White God

Le cinéma de genre en deux festivals

Alors que deux grands festivals internationaux, Venise et Toronto, se disputent la faveur des médias au mois de septembre, la rentrée festivalière française est souvent tournée vers le genre et le bis. Que ce soit L’Étrange festival au Forum des images, le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg voire même Deauville, des films se croisent, se recoupent, chacun avec ses inédits mais formant un ensemble plutôt homogène où émergent les grandes lignes du fantastique contemporain (prendre fantastique dans un sens large).

Plusieurs films marquants se retrouvent ci et là, depuis Cannes : A Hard day de Kim Seong-hun, Alléluia de Fabrice du Welz, These final hours de Zak Hilditch, White god de Kornel Mundruczo, It follows de David Robert Mitchell, The Tribe de Myroslav Slaboshpytskiy… et d’autres très bons qui préfigurent aussi les mois à venir dans les salles obscures : The Voices de Marjane Satrapi, Prédestination de Michael and Peter Spierig, White bird de Gregg Araki, Refroidis de Hans Peter Molland, Le Garçon et le monde de Alê Abreu… enfin, beaucoup ne seront certainement visibles que lors de leur entrée en lice dans tel ou tel festival avant de disparaitre de la surface des rétines pour les siècles à venir. Pas forcément parce qu’ils sont mauvais, mais plutôt parce qu’ils ne collent pas avec les choix préfabriqués des commerciaux créateurs de publics cibles. Malgré la quinzaine de sorties cinéma par semaine, une bonne partie des films est consacrée à des productions courantes, formatées qui évitent au maximum les audaces formelles ou les sujets risquant de voir poindre quelques goutes de sang ou quelques tripes et boyaux de peur de manquer ces quelques masses spectatorielles modelées de toute pièce. L’intérêt de ces rencontres cinéphiles est donc important pour diverses raisons.

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D’abord parce que même si quelques films sont des produits de festivals, ils méritent d’être vus et il faut rappeler leur existence sans cesse afin de faire bouger quelques personnes de plus dans les salles, de leur donner une chance de sortir ou de les empêcher de sombrer dans l’oubli. Le plus bel exemple est peut-être White god de Kornél Mudruzco. En effet, le film est des plus difficiles à cibler. Après un début mémorable avec une des plus belles séquences de l’année où une fille à vélo se fait poursuivre par une meute de chiens dans la capitale hongroise, on a l’impression de virer dans un Disney revisité par 30 millions d’amis avant d’avancer peu à peu dans le trash, l’angoisse et le sang. De fait, l’idée du film pour enfants risquerait d’en rebuter plus d’un, la monstruosité empêchera un public trop jeune de le voir et la cible est floue. Pourtant le film mérite largement une vision et ses prix à Strasbourg ou à Un certain regard à Cannes en sont une jolie preuve.

White God

Ensuite, parce qu’il faut montrer que d’autres formes existent sans qu’il y ait besoin d’aller fouiller dans les entrailles du web pour le télécharger sans même savoir si c’est légal puisque personne n’a l’idée de vouloir le montrer ici ou ailleurs. Qu’on les aime ou non, ces films possède un intérêt certain et sont parfois bien meilleurs que ce qu’on nous donne à voir. C’est le cas par exemple de It follows de David Robert Mitchell. Découvert à La Semaine de la critique et présenté à L’Étrange festival, ce film est l’une des révélations de l’année. Avec un budget des plus modiques mais une idée aussi simple qu’excellente doublée d’une mise en scène ingénieuse qui joue sur les distances, l’espace et la lenteur, le cinéaste est parvenu à réaliser une œuvre effrayante et intelligente où un individu venu d’outre-tombe en marche constante poursuit quelqu’un. Inutile de s’encombrer de trop de questions du type : pourquoi ? comment ? La chose est là, encore, toujours, avec une apparence quasiment humaine, on peut la repasser et la reprendre. Et c’est tout ce qu’on a besoin de savoir. Difficile de faire plus sommaire et épuré mais le dispositif fonctionne, génère une angoisse continue et parvient à ses fins tout en devenant un cours pratique sur le mécanisme de la peur au cinéma.

