Ghost in the Shell de Masamune Shirow - Perfect Edition (Tome 1)

Ghost in the Shell : Aux origines du manga de Masamune Shirow

À DigitalCiné, on aime faire les choses pas comme tout le monde. En l’occurrence, dans le cas présent, à l’envers. Après vous avoir parlé fin mars de l’adaptation buggée avec Scarlett Johansson puis du joyau signé Mamoru Oshii quelques jours plus tard, l’heure est désormais venue de nous pencher sur l’œuvre à l’origine de tout : le manga Ghost in the Shell signé Masamune Shirow que l’éditeur Glénat a eu le bon goût de ressortir dans une collection revue et améliorée.

De Masamune Shirow à Mamoru Oshii (sans passer par Hollywood)

Nous nous garderons bien ici de dresser une liste exhaustive des similitudes entre la version d’Oshii et les différentes planches du manga tant celles-ci sont nombreuses. Ainsi retrouve-t-on l’attaque du camion des éboueurs, celle du tank, le barrage routier ou encore la fabrication d’un cyborg. Mais contrairement au film de 2017 qui se contente de photocopier son prédécesseur de 1995 en le dépouillant au passage de toute sa substance, ce dernier a su magistralement se réapproprier chacune de ces séquences papiers marquantes, tant par leur style graphique (fouillé et parfois saignant) que par leur portée thématique, avec juste ce qu’il faut d’ajouts et de réagencements pour en proposer un tout d’une rare cohérence condensée dans 85 minutes de pur joyau de la japanime. Les quelques pages de conception d’un cyborg avec moult explications techniques donneront ainsi naissance à l’un des génériques d’ouverture tout en musique les plus mythiques de l’histoire, l’attaque du camion-poubelle sera prolongée par un combat sur un plan d’eau entre le Major et l’un des pantins du super hacker introduisant cette notion « d’esprit (factice) dans la machine » (le fameux Ghost in the Shell du titre) tandis que l’affrontement final contre le tank accompagné de quelques inserts sur cet arbre de l’évolution humaine prend désormais une toute autre aura, bien aidée là-encore par l’apport des partitions signées Kenji Kawai.

Ces remaniements mis à part, l’univers décrit et avec lui les thèmes abordés demeurent globalement inchangés. Ainsi, l’action débute-t-elle en 2029, dans une société mondialisée où les frontières diplomatiques à l’ère de l’instantanéité de l’information deviennent aussi ténues que celles entre l’homme et la machine. Le manga de Masamune Shirow publié de 1989 à 1991 dans la revue Young Magazine suit les enquêtes menées par la Section 9 dont un seul membre, Togusa, est encore humain à part entière. Un personnage organique appelé à servir de contrepoint aux autres éléments cybernétiques du groupe. Un enjeu là-encore parfaitement assimilé par Oshii (cf. la discussion entre Togusa et le Major à bord du camion blindé de la brigade) là où le film de Rupert Sanders délaissera totalement le personnage, relégué à deux ou trois scènes et autant de répliques sans intérêt. Les investigations de cette section d’élite anti-terroriste l’amèneront rapidement à croiser la route du « marionnettiste » (Puppet Master en VO), cybercriminel présumé qui se révèlera être en réalité une IA née « spontanément » de ce gigantesque flot d’informations numériques suite à un mystérieux Projet 2501 fomenté par le Ministère des Affaires Étrangères. À l’heure des véhicules autonomes entièrement pilotés par ordinateur et autre DeepMind du géant Google, relire aujourd’hui, près de 40 ans après, le manga de Masamune Shirow, équivaut non plus à faire face à une œuvre d’anticipation mais appelle désormais bel et bien à une réflexion sur ce qu’est devenue notre société 2.0 en ce début de 21ème siècle.

Anodines en apparence, les quelques planches du prologue et de l’épilogue ouvrent et referment ainsi avec brio une œuvre somme qui amèneront tout du long le lecteur à s’interroger aussi bien sur des notions diplomatiques (« l’asile politique » mentionnée en ouverture) que technologiques (« le vaste réseau » mentionné par le Major en clôture de ce premier tome). Une entrée en matière et une conclusion par ailleurs reprises à l’identique dans l’animé de 1995, à une exception près : l’absence d’humour lors du final où Batou découvre la nature véritable du nouveau corps cybernétique de Kusanagi (nous n’en dirons pas davantage afin de ne point déflorer ladite séquence pour ceux n’ayant pas encore lu le manga). C’est là l’une des deux composantes majeures qui différencient le manga de Masamune Shirow et l’adaptation de Mamoru Oshii (parvenu à ce stade, nous laisserons désormais de côté la version hollywoodienne, ni faite ni à faire). Ainsi, les différentes postures outrées, yeux écarquillés, bouches striées et autres moues boudeuses comme autant de petits détails graphiques venant injecter une touche humoristique sur le papier ont-ils cédé la place à des personnages et des attitudes dépourvues de toute émotion dans l’adaptation d’Oshii comme le soulignait fort à propos un récent article du Hollywood Reporter concernant l’animation des yeux et l’absence d’émotions dans les dialogues. Une approche qui sied à merveille à cet exposé d’un univers dépourvu de la moindre prise de position (pour ou contre l’incursion des technologies dans notre vie quotidienne), offrant ainsi un autre niveau de lecture à l’œuvre de Shirow.

La seconde distinction majeure entre les deux œuvres concerne ce que l’on pourrait qualifier de « sexualisation » du manga. Dans ce dernier, on y croise en effet des créatures particulièrement pulpeuses jusque dans la représentation du Major, beaucoup plus « féminine » que dans la version d’Oshii (coiffure soignée, rouge à lèvre, etc.) et qui entretiendra même une relation sentimentale le temps d’une enquête (08 – Dumb Barter). Une approche qui, tout comme le pendant humoristique évoqué ci-dessus, n’a rien de très surprenant au regard des productions nippones mais n’aura nullement sa place au sein de l’adaptation de 1995. Pour le reste, les thématiques du manga sont demeurées intactes à l’écran et prennent désormais d’autant plus de sens à l’aune de la réédition dans l’Hexagone de l’œuvre de Masamune Shirow.

Ghost in the Shell : Perfect Edition

Histoire de coïncider avec la sortie en Blu-ray du film d’Oshii chez All The Anime et celle du film avec Scarlett Johansson au cinéma, Glénat a en effet décidé de proposer une Perfect Edition de Ghost in the Shell. Soit une édition revue et améliorée avec au programme le sens de lecture japonais respecté (de droite à gauche) et les onomatopées sous-titrées, le tout accompagné des différentes annotations de Shirow. Sur le premier rabat de la jaquette (traduit en derrière page) nouvellement présent au sein de cette réédition, ce dernier recommande toutefois de prendre connaissance de ces addendum par la suite sous peine « d’interrompre le cours de l’intrigue ». Un conseil que nous ne saurions que trop vous recommander de suivre tant lesdites annotations sont légions, précisant çà et là tel ou tel détail graphique mais plus généralement apportant de nouveaux éclairages sur des thématiques aussi foisonnantes que la politique, l’économie, la religion, l’informatique, les armes à feu, etc. Une lecture complémentaire passionnante (quoique parfois un peu ardue pour quiconque ne dispose pas d’un doctorat en physique / informatique) et désormais accessible à tous les francophones amateurs de mangas auxquels s’ajoutent les nombreuses notes du traducteur qui se révèleront les bienvenues pour qui n’est pas familier avec la culture et la géographie nippone.

Suite à la parution de cette Perfect Edition de Ghost in the Shell, certains ont pointé du doigt l’absence de deux feuillets (à caractère sexuel). Renseignements pris auprès de Glénat, voici la réponse qui nous a été apportée à ce sujet : « La nouvelle édition comporte effectivement deux pages en moins par rapport à la version originale. Il s’agit d’une demande très spécifique de l’auteur que les ayant-droits et les éditeurs ont respecté ». Dont acte !

Ghost in the Shell Perfect Edition – Tome 1 de Masamune Shirow (Édition Glénat) – Disponible depuis le 15 mars 2017 au tarif de 14,95€.

Les tomes 2 et 3 sont respectivement prévus pour le 7 juin et le 20 septembre 2017.

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