Outside, quand la photographie s’empare du cinéma

Depuis maintenant un peu plus d’un an, Carlotta a beaucoup développé sa ligne éditoriale. Après avoir commencé à s’étendre à l’international avec une branche américaine et sorti quelques films contemporains, notamment Alléluia de Fabrice du Welz, voilà que l’éditeur se lance dans le marché du livre. On avait déjà parlé (ici) de leur premier opus, une très élégante traduction d’Hamlet et d’Othello de Shakespeare, voilà leur second livre, encore plus passionnant que le premier : Outside de Morris Engel et Ruth Orkin disponible depuis le 20 novembre.

Outside

Outside est une avancée mais aussi un peu un retour aux sources puisque Carlotta avait ressorti en salles et en DVD Le Petit fugitif d’Engel et Orkin (associés à Ray Ashley) en 2009. Et alors qu’on découvrait ce premier long-métrage adulé par André Bazin dans les années 50, que Truffaut considérait un peu comme une matrice de ses 400 coups et quasiment retombé dans l’oubli par la suite, on apprenait que les réalisateurs étaient également photographes. Et vu le New-York qu’ils montraient à mille lieues de ce que les studios nous offraient, les plans époustouflants de l’enfance dans la rue, les gens dans leur quotidien comme on ne les voyait pas, la vie qui grouillait et que les images formatées d’Hollywood chassaient des regards ; vu ce qu’ensemble ils ont produit avec trois fois rien, en dehors de l’utilisation classique des moyens cinématographiques, on ne pouvait que vouloir de découvrir leur travail photographique.

À peu près à la même époque on a pu commencer à le faire grâce aux deux sites officiels d’Orkin et d’Engel mis en ligne vers 2010. Toutefois, malgré leur qualité, ceux-ci possédaient l’inconvénient dû à leur nature : ils sont numériques et les photos digitalisées. Rien de tel que le papier pour découvrir un travail depuis longtemps difficile d’accès en dehors des archives personnelles de la famille. Et c’est là qu’on appréciera grandement le travail de l’éditeur. Avec Outside, il nous invite à voir les superbes clichés d’un couple de photographes de rue et de cinéastes trop longtemps mis de côté, à la fois loin et proche du néoréalisme et des nouvelles vagues à venir.

american girl in italyPremier point positif, Carlotta n’a pas cherché à proposer Outside  comme si c’était une création réfléchie du couple mais bel et bien comme un exercice de découverte d’une œuvre dispersée en de multiples endroits. L’éditeur inclut un texte important en français et en anglais signé Stefan Cornic et un chapitrage chronologique des plus intéressants. On a certes souvent l’impression que l’analyse est centrée autour du Petit fugitif réalisé par Engel, monté par Orkin et perçue comme le point culminant de leur carrière, mais l’ensemble est cohérent et bien amené. Les deux premiers chapitres d’Outside offrent des repères biographiques puis une mise en contexte de leur travail, insistant sur la manière dont ils construisent une narration à l’intérieur même de leurs clichés. À chaque fois la dizaine de pages de textes, toujours illustrés, est suivie de trente à quarante de pages de photographies légendées, offrant de nouvelles perspectives car ce qu’on voit parcourt un demi siècle de photos de rue des années 30 aux années 80. Outside porte ainsi bien son nom car seuls les extérieurs semblent compter, la vie capturée, la foule individualisée dans un contexte social et politique. Un seul regret : ne pas voir suffisamment de photos prises par Engel au cours de la guerre.

New York City - OutsideLes trois parties suivantes d’Outside entrent plus directement au cœur du cinéma, dévoilant d’abord le dispositif, la manière de filmer, d’appréhender les sujets en mouvement. On découvre de nombreuses photos de plage, prémisses à la fuite vers Coney Island qui sera le pivot du Petit fugitif. Puis, après un texte rapide sur le tournage et la réception critique, les amateurs du film seront ravis de découvrir son album composé par Ruth Orkin, un scrapbook avant l’heure certainement destiné au montage. Enfin le dernier chapitre porte sur leurs films suivants, Lovers and lollipops et Weddings and babies, moins célèbres mais qui ont eux aussi été consacrés et auront influencé un pan entier du cinéma indépendant US à la recherche d’un vent de liberté.

lovers_lollipopsOn appréciera aussi les trois avant-propos d’Outside signés Alain Bergala, Mary Engel et Anne Mora, qui dévoilent à chaque fois des éléments méconnus sur la redécouverte du film ou la connaissance du travail d’Engels et d’Orkin par les galeries d’art. De même, la bibliographie complète offre une matière conséquente pour poursuivre à l’envie la lecture de ce livre. À une époque où la photographie à le vent en poupe, où l’argentique semble loin d’être mort et où les redécouvertes sont nombreuses et passionnantes (voir le joli succès d’À la recherche de Vivian Maier), Outside est une jolie pièce de collection pour tous les amateurs de Street photography.

morris engel et ruth orkinMorris Engel et Ruth Orkin, Outside : quand la photographie s’empare du cinéma, Paris, Carlotta, 2014. Edition Bilingue français et anglais. 40 euros.

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