Diamantino - Image une - Cannes 2018

Cannes 2018 – Jour 4 : Diamant brut, Garrincha et borderline

En ce quatrième jour de Cannes 2018 la fatigue commence déjà à se faire ressentir et les nuits de 5h paraissent déjà un luxe. Cependant, le manque de sommeil peut parfois avoir des effets amusants sur la vision d’un film. L’impression de voyager dans un rêve éveillé et de se demander si on somnole ou si on est vraiment dans la salle. L’impression d’avoir pris une substance étrange qui nous transporterait ailleurs dans un pays lointain, très lointain. Ceci étant dit on peut quand même vous ressortir le programme que l’on s’était assigné à savoir Diamantino de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt, Border d’Ali Abbasi et enfin Another day of Life, coréalisé par Damian Nenow et Raul de la Fuente. Pour ce qui est du reste…

Diamantino - Cannes 2018

Diamantino, que l’on a vu (si notre mémoire immédiate est fiable) en matinée, est est notre deuxième favori du festival à date. Présenté à la Semaine de la critique, il s’agit du premier long de deux cinéastes déjà auteurs de plusieurs courts. Abrantes est le plus connu du duo et il navigue depuis plusieurs années entre le film d’art quasi muséal et le cinéma, souvent avec un regard critique amusé sur le monde qu’il décrit et qui ressemble à tout et à rien. Son œuvre est inclassable, souvent absurde et baroque et il a remporté de nombreux prix dans de prestigieux festivals. Si on devait céder à la facilité et le comparer à d’autres réalisateurs, on pourrait citer des gens comme Bertrand Mandico ou F.J. Ossang mais on serait loin du compte. Il a un style singulier et si on avait peur que son univers surprenant passe mal la barrière du long, Diamantino a rassuré.

Mais qu’est-ce donc ? Un film sur le football. Autant prévenir de suite, le seul footballeur que l’auteur de cet article doit connaitre est probablement Mané Garrincha car Joaquim Pedro de Andrade lui avait consacré un magnifique documentaire en 1963. Le reste n’existe pas. C’est donc avec un surplus d’appréhension qu’on abordait ce métrage portugais où on apprend que les footballeurs sont des êtres gentils et égocentrés, plein de compassion vis-à-vis des réfugiés, sans cerveau ni culture, qu’ils dévorent des gaufres au Nutella à tous les repas et qu’ils voient des chiots mignons géants nageant dans de jolis nuages roses dès qu’ils ont le ballon au pied afin d’accomplir d’extraordinaires exploits sur le terrain. Diamantino est donc quasi documentaire semble-t-il.

Sauf que là, tout ne se déroule pas comme prévu. Notamment à cause des services secrets portugais, de Panama, d’une adoption foireuse, d’un parti ultra-nationaliste, de jumelles castratrices, d’un laboratoire qui clone le génie et fait pousser des seins et d’autres phénomènes étranges. Que du très sérieux donc. Mais au-delà de ce foisonnement d’événements extraordinaires, ce qu’on retient c’est l’incroyable maîtrise de l’ensemble : le film tient la route (oui, oui !) et il ne ressemble à rien de ce qu’on voit habituellement tout en proposant une critique sociale intéressante car tournée en dérision et qui joue complètement sur l’absurde et le non-sens. Et tout y passe : la crise, l’homosexualité, les mèmes, le sport et ses millions, la surveillance et la perte de liberté, la politique, les financements illégaux, les dérives pseudo-scientifique, l’immigration, l’ultra-droite, etc. Et tout ça en à peine 1h30. On ne peut qu’applaudir !

D’autant plus que même formellement le film est intéressant. On retrouve ce que proposait le duo, voire Abrantes en solo dans ses précédents courts : un univers onirique certes mais également réaliste par moment, en partie futuriste et complètement improbable la plupart du temps. Les réalisateurs créent un monde parallèle, reflet déformé du notre et à peine uchronique. Les écrans dématérialisés du labo semblent ultra modernes réellement mais aussi anciens d’un point de vue cinématographique, les aberrations et les ambiguïtés physiques, psychologiques, sociales, amoureuses et sexuelles parcourent le film, offrant un paysage incongru et incroyables et des portraits d’individus haut en couleur. Musicalement, il en est de même. Ils reprennent notamment le Lontano de Ligeti, que Shining avait rendu célèbre dans une magnifique séquence avec les deux jumelles folles et armées mais en prolongeant le morceau jusqu’à la fin, ce que ne faisait pas Kubrick. Abrantes et Schmidt ancrent également leur œuvre dans une perspective contemporaine mais déjà dépassée en cumulant l’utilisation du film pellicule et des effets visuels rajoutés après coup. Ils permettent de jouer sur la dimension profondément animée des films contemporains qui usent sans cesse des métamorphoses, images de synthèse et dérèglements électroniques ou informatiques sans se poser davantage de questions.

