Alex et David Pastor - Image une interview

Entretien avec Alex et David Pastor pour Les Derniers jours

Si vous n’avez jamais entendu parler de Alex et David Pastor, ce n’est pas grave, cela va venir. Par contre ce qui est plus certain c’est que vous avez certainement remarqué Infectés. Ne serait-ce que pour sa très belle affiche reprise pour la sortie vidéo. On y voit une enfant un peu paniquée portant un masque taché de sang le tout dans une ambiance / photo ocre / sable du désert. En tout cas si ce n’est pas le cas rattrapez-le vite car sort en salles cette semaine leur deuxième long intitulé Les Derniers jours. Espagnols d’origine, les deux frères ont déjà bien roulé leur bosse entre les États-Unis et l’Espagne et semblent peu à peu devenir les fers de lance d’une nouvelle génération de cinéastes sans frontières prêts à tout pour faire leurs films, y arrivant et de surcroît avec la manière. Pour l’instant « cantonné » dans le cinéma de genre gageons que leur registre va s’étoffer très rapidement tant leur talent est indéniable et propre à relever bien d’autres défis. L’interview qu’ils nous ont accordée fait montre d’une lucidité étonnante quant à leur métier (pour des p’tits djeunes) qui fait plaisir à entendre. Leur disponibilité, leur gentillesse et leur prise de position finissent de convaincre (s’il en était encore besoin) que ces deux là iront très loin. Et en plus ils sont d’accord pour dire que le PSG aurait dû gagner contre le Barça (époque avant « remontada » / Edit : fin d’année 2017)…

Infectés (2009) - Affiche

Comment deux espagnols venus de nulle part ont pu atterrir aux États-Unis pour réaliser Infectés ? Est-ce que le prix obtenu à Sundance pour votre court-métrage The Natural Route y est pour quelque chose ?

Bien entendu. Cela nous a permis d’être tout de suite crédibles en tant que réalisateur auprès d’un Studio comme Paramount. Ce qui nous a aussi aidé c’est d’avoir avec nous le script déjà prêt d’Infectés. Nous avons d’ailleurs depuis pour habitude de recommander aux cinéastes en herbe de toujours avoir un scénar de prêt quand ils ont terminé leur court-métrage. Car c’est à ce moment précis que peut se faire la transition vers le long. En effet si vous n’avez rien à montrer, les producteurs ne vont pas vous attendre car entre-temps un autre court-métrage fera le buzz et vous ne serez plus alors que de l’histoire ancienne.

 Pourquoi être retournés en Espagne après Infectés ?

Après Infectés nous avons développé quelques projets, quelques-uns aux États-Unis, d’autres en Espagne. Comme bien souvent la plupart d’entre-eux ne voient pas le jour. C’est d’ailleurs ainsi que l’industrie du cinéma fonctionne pour 99% des cinéastes : Vous travaillez sur 10 projets et un seul se concrétise. Il s’est avéré que celui qui a vu le jour pour nous se trouvait parmi les projets espagnols.

Les films post-apo semblent devenir votre domaine de prédilection. Coïncidence ou suite logique ?

Là aussi, mêmes raisons. Nous travaillions sur différents scripts dans des genres très différents, mais il s’est avéré que nos premiers films ont été des films post-apocalyptique. Bien entendu cela veut aussi dire que nous sommes attachés au genre car il nous permet de parler de notre monde d’une manière sous-jacente. Mais nous voulons aussi travailler sur d’autres genres. C’est peut-être une coïncidence ou c’est le type de films que réclame le marché aujourd’hui. C’est dans l’air du temps : le climat économique actuel, l’inquiétude à propos du réchauffement de la planète et la pérennité qui en découle quant à notre mode de vie actuel. Ce sentiment d’incertitude et d’insécurité quant à notre future est partout et trouve un moyen d’expression dans ce genre de films.

Les Derniers jours (2013) - Affiche

Quelles ont été vos références pendant l’écriture et la réalisation des Derniers jours ?

