Ma vie de courgette de Claude Barras (Cannes 2016)

Cannes 2016 – jour 4 : Courgettes, chiens et voyage dans l’espace

Une fois n’est pas coutume, en ce 5èmejour de Cannes 2016 nous n’aborderons pas la compétition officielle proposée ce jour. Deux raisons simples. La première se résume au visage livide et terrifié des festivaliers qui sortaient de la première projection du film de Nicole Garcia, Mal de pierres, tiré du magnifique livre de Milena Agus. Leur effroi, si palpable qu’on s’est demandé si on ne leur avait pas fait une mauvaise blague en leur projetant l’intégrale du catalogue des films Asylum (Sharknado : 4th awaken, Mom, Tommy made a dinosaur…), provenait apparemment de la piètre qualité du film. Nous n’avons pas osé y risquer nos rétines. La deuxième raison vient des 2h42 du film d’Andrea Arnold, American Honey. Certes, la réalisatrice est excellente, et peut-être qu’on le rattrapera plus tard, mais plus les années passent plus la durée moyenne des films se rallongent et, globalement, plus ils ennuient. Difficile de savoir si c’est un effet du tout numérique – plus de pellicule à acheter ni de développement à payer, d’où une nouvelle facilité pour rallonger les histoires même quand elles n’en ont pas besoin – mais en tout cas, ça nous fait fuir ! Et ça nous fait d’autant plus fuir qu’en 2h40 on peut voir deux excellents films…

Pour compenser, nous nous sommes réfugiés à Cannes Classics, Un Certain regard et la Quinzaine des réalisateurs. Cannes classics fait, cette année, la part belle à la SF et à l’horreur avec Mario Bava, Roger Corman ou Andreï Tarkovski. Nous leur avons préféré un réalisateur tchèque méconnu en allant voir Ikarie XB-1 de Jindřich Polák, un film de science-fiction tout juste restauré de 1963 sur une mission spatiale, en 2163, qui cherche des traces de vie du côté d’Alpha du Centaure. Ce qu’on connait des productions tchèques des années 60 se limite en général aux films de leur Nouvelle vague avec ses chef d’œuvres influencés par le néoréalisme ou le surréalisme signés Milos Forman, Ivan Passer, Vera Chytilova, Jiri Menzel… ou à leurs films d’animation de marionnettes parmi les plus beaux du monde. Parmi cette production et celle contrôlée par l’état alors sous la coupe des soviets, Ikarie se situe un peu hors de tout. Le scénario est signé Pavel Juracek, qui intègrera cette nouvelle vague en réalisant notamment Un cas pour un bourreau débutant. Le tournage s’est fait dans les studios Barandov, qu’on peut comparer – toutes proportions gardées – à un Hollywood du bloc de l’est. On balance donc entre l’officiel et le désir de renouveau. En outre, comme tout bon film de science-fiction, Ikarie ne se départit pas d’un certain degré critique en interrogeant le rapport de l’homme à la machine, aux nouveaux armements et à son utilisation du nucléaire. Le rythme est un peu lent, le scénario étonnant car plutôt concentré sur une action minimale et les rapports des individus entre eux ainsi que sur leur propre humanité alors qu’ils sont perdus hors de leur monde naturel et dans un vaisseau spatial labyrinthique étonnamment bien pensé, rappelant les trucages à la Méliès ou certains films de Karel Zeman avec une architecture et un design typique des années 60. Forcément, d’aucuns pourront le trouver un peu kitsch, mais il n’en est pas moins une jolie découverte.