Border - Affiche Cannes 2018

On est là face à une œuvre drôle et folle qu’on reverra avec plaisir. Et ce contrairement à Border, deuxième long-métrage d’Ali Abbasi, cinéaste iranien qui tourne en Suède depuis plusieurs années et qui propose un film dérangeant et malsain, beaucoup moins drôle et souvent très kitsch. Son nouveau film, qui concourt à Un certain regard, n’est pourtant pas dénué d’intérêt mais il peine à convaincre totalement. Il s’agit d’une adaptation d’un ouvrage de John Ajvide Lindqvist, auteur de Laisse-moi entrer, deux fois adaptés à l’écran par Thomas Alfredson avec Morse et Matt Reeves avec Let me in. Il ne s’agit plus de vampires contemporains ici mais d’une sombre histoire de trolls, de gènes modifiés et d’êtres au visage difforme qui s’interrogent sur leur humanité.

Une fois encore ces êtres merveilleux sont présentés de façon réaliste et on les suit dans leur quotidien terrestre. La protagoniste est douanière, son père est en maison de retraite, elle vit dans la forêt avec un homme qui élève des chiens. En soit, rien d’extraordinaire. Sauf qu’elle sent les émotions d’autrui, qu’elle possède un don avec les animaux et qu’elle a une malformation physique rarissime. Mais cette dimension réaliste perturbe car on a du mal à savoir où on se situe tant les genres se mélangent, se disputent et entre en collision, comme les histoires secondaires trop nombreuses. Un peu de polar, une romance, un drame familial, un hymne à la tolérance, un film d’horreur, une ode à la nature… On se perd parfois dans tout ceci. Et, bien que le réalisateur propose une surprenante variation autour d’un cinéma de genre, dès qu’il l’épouse franchement, l’œuvre tourne quelque peu au ridicule. Si tout est affaire de croyance, peut-être qu’un humain qui se découvre troll et doute sur ce qu’il est depuis des décennies, c’est un peu trop poussif !

L’aura de Cronenberg est quelque peu présente dans certaines séquences, notamment dans la manière de présenter l’enfant caché et de jouer sur l’organique et la matière mais Ali Abbasi ne va pas assez loin pour vraiment creuser le sujet comme le faisait le canadien dans Chromosome 3 ou Faux-semblants par exemple. Tout est trop flou pour qu’on puisse y croire totalement. Néanmoins on ne peut pas reprocher au cinéaste de se reposer sur des acquis, de jouer la facilité ou de réaliser son film n’importe comment. Techniquement, l’ensemble est convaincant et la photographie magnifique. Et puis, il a tenté quelque chose que peu de gens osent, ne sombrant pas dans la facilité de l’horreur gore et grotesque et apportant une réelle psychologie aux personnages. Son film pourrait ainsi faire penser à Transfiguration de Michael O’Shea vu à Un certain regard en 2016 : une histoire de vampires ultra-réaliste, loin d’être parfaite mais non dépourvue d’intérêt et qui méritait le détour. Reste que le bébé flasque au congélo – prix Véronique Courjault 2018 –, la sexualité ambivalente et la monstruosité physique auraient pu être appréhendés autrement pour être plus crédibles et efficaces.

Une fois n’est pas coutume, on finira par de l’animation. Annecy s’est invité pour la troisième fois au festival pour l’événement Annecy goes to Cannes lié au marché du film. Pendant un peu moins de deux heures, cinq projets de longs-métrages animés ont été pitchés à un public composé de professionnels et de journalistes. On y allait principalement pour voir où en était Heart of Darkness, adaptation franco-brésilienne du roman de Joseph Conrad qui avait déjà servi de base à Apocalypse Now. Coproduit par Les Films d’ici et Karmatique, le film sera réalisé par Rogério Nunes et déplace l’action du livre de l’Afrique au Brésil en proposant une vision de Rio de Janeiro dans un futur proche. Dans des favelas inondées, plus sales, violentes et pauvres que jamais, un officier de police, Marlon, est chargé de retrouver le Capitaine Kurtz qui a disparu dans de mystérieuses circonstances. Heart of Darkness avait été proposé en concept voilà trois ans au Cartoon movie et il a bien avancé depuis : le scénario est écrit, le story-board est fait, les voix ont été enregistrées et l’animatique est pratiquement terminée. Si tout va bien, il devrait entrer en production très vite. Nous ne sommes pas ressortis totalement extatique par les essais proposés, notamment par rapport au design des personnages un peu convenu, mais l’ensemble reste convaincant et on a hâte de le voir terminé !