Nous aimons il va sans dire les récits post-apocalyptiques que cela soit en bouquin ou au cinéma, que cela soit des blockbusters ou des films indépendants. L’ampleur visuel des Fils de l’homme ou le minimalisme immédiat du Temps du loup de Michael Haneke… Cela nous influence sans conteste, même inconsciemment. Ceci dit nous ne nous assoyons pas pour parler de nos références. C’est juste dans l’air. Après il y aussi beaucoup de films que nous aimons et qui n’ont rien à voir avec la fin du monde. Au hasard dans le genre aventure survival : Le Salaire de la peur de Clouzot ou À couteaux tirés de Lee Tamahori.

Est-ce que Les Derniers jours peut-être considéré comme une réponse européenne à un genre plutôt assimilé à l’ADN du cinéma U.S. ?

Oui tout à fait. Certaines personnes disent que notre film est très américain mais nous avons aussi le sentiment qu’il y a quelque chose d’européen en lui également. Dans notre film il n’y a pas de méchants clairement identifiés, il n’y a pas d’explications définitives quant aux causes de cette agoraphobie soudaine… Ce sont des angles qui ne seraient jamais passés au sein du système des Studios U.S. Nous avons travaillé avec eux et nous savons très bien ce qu’ils veulent et ne veulent pas. Il y a dans ce film beaucoup de choses qu’ils nous auraient forcés à modifier.

Peut-on affirmer que Les Derniers jours est un film optimiste ? Quand Infectés était plus pessimiste sur le genre humain…

Tout à fait. Les deux films sont comme les deux faces d’une même pièce de monnaie. Infectés décrivait des personnes perdant leur humanité pendant que le monde périclitait alors que Les Derniers jours raconte le processus inverse. C’est l’histoire d’hommes modernes dans ce qu’ils ont de plus aboutis qui profitent et souffrent des pièges et névroses de notre monde moderne et qui s’en libèrent avec l’arrivée de l’apocalypse en adoptant un style de vie plus simple, plus naturel. De régresser au point de devenir des chasseurs-cueilleurs, d’utiliser leurs corps comme originellement prévu (pour trouver de la nourriture et un abri, pas pour s’assoir 8 heures d’affilées derrière un ordinateur). Le monde que présente le film est sombre et dangereux mais il est aussi étrangement libérateur. C’est ce que nous disons sans arrêt à nos collaborateurs (directeur de la photo, directeur artistique…) : ce que nous devenons / faisons n’est pas la route à suivre. C’est le contraire.

Avec le recul, avez-vous préféré travailler aux États-Unis ou en Espagne ? On présume que les deux systèmes ont leurs avantages et leurs inconvénients. Pouvez-vous nous les décrire ?

Nous avons eu une très belle expérience de travail en Espagne. Bien mieux que prévue. En même temps nous sortions de plusieurs mois de travail au sein d’un Studio américain. Ils mettent l’intégralité du budget donc ils possèdent à la fois le film et d’une certaine manière notre âme. Quand les choses se passent bien, c’est top. Mais quand il y a des désaccords, on comprend très rapidement et très clairement qui est le patron. En Espagne, les relations entre financiers et producteurs sont moins tranchées. C’est plus une collaboration. Vous avez plus de libertés. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas impliqués. Ils le sont croyez-moi. Mais c’est une relation plus civilisée où votre opinion est respectée.

Les Derniers jours (2013)

Infiltrés a couté plus de 9 millions de dollars alors qu’avec Les Derniers jours on est en dessous de 5 millions (est-ce bien exact ?)… Mais à l’écran les effets-spéciaux sont plus présents (d’une très belle manière au demeurant) sur votre deuxième film. Est-ce à dire qu’une production américaine coûtera quoi qu’il en soit plus cher ?

C’est exact. Les Derniers jours a un plus petit budget qu’Infiltrés mais on dirait en effet qu’il a coûté cinq fois plus. En fait si vous vouliez faire Les Derniers jours aux États-Unis, il aurait coûté au moins 40 millions de dollars.

Il y a plusieurs raisons à cela. La première c’est que faire un film en Espagne coûte tout simplement moins cher. Pour le meilleur ou le pire, les gens gagnent moins d’argent. Du réalisateur au chauffeur, les salaires sont moins élevés que sur une production américaine.

