession

Le film s’ouvre par un champ contre champ. Il oppose d’un côté une juge aux affaires familiales et de l’autre un couple flanqué de leurs avocats respectifs. Le but de la confrontation est comme souvent dans le cadre d’une procédure de divorce avec des enfants dans le lot de décider qui en aura la garde et selon quelles modalités. La mère, frêle, en retrait, sur la défensive, les yeux rougis par des années de malheur est incarnée par Léa Drucker. Le père, tel un taureau prêt à bondir à la gorge de la juge est joué par Denis Ménochet. C’est en creux ce que synthétise d’ailleurs la très belle affiche. On a ainsi l’impression d’assister à la suite de 10e chambre – Instants d’audience de Depardon en ce sens que la caméra ne se permet rien d’autre que d’enregistrer et de régurgiter la tension palpable au détour de chaque plan. Et pourtant, la fiction est bien là. Et Jusqu’à la garde de s’immiscer en traître par le versant nord de la rétine gauche pour mieux s’approprier un spectateur déjà conquis par une mise en situation ordonnancée au pixel près.

Jusqu'à la garde - Affiche

Pour les plus perspicaces, le blaze de Xavier Legrand ne leur est pas inconnu. C’est qu’en 2014, il avait remporté le César du meilleur court-métrage avec Avant que de tout perdre où l’action se déroule à l’évidence quelques mois plus tôt. Soit la journée où la mère décide de prendre ses enfants et de s’enfuir du domicile conjugal sans autres formes de préparation qu’un sac poubelle avec quelques fringues et une sœur venue les récupérer sur son lieu de travail. 30 minutes menées tambour battant où la réalisation déjà ciselée pour ne pas dire au cordeau démontre que la réussite de Jusqu’à la garde n’est pas un heureux accident. Les acteurs sont les mêmes (à l’exception du petit frère, on y revient) et la démarche est finalement assez rare dans le cinéma français d’aujourd’hui car elle montre que cet acteur de formation issu du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris a de la suite dans les idées et que surtout son histoire initiale avait le potentiel pour passer au niveau supérieur.

D’autant que tout ou presque y était. À commencer par cette volonté naturaliste filmée à la façon d’un thriller. Un mélange des genres qui donne à voir ici un climax de fin dont on ressort totalement essoré mais dont l’efficacité repose surtout dans la montée quasi létale et inéluctable de la tension psychologique distillée tout au long du film. Le spectateur est ainsi pris par le col sans quasi une minute de répit. Xavier Legrand soupesant, travaillant, décortiquant à l’envi une histoire filmée telle une lutte, un corps à corps minéral à l’image de celui incarné par Denis Ménochet en véritable M le maudit qui fait peser sur sa famille plus qu’une ombre constante et menaçante. Si sa caméra filme au plus proche des visages et des corps, que dire alors du soin apporté à la bande son. Entr’entendu dans son court-métrage, elle est ici portée à son paroxysme. Ici un clignotant de voiture obsédant, là l’écho dans un appartement ou le bruit métronomique d’une horloge ou celui vrillant d’une alarme… ce sont tous les bruits familiers de la vie ordinaire qui prennent ici un relief quasi fantastique rajoutant au sentiment langien évoqué plus haut.

Ils amplifient ce climat d’insécurité que Legrand s’applique aussi à rendre compte à hauteur du plus jeune des enfants. Lui qui s’est fendu d’une lettre lue devant la juge au tout début détaillant sa volonté de ne plus revoir son père. Thomas Gioria qui s’adjuge ici sa première expérience de cinéma est d’une rare justesse et montre aussi l’extraordinaire faculté qu’à ce réal en herbe de tenir ses acteurs. Léa Drucker que l’on avait vu décidé et mère courage dans le court-métrage semble quant à elle beaucoup plus fragile et moins certaine de ses choix. Son personnage en acquiert une richesse bien réelle et montre si besoin était toute la difficulté qu’ont ces femmes à se défaire de l’emprise d’un homme violent à la noirceur narcissique pathologique. En cela il rappelle le pasteur maléfique joué par un certain Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur.

Jusqu’à la garde est une pépite d’une noirceur absolue. Il (ré)concilie de plus et sans coup férir deux versants totalement opposés du cinéma français. D’un côté une tradition héritée de la nouvelle vague qui admoneste sa façon de filmer le quotidien dans sa réalité la plus crûe et de l’autre celle plus ancienne qui insuffle du sens à la mise en scène pour mieux coller au réalisme recherché. Pour un premier long, il s’agit là d’un coup de maître qui de surcroît et sans trop le crier sur tous les toits fait avancer les choses quant à la libération de la parole féminine au sein de nos sociétés encore bien trop patriarcales, misogynes pour ne pas dire ultra violentes à leur encontre (1). Une démarche à l’humilité prégnante qui force s’il en était encore besoin le respect le plus absolu. Quand le cinéma (français) arrive à de tels sommets, on en redemande. Au risque de suffoquer.

(1) À des années lumières du produit totalement cynique intitulé Revenge qui sort aussi ce mercredi.

Jusqu’à la garde (2017) de Xavier Legrand – 1h33 (Haut et Court) – 7 février 2018

Résumé : Le couple Besson divorce. Pour protéger son fils d’un père qu’elle accuse de violences, Miriam en demande la garde exclusive. La juge en charge du dossier accorde une garde partagée au père qu’elle considère bafoué. Pris en otage entre ses parents, Julien va tout faire pour empêcher que le pire n’arrive.

Note : 4,5/5

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