It follows

Enfin, parce que le cinéma dit Bis/Z/d’horreur, est important. Ce n’est pas un sous genre mais souvent le manque de moyens et de visibilité les condamne d’avance. Les évolutions sont constantes et il convient de les suivre au mieux et donc de disposer d’endroits où voir une sélection des dernières nouveautés. On aura beau les trouver ridicules, des films comme Zombeavers de Jordan Rubin ou Dead snow 2 de Tommy Wirkola sont des exercices de style aussi amusants qu’intéressants. Ils démontrent une excellente connaissance du film de zombie chez leurs auteurs, de même qu’un savoir-faire indéniable dans la caricature, la parodie et le grotesque, ce que ces monstres sont bien souvent malgré eux. L’un de leur autre défaut est certainement leur caractère répétitif : ils avancent, ils mangent et n’interagissent pas. Difficile de se renouveler, surtout dans le genre sérieux, avec des caractéristiques aussi pauvres. Mais parfois le comique assumé et quelques bonnes idées permettent d’y parvenir. Malheureusement le premier est sûrement voué à disparaitre dans l’oubli numérique et le second ne bénéficiera que d’une sortie DVD/Blu-ray. D’où l’intérêt des séances de minuit strasbourgeoises qui sont l’un des rares lieux où ils seront montrés sur grand écran. De même, on se demande comment faire pour que le Late Phases d’Adrian Garcia Bogliano, en compétition dans la même ville, puisse être vu par un public plus large. C’est en effet, l’un des rares films de loup-garou réussi et qui ne donne pas dans le comique involontaire. Outre une magnifique partition musicale, il est doté d’une idée intéressante : le protagoniste, mis au rebut dans une cité résidentielle pour personnes âgée, est aveugle et devra combattre avec l’odeur et l’ouïe. On oublie aisément le côté un peu kitsch des bestioles pour se prendre au jeu.

Dead snow 2

D’autres films encore ne font pas parti du cinéma fantastique mais pourraient y prétendre par certains aspects et les inclure dans ces festivals c’est aussi s’interroger sur les frontières du genre, ce qu’on fait assez peu. Avec Refroidis de Hans Petter Moland ou White Bird de Gregg Araki en section Crossover, Strasbourg va assez loin. Le premier est un polar enneigé venu de Norvège, le second un mélange de film adolescent et de disparitions mystérieuses. Mais tout ce qui peut les rapprocher du cinéma de genre c’est son décalage par rapport aux normes et sa forme singulière pour le premier et son aura de mystère pour le second, la couleur blanche étant l’apanage du bizarre pour les deux. D’aucuns pourront leur contester leur place dans ces festivals alors que d’autres manifesteront leur envie de les voir et c’est également le cas du cinéma d’animation, forme souvent et heureusement présente dans ce genre de festival alors même que les sujets abordés dans les films proposés ne devraient pas permettre de les y voir. Cette année c’était le cas d’Asphalt Watches de Shayne Ehman et Seth Scriver à Paris, autour du périple en autostop des deux réalisateurs autour du Canada et de Le Garçon et le monde en Alsace, à propos d’un voyage dans un Brésil magique mais en proie à différents maux d’un petit garçon qui cherche son père. Rien n’indique que ces deux films devraient figurer dans le programme, même hors compétition, sinon peut-être leur forme : le côté psychédélique fou et moche du canadien, les couleurs folles et les traits simples associés à la prise de vues réelles du brésilien. Mais cette forme n’est pas un critère en soi car sinon la plupart des films animés seraient classés dans le fantastique. Et si rien ne justifie leur présence, ils pourraient engendrer des discussions sur la pertinence de telle ou telle œuvre ci et là…

Asphalt watches

2 réflexions sur « Le cinéma de genre en deux festivals »

  1. En parlant de « films de loup-garou réussi et qui ne donne pas dans le comique involontaire », il faut également citer « When animals dreams » qui était cette année à la Semaine de la Critique au côté d’It Follows et The Tribe.

  2. Mouais. Nico ne l’a pas vu et donc ne pouvait en parler. J’y ai en effet pensé en relisant son papier mais en fait non. Le film ne fait en effet pas dans la gaudriole mais pêche par son côté un peu cheap et sa fin complètement tarte…

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