Cannes 2015, jour 11 : Palmarès et rattrapages

Le dernier jour du festival, pour les accrédités, c’est, d’une part, le moment des rattrapages et d’autre part celui du palmarès. En effet, le dimanche est utilisé pour rediffuser, dans les diverses salles du Palais, tous les films de la compétition officielle, ce qui est plutôt utile tant il est très compliqué de tout voir. On a pu ainsi voir Dheepan, Chronic et Sicario dont on reviendra en détail après le verdict tant attendu et redouté. Et comme d’habitude, on entendra hurler les mécontents du résultat final, pianoter sur facebook leur horreur, crier au scandale et maugréer dans leur coin. Puis quelques uns diront que ce n’est pas si mal après tout. Nous, on pense que ce genre de débat est totalement stérile et on vous laissera juge. Un palmarès ce n’est pas la victoire d’un ou plusieurs films mais plutôt celle d’un jury hétéroclite aux goûts divers et variés par rapport à une sélection qu’ils n’ont pas choisie. Et si on avait changé ne serait-ce que deux membres, on peut être sûr que tout aurait été complètement différent. Nous n’irons donc dire ni du mal ni du bien du résultat final. On vous l’offre, à vous d’en faire ce que bon vous semble.

Palme d’or : Dheepan, réalisé par Jacques Audiard

Grand Prix : Saul Fia (Le Fils de Saul) réalisé par László Nemes
Prix du Jury : The Lobster réalisé par Yorgos Lanthimos
Prix de la mise en scène : Hou Hsiao-Hsien pour Nie Yinniang (The Assassin)
Prix du scénario : Michel Franco pour Chronic
Prix d’interprétation féminine ex-aequo : Emmanuelle Bercot dans Mon Roi réalisé par Maïwenn & Rooney Mara dans Carol réalisé par Todd Haynes
Prix d’interprétation masculine : Vincent Lindon dans La Loi du Marché réalisé par Stéphane Brizé

Avec Jacques Audiard, on ne sait jamais trop à quoi s’attendre. Qu’on prenne De rouille et d’os, Un Prophète ou De battre mon cœur s’est arrêté, on est toujours dans des univers totalement opposés et a priori assez déconnectés et éloignés. Avec Dheepan c’est un peu la même chose, d’autant qu’on a l’impression d’assister à deux films en un. Ça commence comme un film social façon les Dardenne et cela embraye comme Rambo. En somme, Audiard s’amuse avec des registres complètement différents et ça lui réussit moyennement. Côté mise en scène, ça tient la route et on retrouve les plans angoissants, sombres et malsains des précédents films du cinéaste. De plus, le final étourdissant est plutôt bien amené par d’étranges effets aux allures fantastiques. En fait, c’est le récit qui dérange : on nage dans le cliché de la banlieue terrible asséné par toute une idéologie de droite, c’est à dire une zone de non droit où la guerre entre clans rivaux est déclarée et où ne règnent en maître que des dealers. Tous les autres leur doivent obéissance et respect avec en conclusion le passage au karcher ultra puissant de tout cette plaie ouverte. Au milieu de ce désastre humain et social, on a droit à une famille d’immigrés Sri-Lankais qui cherchent refuge en France mais qui peinent à s’intégrer entre leur désir de partir plus loin, leurs difficultés à apprendre la langue, et les mauvaises habitudes guerrières qui reprennent le dessus. De là à ce que Dheepan deviennent le nouveau film préféré des infos de TF1 et de Marine Le Pen, il n’y a qu’un pas.
Chronic de Michel Franco a été projeté pendant les derniers jours du festival et c’est assez dommage. Peut-être que les premiers jours on aurait tenu devant ce film à la mise en scène radicale mais également assommante. On suit pendant plus d’une heure et demi Tim Roth s’occuper de personnes malades, handicapées ou en fin de vie, les laver, leur donner à manger ou leur apporter quelques instants de plaisir. Puis il se fait renvoyer et il recommence. La seule chose qui gagne ici c’est la léthargie du spectateur qui peine à garder les yeux ouverts devant ces longs plans fixes et les répétitions des mêmes actions quotidiennes et porteuses d’ennui, surtout après 10 jours intenses où les nuits ne durent guère plus de 5 heures. Certes, Chantal Akerman, voilà quarante ans dans Jeanne Dielman, proposait un dispositif peut-être encore plus tranchant et sur trois heures de film, mais elle tenait un véritable discours féministe derrière son oeuvre et elle adaptait brillamment la forme au fond. Ici, on ne sait pas vraiment où le cinéaste veut en venir : militantisme pour le droit à l’euthanasie ? Vacuité de l’existence des gens malades, âgés et condamnés ? Paresse dans la réalisation avec l’espoir que quelque chose surgisse d’un récit proche du néant ? Nous n’avons pas la réponse. Cela pourra fonctionner pour certains qui cherchent à se mettre quelque film semi-expérimentaux sous la dent, mais sur nous, l’effet est nul : entre le trop faible et le pas assez fort.
Sicario - Affiche Cannes
Sicario est par contre une jolie réussite dans son genre avec une réalisation soignée, une histoire tortueuse mais jamais absconse et des acteurs excellents, que ce soit Emily Blunt, Benicio del Toro ou Josh Brolin. Les habitués et amateurs de Denis Villeneuve retrouveront le style âpre et épuré qu’il imposait dans ses deux dernières réalisations et sa manière de tourner autour d’un objet qui peine à émerger en faisant naviguer ses personnages dans un récit complexe, lent mais toujours prenant. Avec Sicario, on circule dans les artères bouchées d’une Amérique pourrie et qui n’arrive pas à assumer ses problèmes et encore moins à les éradiquer quand il s’agit de drogue et des relations toujours plus cruelles qu’elle entretient avec le Mexique. Ces problèmes sont autant individuels que liés à la société dans son ensemble et c’est là que ça coince puisque l’individu et la masse ne sont jamais apte à coopérer. On est donc pris dans des histoires de droiture et de morale vacillante, de lois à respecter et à contourner mais jusqu’à quel point et, au final, pourquoi réellement ? Villeneuve sait également s’entourer d’une équipe technique remarquable, Roger Deakins à la lumière en tête. Peut-être que c’est cette proximité avec Les Coen, Gyllenhal et Dolan qui a fait que ce film n’a rien obtenu. On ne le saura jamais. En tout cas, même non récompensé, il mérite d’être vu.
Et si Cannes 2015 se termine, il est encore loin d’être fini. Le nombre de films ratés nous donne envie d’aller aux rattrapages au Forum des Images (La quinzaine des réalisateurs), au Reflet Médicis (Un certain regard) ou à la Cinémathèque française (La Semaine de la critique). Et puis le reste sortira dans les prochains mois et on ne manquera pas de revenir ici en parler. En attendant, bon visionnage !

 

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