La deuxième raison est qu’il n’y a pas de gâchis. Le directeur de production s’assure que tout le budget est bien destiné au film, que cela se voit à l’écran : plateaux, effets-spéciaux, machineries, figurants, renforts… C’est là que l’argent va. Aux États-Unis c’est différent. Parfois l’argent est dépensé pour des choses qui n’ont rien à voir avec le film comme des billets d’avion en première classe. Sur Infiltrés nous avions un assistant qui nous suivait partout pour nous demander si l’on ne voulait pas du café. Nous avions une caravane que nous n’avons jamais utilisée. En Espagne, il n’y a rien de tout cela. Et on préfère ainsi. Et paradoxalement, quand nous tournions Les Derniers jours, nous avions l’impression d’être sur une plus grosse production : plus de jours de tournage, plus de figurants, plus de décors…

Et enfin la troisième raison (last but not least), je pense que Les Derniers jours est plus ambitieux qu’il ne l’est vraiment à cause du talent, de l’ingéniosité et l’extraordinaire labeur de notre équipe. Tout le monde a travaillé ardemment pour pressuriser de chaque euro des solutions créatives et pour faire un film spectaculaire. Il s’agissait pour nous d’un bain de jouvence et de créativité.

Aux États-Unis beaucoup de choses sont résolues en construisant des décors et en usant d’effets numériques. Nous avons utilisé des décors naturels comme le tunnel du métro qui était en fait en travaux et que nous n’avions que pour nous. La construction de cette ligne de métro coute 500 millions d’euros. Donc, dans un sens, nous avions le décor le plus coûteux de l’histoire du ciné, à part qu’il était réel.

Que pensez-vous des succès au box office U.S. de films à petits budgets comme American Nightmare ou Conjuring au regard des blockbusters estivaux qui se sont à peu près tous plantés. Cela vous donne-t-il des idées ?

Nous pensons que cela doit être énormément lié à une sorte de lassitude de ces produits. Dès le milieu de l’été, le public américain est fatigué d’être continuellement bombardé de grosses machines testostéronnées aux effets-spéciaux numériques. Exemple contraire : Pacific Rim est un bon film qui a pâti d’une date de sortie engluée dans un agenda estival bondé. Nous ne sommes pas certains que cela va influencer notre manière d’écrire. Si nous nous assoyons pour essayer d’écrire quelque chose de foncièrement commercial, le résultat est bien souvent atroce. Cela peut marcher chez d’autres mais pas pour nous. Nous pensons qu’il vaut mieux décrire ce qui nous passionne. Quand vous écrivez le film que vous voulez voir, le résultat donne souvent un bien meilleur script.

Renaissances (2015) - Affiche

Pouvez-vous nous parler de Out of the Dark et Selfless ? Quel est votre prochain projet ? Strange but True ? Quelle en est l’histoire ? Quand le tournage est-il prévu ? Sur IMDB vous n’apparaissez que comme réalisateurs. Ce serait la première fois que vous réaliseriez un film dont vous n’êtes pas les auteurs ?

Out of the Dark et Renaissances (Selfless) sont deux scripts que nous avons écrits pour que d’autres les réalisent. Out of the Dark est réalisé par Lluis Quilez. Ils ont tourné en Colombie au printemps dernier et le film est en ce moment au stade du montage. Renaissances sera réalisé par Tarsem et le film est en pré-production. Ils vont tourner cet automne. C’est intéressant car c’est la première fois que nous écrivons pour d’autres cinéastes et forcément on doit s’adapter. C’est un processus différent. C’est une collaboration où l’on doit aider le réalisateur à concrétiser sa vision. Nous sommes assez impatients de voir ce que ces films vont donner. Nous le ferons comme un spectateur lambda d’ailleurs. Cela va nous changer car c’est plus compliqué de le faire sur ses propres films.

Strange but true est un thriller dramatique qui raconte l’histoire d’une famille qui perd leur adolescent de fils dans un accident. Cinq ans plus tard la petite amie de l’ado annonce qu’elle est enceinte. Seulement elle n’a couché avec personne depuis la nuit de l’accident. De fait le fils défunt ne peut-être que le père d’une manière ou d’une autre. Ce mystère s’accompagne de personnages richement développés qui explorent en quelque sorte la façon dont les gens font leur deuil d’un être cher.

Eric Garcia a adapté un roman de John Searles. Le producteur, Fred Berger, nous avait envoyé le script pour lequel nous sommes tout de suite tombés amoureux. Nous savions que nous devions le réaliser. Nous ne l’avons pas écrit mais aurions vraiment aimé l’avoir fait. Ce sera en effet la première fois que nous réaliserons le script qui n’est pas le nôtre mais cela ne nous dérange absolument pas. Nous savons qu’il y a des gens qui écrivent de toute façon bien mieux que nous et nous voulons leurs scripts ! Et pourquoi pas ? Quelques uns de nos réalisateurs fétiches (Hitchcock, Scorsese, Spielberg…) ont bien réalisé des histoires qui n’étaient pas les leurs. Edit 2017 : Depuis, le film a été réalisé par un certain Rowan Athale.

Malveillance (2011) - Affiche

Quel est votre regard sur le cinéma de genre en Espagne ? En Europe  (Royaume-Uni, France…) ? Avez-vous vu The End, le film de Jorge Torregrossa ?

L’Espagne et l’Europe en général produisent tous les ans bon nombre de très bons films de genre. De petits budgets mais des tonnes d’imagination et de créativité. C’est très varié comme Kill list ou Malveillance, mais ils ont en commun le fait qu’ils injectent une sensibilité beaucoup plus européenne (noirceur accentuée, plus tordue) que sur la majorité des productions U.S. du même acabit. Nous pensons que ces films sont des ballons d’oxygène en comparaison de ce qui se fait aux États-Unis. Mais comprenez-nous bien, il y a de supers films de genre outre-Atlantique comme Cabin in the woods par exemple, mais il semble aussi qu’il y ait une volonté à tout prix de faire des remakes, found footage, home invasion… qui finissent par décrédibiliser l’ensemble.

Nous n’avons pas vu The End. Le film est sorti quand nous étions en pré-production et nous l’avions sciemment zappé afin d’éviter toute influence sur notre travail.

Quel est votre sentiment / regard sur la crise du cinéma en Espagne (Alta Film / l’augmentation de la TVA sur les billets / le désengagement financier des pouvoirs publics, des télévisons…) ?

C’est une tragédie. Comme nous le disions, il y a énormément de personnes talentueuses qui travaillent actuellement au sein de l’industrie cinématographique espagnole. Des personnes aussi bonnes voire meilleures que les équipes avec qui nous avons travaillées aux États-Unis. Et c’est une honte que ces grands professionnels ne puissent exercer leur talent du fait de la situation actuelle. Nous, nous pouvons toujours trouver du boulot aux États-Unis. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

Il semblerait que pour sortir de cette impasse on se dirige vers des films espagnols tournés en langue anglaise. Ce qui permet de compenser les fonds en berne en provenance d’Espagne par ceux d’autres pays ou encore par les ventes internationales. Cela semble être la seule voie possible pour faire des films commercialement rentables. De notre côté, nous sommes OK puisque nous travaillons aussi en anglais. D’ailleurs nous développons actuellement un nouveau projet en langue anglaise avec les producteurs des Derniers jours. Mais cela nous attriste tout de même car cette seule voie qui reste va appauvrir le cinéma espagnol : on ne trouvera plus que des films en langue anglaise qui ne reflèteront pas l’Espagne d’aujourd’hui. Les genres d’histoires que vous allez pouvoir raconter vont drastiquement perdre de leur spécificité. Nous avons des idées pour tourner en Espagne sur des petits budgets avec des histoires locales mais actuellement c’est tout simplement impossible.

Merci encore aux frères Pastor pour leur générosité et leur affabilité.
Merci à Sophie Bataille qui a rendu cette interview possible.
Merci à Didier Verdurand pour sa relecture et ses corrections.

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