Ikarie XB-1 de Jindřich Polák (Cannes Classics 2016)Ikarie XB-1 de Jindřich Polák

Lire le dossier de presse Ikarie XB-1 (Cannes Classics 2016)

Un Certain regard nous a permis de découvrir un film roumain de moins de 2 heures, Caîni (Dogs) de Bogdan Mirica, un nouveau cinéaste extrêmement prometteur qui navigue entre les genres, flirtant avec l’horreur, le polar, la comédie mais sans jamais vraiment entrer ni dans l’un ni dans l’autre. Le film raconte l’histoire d’un homme qui reçoit en héritage de son grand père décédé, une immense propriété quasiment vide dans la campagne roumaine. Seul problème : son grand-père avait des activités illicites qu’il ignorait plus ou moins et sa demeure servait de repère à un trafic bien développé. Du coup, quand l’héritier décide de revendre, cela pose  problème. La mise en scène, calme comme peuvent l’être les films roumains, est précise avec des cadres et des lumières qu’on sent parfaitement pensés et maîtrisés pour créer une atmosphère malsaine et étrangement inquiétante. De la même manière Mirica ose alterner des rythmes radicalement opposés avec des ellipses surprenantes qui choquent sans rien montrer, et des plans d’une durée anormalement longue qui servent souvent à développer un humour grinçant à l’image de l’autopsie d’un pied auquel il manque le reste du corps par un policier dans sa propre cuisine. La caméra reste fixe et montre l’homme opérer avec des gestes aussi lents et minutieux qu’un chirurgien tout en utilisant des objets quotidiens afin d’enlever une chaussure et une chaussette pour examiner ce pied déchiré dont il n’apprendra rien avant de le faire examiner par un vétérinaire en le transportant dans une glacière vert fluo. On vous laisse imaginer la suite…

Caîni de Bogdan Mirica (Cannes 2016)Caîni de Bogdan Mirica

Lire le dossier de presse Caîni (Cannes 2016)

Mais, le film qui aura certainement le plus marqué la croisette aujourd’hui est Ma vie de Courgette de Claude Barras qui a connu de longues salves d’applaudissements. Très attendu depuis plusieurs mois et précédé d’une réputation justifiée, il était proposé à la Quinzaine des réalisateurs. Pendant une heure et six minutes – certains devraient prendre exemple – on suit les aventures tragique et tendre, amusante et cocasse d’un enfant placé dans un orphelinat à la suite de la mort de sa mère. Ce long-métrage d’animation en marionnettes, d’une belle densité, sans temps morts, longueurs ou ajouts non nécessaires, est l’adaptation d’un livre de Gilles Paris, Autobiographie d’une courgette, et son scénario a été écrit par Céline Sciamma qu’on connait comme cinéaste et scénaristes de films mettant en scène essentiellement des enfants ou adolescents en marge : Naissance des pieuvres, Tomboy, Bande de filles, Quand on a 17 ans… Les figurines ont un design unique, que jamais Hollywood aujourd’hui ne saurait reproduire tant Barras les compose de manière expressive et non lisse. Les personnages ont tous des visages particuliers, comme s’ils portaient dessus les traces de leur histoire souvent tragique qu’ils oublient en étant tous ensembles. Cheveux, bouche, nez, oreilles, taille de la tête, tout concourt à faire passer dans une simplicité apparente un maximum de caractéristiques psychologiques. En résulte un film merveilleux, qui touche au but sans aucun détour et avec une efficacité rare qu’on ne rencontre guère, ces temps-ci, que dans les longs-métrages animés. On s’en rendra compte, une fois encore, mardi prochain lorsque sera présenté La Tortue rouge de Michael Dudok de Wit.

Ma vie de courgette de Claude Barras (Cannes 2016)Ma vie de courgette de Claude Barras

Lire le dossier de presse Ma vie de courgette (Cannes 2016)

Hier au marché, nous avons pu découvrir un film dans sa totalité. Il ne sera donc plus questions ici de bande-annonce même si on s’en serait bien contenté. Il s’agit de Bilal de Khurram H. Alavi et Ayman Jamal. C’est le premier long-métrage d’animation fait par les Émirats Arabes Unis. Réalisé sur ordinateur, on a l’impression que les animateurs auraient bien besoin d’un supplément de formation et logiciels plus récents. On ne s’attardera guère sur le scénario, hagiographie islamique à la gloire d’un esclave se rêvant guerrier et devenu l’un des héros musulmans du temps de Mahomet.

Aujourd’hui, si tout va bien, retour à la compétition avec Jeff Nichols et Jim Jarmush !

  Lâchez-vous !

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *