Isiang - Une

Cannes 2015, jour 3 : rude journée pour les femmes

Sur quatre films vus au cours de notre troisième jour cannois, trois se sont révélés être des portraits de femmes délicats, difficiles et destructeurs. De manière assez surprenante, leur titre était à chaque fois le prénom de la protagoniste.

Nahid - Affiche Cannes

On a commencé par l’Iran avec Nahid de Ida Panahandeh, un premier long sélectionné à Un certain regard. La réalisatrice, également scénariste, était jusqu’à présent une habituée des courts-métrages et documentaires. Pour ce film, elle a choisi de dresser le portrait d’une femme en lutte pour une difficile liberté. Dans le Nord de l’Iran, Nahid est mère d’un enfant, divorcée d’un mari toxicomane et amoureuse d’un autre homme avec lequel elle ne peut se remarier au risque de perdre la garde de son fils. Pour couronner le tout, ce dernier refuse d’étudier et elle se retrouve avec d’énormes problèmes financiers. Le poids du monde et des traditions semble lui tomber dessus et le film montre la lutte de cette femme qui refuse de plier face au diktat des hommes. Ces histoires de relations familiales complexes et inextricables sont choses courantes dans le cinéma iranien et beaucoup auront peut-être quelque impression de déjà vu. Cependant, le choix de Sareh Bayat, Ours d’argent de la meilleure actrice pour son rôle de femme de ménage dans Une Séparation d’Asghar Farhadi, est excellent et la mise en scène convaincante. L’image oscille sans cesse entre des teintes grises et bleues qui renforcent la mélancolie générale d’un monde où le soleil a l’air de ne jamais vouloir se lever, et on apprécie le double registre d’image qui passe de la caméra de Panahandeh à des caméras de vidéo surveillance, offrant l’impression d’un contrôle oppressant des individus et d’un emprisonnement constant.
Être une femme, et pas seulement en Iran, c’est d’abord résister. Résister au poids des traditions, de la culture et de la possessivité des hommes pour tenter de vivre la vie que l’on désire. Et si le premier offrait encore un léger espoir, le second film visionné, n’en laisse guère.
Isiang - Cannes Classics 2015

On a en effet quitté l’iranienne Nahid pour la philippine Insiang de Lino Brocka projeté à Cannes Classics. Insiang est une jeune femme persécutée par une mère tyrannique, abandonnée par son père, abusée par son petit ami et le nouvel amant (beaucoup plus jeune) de sa mère mais qui, malgré son apparence angélique, refuse de se laisser aller et ourdit sa vengeance. En somme, là aussi les relations familiales tortueuses et les vies désespérées de la classe la plus populaire sont au cœur du récit. Réalisé en 1976 en à peine 17 jours, dont 11 jours de tournage, dans des conditions précaires, Insiang est un véritable choc visuel et sonore. Lino Brocka, pour ceux qui ne le connaissent pas, est le plus important réalisateur de ce pays, un homme en lutte contre le régime de l’époque, engagé dans un constant combat politique et, dans le cas présent, social. Ses films avaient été découverts dans les années 1970 par Pierre Rissient, homme au mille vies chacune tournée vers le cinéma et revenu le présenter hier. Les conditions d’enregistrement et de sauvegarde des copies ayant été compliquées, la restauration qu’on a pu voir, mise en œuvre par la Cineteca di Bologna/L’Immagine Ritrovata financée par le World Cinema Project de la Film Foundation de Martin Scorsese et le Film Development Council des Philippines, relève quasiment du miracle. La copie est magnifique, le son souffre à peine et les couleurs à la fois vives et sombres, lui redonne une seconde vie. On est subjugué par la façon de montrer la misère quotidienne dans un bidonville de Manille et les maisons autour d’Insiang, avec ses plaintes, ses gens mauvais ou bons, les difficultés insurmontables d’être une femme à la merci des hommes et des ragots. Les traditions sont encore plus pesantes ici car la pauvreté est plus grande encore. De plus, la réalisation est efficace et montre qu’on peut beaucoup même avec presque rien. Le film de Lino Brocka est d’une véritable modernité, notamment dans sa manière de couper la musique brutalement d’un plan à autre afin de mettre mal à l’aise le spectateur et dans sa représentation réaliste d’une la violence sourde depuis la première séquence dans des abattoirs de la ville qui fait penser à L’Année des treize lunes de Fassbinder revisité par Buñuel, jusqu’au dernier plan où toute rédemption est impossible.À côté de ces deux films là, Amy, le portrait d’Amy Winehouse réalisé par Asif Kapadia et présenté en séance de minuit, était… honnête mais faisait un peu pâle figure. Archange de l’autodestruction, morte à 27 ans, cette reine de la Soul n’avait pas grand chose à revendiquer sinon un certain esprit de liberté qui a fini par se résumer à un auto-enfermement jusqu’à la mort. On peut se demander si deux heures de mise bout à bout d’images d’archives étaient nécessaires pour aboutir à ce résultat. En fait non… Mieux vaut réécouter ses disques.

Après ces récits désespérés de femmes qui parviennent difficilement à se libérer du joug des hommes et d’une société bien trop patriarcale, on pensait se changer les idées avec La Forêt des songes (sortie en mai 2016 sous le titre Nos Souvenirs), le nouveau film de Gus van Sant. Un américain, dont la femme est décédée, se rend dans une forêt japonaise pour tenter de s’y suicider mais il finit par se perdre et vouloir revenir à la vie. Ici aussi Naomi Watts s’en prend plein la figure : devenue alcoolique à cause d’un mari volage qu’elle a des difficultés à supporter, elle se retrouve avec une tumeur au cerveau. Mais le film est Hollywoodien : la rédemption est possible voire nécessaire et moins elle est subtile, plus on peut y aller. Le protagoniste est un Matthew McConaughey en forme, qu’on prend plaisir à suivre dans une histoire au potentiel énorme mais décevante. Van Sant a toujours eu deux visages, l’un est plus grand public et consiste à prendre de jolis scénarios pour en faire des œuvres souvent limitées afin de gagner de l’argent (À la rencontre de Forrester, Will Hunting). Le second est bien plus expérimental comme le furent Gerry et Elephant, avec des histoires minimalistes mais des recherches formelles importantes et passionnantes. Avec La Forêt des songes, on a l’impression qu’il aurait voulu revenir à son tournant expérimental mais qu’il en a été empêché à cause de trop de règles à suivre. Les parties en flash-back sur sa vie et ce qui l’a amené au Japon sont inconsistantes et mièvres et seule la survie est réussie. Dommage qu’il n’ait pas pu se concentrer là dessus en épurant le récit au maximum comme il en a l’habitude car la forêt se prêtait merveilleusement aux expérimentations dont il raffole.
The Sea of Trees - Cannes 2015
Demain, le programme est chargé et entre ce qu’on veut voir et ce qu’on pourra voir les choix seront compliqués.  On tentera d’abord Carol, le nouveau film de Todd Haynes. Avec son prénom féminin en guise de titre, gageons qu’il aurait aisément pu figurer au sein de ce papier.  À suivre…

 

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