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Truffaut à la Cinémathèque : dommage pour l’hommage…

Truffaut arrive ! Après une ouverture en fanfare avec la venue de John McTiernan et une rétrospective de l’œuvre de Sergio Leone, le mois d’octobre s’annonçait important pour La Cinémathèque Française avec un gros morceau sur et autour du réalisateur des 400 coups. Au menu : la première des deux expositions qui parcourent chaque saison, une rétrospective intégrale de son œuvre, un programme autour des films qui l’ont marqué et des réalisateurs qu’il a pu influencer et un catalogue d’exposition. Pour les trente ans de sa mort, l’ensemble est grand et s’ouvrait d’ailleurs sur Le Dernier métro tout juste restauré par MK2 et la Cinémathèque.

Exposition François TruffautEt dans l’ensemble, on ressort de tout ça un peu mitigé. L’exposition n’est rien moins qu’un morceau d’emmental : c’est très bon mais il y a beaucoup trop de trous. Alors oui, la reconstitution du bureau où travaillait le réalisateur aux Films du carrosse est très joli mais quand on voit le réduit triangulaire de 2m² consacré à « L’Enfance filmée » où seuls quelques essais sont montrés alors que c’est l’un des éléments les plus importants du cinéma de Truffaut, on peut être déçu. Idem pour la musique avec ses deux ou trois partitions, sa lettre à Souchon et ses quelques pochettes de disque. On a l’impression qu’elle n’était peut-être pas si importante. Et ce n’est pas non plus rendre justice au magnifique travail de Stéphane Lerouge qui, à cette occasion, édite chez Universal Music un coffret 6 CD avec BO, discours, textes, etc. Heureusement, d’autres pièces rattrapent tout et permettent de découvrir des morceaux de la correspondance de Truffaut, quelques petites choses sur la genèse de certains films et donnent envie de se plonger dans les archives Truffaut en possession de la Cinémathèque. Mais d’autres points négatifs surgissent. Un film soi-disant inspiré par Truffaut a été commandé par l’institution à Axelle Ropert, cinéaste et critique, et il est projeté vers la fin du parcours. Qu’on l’aime ou pas n’est pas la question mais les acteurs parlent doucement et le bruit occasionné naturellement par les visiteurs et les vidéos projetées dans les autres salles vient cacher les voix et gâcher l’ensemble. Preuve qu’en terme de scénographie comme au cinéma, le son est important et mériterait d’être davantage étudié.

Le Monde musical de François TruffautEnfin les derniers manques sont plus thématiques, et sont un peu la preuve d’une exposition hagiographique, lisse et jamais vraiment critique. Nulle part n’est évoquée l’étonnante amitié entre François Truffaut et Lucien Rebatet dans les années 50 ou sur sa fréquentation de cercles extrémistes, ni le putsch avec Rivette pour chercher à évincer Rohmer de la direction des Cahiers du cinéma dans les années 1960. Enfin, un autre manque signifiant est celui de Norman McLaren. Le cinéaste d’animation canadien le plus influent du siècle dernier fête cette année le centenaire de sa naissance et le monde entier le célèbre, même la cinémathèque Slovène diffusera ses films dans des copies pellicules. Et c’est aussi l’un des réalisateurs préférés de Truffaut qui y a consacré plusieurs textes dans sa période critique. Et ni dans l’exposition, ni dans le catalogue ni même dans la programmation qui verra quelques séances de courts-métrages, on ne retrouve le moindre de ses films alors que cela aurait été une occasion parfaite. On savait déjà tout le mépris affiché par la Cinémathèque pour le cinéma d’animation (à peine bon pour les enfants…) et on en a là une nouvelle preuve indéniable.

Catalogue de l'exposition François Truffaut

Si la programmation souffre de moins de manques, on regrettera quand même deux choses. La Cinémathèque diffuse de moins en moins de films en 35mm. Si Serge Toubiana, le directeur, a rappelé l’importance du format pour la Cinémathèque, seule une partie des films seront proposés ainsi. Dès qu’une restauration numérique a eu lieu et est prête, le film sera diffusé en DCP, ce qui est assez aberrant. Même Tarantino dans son cinéma défend davantage le respect du format d’origine pour les films de patrimoine… Ensuite, alors qu’on allait voir Le Dernier métro pour constater le rendu de la restauration, correcte mais un peu lisse et sans le grain chaud et organique de la pellicule, on a eu droit à un étrange témoignage de celui qui s’est occupé du nouvel étalonnage, Guillaume Schiffman, directeur de la photographie et fils de la plus proche collaboratrice de Truffaut, Suzanne Schiffman. Celui-ci s’est dit il mis à la place de Nestor Almendros et a modifié de petites choses ça et là que le chef opérateur de Malick et Rohmer, qui s’est occupé du métrage de Truffaut, n’aurait pas laissé passé s’il avait fait le film aujourd’hui. Mais d’une part, il ne l’a pas justement fait aujourd’hui, et d’autre part, il est mort et jamais les vivants ne sauront mieux que les morts ce qu’ils pourraient désirer. Dans un film où un metteur en scène supposément disparu dit, après avoir entendu une répétition d’une pièce qu’il devait monter, que même dans ses notes de travail il pouvait se tromper, l’irrespect fondé sur des interviews et notes manifesté par Schiffman pour le travail d’Almendros est plus que regrettable. Pour la restauration il a, selon ses propres termes, « tricher sans trahir ». Il faudra lui dire que tricher c’est trahir et que ce qu’il a fait, à moins de se prendre pour le Viollet-le-Duc de la restauration, c’est donner à voir aux générations futures un film qui n’est plus vraiment celui de Truffaut. C’est un dommage plutôt qu’un hommage…

Reste un catalogue agréable à lire, un excellent coffret 6 CD et quelques films en 35mm dont La Mariée était en noir qu’on ira revoir !

Le Dernier métro

2 réflexions sur « Truffaut à la Cinémathèque : dommage pour l’hommage… »

  1. Oui alors effectivement, une retro Truffaut qui zappe toute la partie Truffaut / Rohmer aux Cahiers, c’est assez surprenant.

    Quant au DP qui se croit plus royaliste que le roi, c’est bien la preuve qu’en 2014, on en est encore à jouer aux apprentis sorciers de la restauration.

    Heureusement, il reste toujours Criterion…

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