Another day of Life - Cannes 2018

Another day of Life, coréalisé par Damian Nenow et Raul de la Fuente est un autre long animé qui fût pitché plusieurs fois au Cartoon movie et qu’on attendait avec impatience. Enfin terminé, il faisait ses débuts en séance spéciale cette année à Cannes. Documentaire animé, il est une adaptation du principal ouvrage du grand reporter polonais Ryszard Kapuściński sur la guerre civile en Angola au cours des années 70. Sa première réussite est de parvenir à être clair sans jamais être trop didactique. Même sans rien connaître de cette période ou de cette guerre, on en comprend aisément les enjeux, les problèmes et le déroulement. Certes, la réalité était certainement plus complexe encore mais le film en offre une parfaite introduction en entremêlant habilement images d’époque, tournage live actuel, entretiens avec ceux cités dans le livre encore vivants aujourd’hui et animation numérique au rendu 2D réalisée en capture de mouvements.

Lorsqu’un film d’animation documentaire parle de la guerre, de combats et d’un parcours personnel, on se sent toujours obligé de citer Valse avec Bachir. La comparaison est facile et il ne fait aucun doute que sans le film d’Ari Folman aucun producteur n’aurait financé Another day of Life. Pourtant, au-delà de l’aspect technique (qui par ailleurs n’est pas totalement identique entre les deux œuvres), les films sont différents voire opposés. Nenow et de la Fuente utilisent l’animation comme un moyen de reconstituer des événements qui n’ont jamais pu être enregistrés ou dont les traces visuelles ont pour la plupart disparu. Ce type de reconstitution permet clairement d’éviter de faire croire au spectateur qu’il va voir la réalité d’une époque révolue. Au contraire, il va plutôt épouser les pensées propres à un individu aux prises avec une vision du monde, son empathie avec une cause, ses doutes et son action, une conception du journalisme, une forme de déontologie et donc une perception hautement subjective. En l’annonçant avec l’animation, avec des couleurs prononcées et un mouvement qui perturbe quelque peu, les réalisateurs ne trichent pas comme d’autres peuvent le faire avec la prise de vues continue, toute aussi subjective mais d’apparence plus réelle. En outre, l’animation, grâce à des jeux de métamorphoses, permet de faire un lien direct de l’enfer de l’Angola à l’esprit torturé de Kapuściński, de montrer qu’on se situe dans un univers mental, dans un flux de pensées intimes décrit dans le livre, dans les peurs et les peines de l’auteur. Les images ne passent plus pour des souvenirs mais vraiment pour des cauchemars.

Le réel intervient plutôt en contrepoint, ne s’immisçant dans l’animation que dans la dernière image, pour parler d’aujourd’hui, montrer l’actualité de l’ouvrage et, si on nous permet l’oxymore, la défaite d’une victoire. On y découvre des photographies d’époque, notamment du personnage de Carlotta, mort au combat et donc inanimé et en noir et blanc. On y voit des images actuelles d’un pays qui a vécu la guerre pendant 27 ans et n’est toujours pas parvenu à se reconstruire malgré les combats relatés dans le livre. L’échec du capitalisme autant que du socialisme est patent et si les témoignages permettent de mettre à distance les événements avec 40 ans de recul, c’est à peine le minimum nécessaire. Et quant à l’image du bateau échoué à la fin du livre, elle restera probablement dans les mémoires de ceux qui verront Another day of Life.

Le seul reproche qu’on fera au film finalement c’est peut-être de céder parfois à la facilité dans quelques séquences au montage très « hype » et d’utiliser une animation un peu bancale et à la mode, répondant plus à des considérations économiques qu’à de véritables velléités de recherches. Néanmoins, il est indéniable que film atteint son objectif et qu’il reste passionnant à plus d’un titre, donnant vraiment envie à ceux qui ne le connaissent pas de se procurer le livre du reporter.

On a aussi vu L’Ange de Luis Ortega, mais on le réserve pour plus tard. La suite, c’est Godard, l’Islande et quelques courts métrages.

  Lâchez-vous !

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *