Suicide Squad

Suicide Squad : Why so serious ?

En mars dernier, Warner sortait Batman v Superman : L’Aube de la Justice (BvS). Le film se faisait plier en deux par les critiques mais cartonnait au box-office ($330M de recettes US et $872M dans le monde). En août, le studio sort son nouveau chapitre dans l’univers des adaptations du catalogue DC Comics : Suicide Squad. Et devinez quoi ? Même motif, même punition !

Depuis les avant-premières du début de semaine et la sortie en salles dans certains pays (dont la France), Suicide Squad se fait à son tour essorer par la presse. Les fans (qui pour une large majorité à l’heure actuelle n’ont pas encore vu le film) montent déjà au créneau et ont lancé une pétition demandant la fermeture pure et simple du site Rotten Tomatoes où Suicide Squad affiche pour l’heure un bien famélique 27%, soit peu ou prou le même score que BvS. Le réalisateur et tous les comédiens du film sont eux aussi en première ligne pour défendre leur bébé, arguant que la presse n’y connait rien, que de toute façon les critiques n’aiment pas les films de superhéros et que, in fine, ce seront les fans qui seront les seuls juges. Les fans précisément sont au taquet puisque, outre la pétition sus-citée, Suicide Squad démarre déjà très fort en Corée du Sud ainsi qu’en France où il réalise le 3e meilleur premier jour de 2016 avec 307 000 entrées. Soit un chiffre déjà supérieur à Captain America : Civil War (288 000), Deadpool (285 000) ainsi que BvS (196 000). Des films sortis pour la plupart hors vacances scolaires mais cela n’explique pas tout car aux États-Unis, les pronostics tablent sur un premier week-end aux alentours des $130M – $140M, ce qui le placerait là-encore au-dessus de Deadpool (mais derrière les $180M de Captain America : Civil War).

Suicide Squad - Affiche France

La sortie pour le moins houleuse de Suicide Squad est avant tout et surtout symptomatique d’un projet pris très au sérieux par la Warner. Car derrière tout cela, il y a comme toujours des histoires de gros sous et de lutte fratricide contre l’ennemi jugé, Marvel, dont chaque nouvel opus approche voire même franchit la barre du milliard de dollars au box-office. Sans compter la manne financière générée par toute la cohorte de produits dérivés. Comme le rappelait un article paru dans le Hollywood Reporter mercredi et relayé depuis par tous les médias du monde, le projet Suicide Squad était contractualisé avant toute autre forme de considération artistique : une date de sortie immuable avec à la clé des partenaires (financiers) aux quatre coins du globe. Et derrière le discours conjoint bien huilé de Warner et du réalisateur qui évoque « une expérience incroyable […] C’est un film de David Ayer et Warner est très fier de le présenter » se cache une réalité toute autre. Celle d’un réalisateur novice en matière de projets d’une telle envergure (son film le plus onéreux, Fury, a coûté à peine $70M à comparer aux $175M de budget de Suicide Squad hors coût marketing), embauché à l’arrache avec seulement six petites semaines devant lui pour boucler le scénar et à l’arrivée, une session de reshoots en mars dernier pas du tout prévu au départ, supposément à l’insu du réalisateur mais que ce dernier démentira par la suite. Comme si tout ceci ne suffisait pas, Warner décidera d’effectuer son propre montage du film en parallèle du travail déjà en cours par le réalisateur, ceci suite aux premières projections-tests survenues en mai.

Bref, un bien joli capharnaüm que ce Suicide Squad avant même sa sortie dans les salles obscures. Mais justement, sur grand écran, ça donne quoi ? Avant d’entrer dans le vif du sujet, rappelons tout d’abord le pedigree de David Ayer pour ceux qui l’aurait oublié. Le bonhomme s’est illustré en 2001 pour son scénario de Training Day réalisé par Antoine Fuqua et qui vaudra à Denzel Washington un Oscar du Meilleur Acteur. L’univers plus que borderline du film devient alors la marque de fabrique de la filmographie de Ayer, aussi bien en tant que scénariste (Dark Blue, 2002) que lorsqu’il passera à la mise en scène avec Bad Times (Harsh Times, 2005) et End of Watch (2012). C’est avec la même âpreté qui sonde les âmes toutes en nuances de gris de ses protagonistes qu’il revisitera dans Fury la libération de l’Europe Occupée par les nazis façon Das Boot à bord d’un tank Sherman. C’est dire si le profil du bonhomme semblait bien correspondre à l’univers bad ass de Suicide Squad. Oui mais voilà, anxiété des cols blancs de la Warner oblige et en dépit du discours conjoint bien policé évoqué ci-dessus, Ayer a-t-il vraiment eu les coudées franches (et le temps nécessaire) pour accoucher du Suicide Squad qu’il voulait ? Au regard du résultat et comparativement au reste de sa filmo plus qu’intéressante, force est de constater à regret que la réponse pencherait plutôt vers la négative.

Comme la plupart des autres films de superhéros, Suicide Squad se scinde en deux parties bien distinctes : la première (qui dure environ 40 minutes même si nous n’avons pas chronométré la chose) nous présente les différents protagonistes et le pourquoi du comment de cette « unité suicidaire ». Sur ce point et bien que cela ne soit pas un prérequis indispensable à la compréhension globale, il ne sera pas inutile d’avoir en tête que Suicide Squad fait directement suite précisément à Batman v Superman : L’Aube de la Justice puisqu’il y est question (attention spoiler pour ceux qui n’auraient pas encore vu le film de Zack Snyder) du trépas de l’homme de Krypton (fin du spoiler) tandis que Batou fera des apparitions fugaces au cours de cette première partie. Car, rappelons-le pour ceux qui n’aurait pas tout suivi, les différents protagonistes qui nous sont présentés ici sont les membres de la Task Force X, une équipe de super-vilains appelée à affronter Batou et sa « ligue des justiciers ». Mais ça, ce sera pour plus tard. Pour l’heure, la présentation des super-vilains se fait plus ou moins à la hache et à marche forcée. Il faut dire qu’il y a pas mal de monde et pas suffisamment de temps pour introduire chacun en bonne et due forme. Manque de temps en coulisses (remember les six semaines de scénar évoquées plus haut) et à l’écran (2h03 au compteur) ? Assurément car il y a plus qu’une demi-douzaine de personnages à dévoiler et forcément, certains resteront sur le carreau, au propre comme au figuré. À ce petit jeu de massacre, les deux qui s’en sortent le mieux sont indubitablement Deadshot (Will Smith en mode « tueur au grand cœur pour sa progéniture ») et Harley Quinn (Margot Robbie en mode « amoureuse foldingue » qui vole littéralement la vedette à tout le monde), avec une mention « encouragement » pour El Diablo (Jay Hernandez). Pour les autres, on verra plus tard. Dans Suicide Squad 2 sans doute. Pour autant, n’escomptez rien de bien profond et assurément pas une caractérisation des personnages aussi pointue que les meilleures adaptations de comics « collégiaux » ayant vu le jour jusqu’à présent (au hasard les X-Men) tant Suicide Squad fait résolument dans le minimum syndical.

Suicide Squad - Task Force X

Qu’à cela ne tienne, on se dit alors que la deuxième partie du film, l’heure de la grosse baston, va nous en donner pour notre argent. Que nenni ! Au lancement du projet, David Ayer évoquait un autre « classique » des films de la Seconde Guerre Mondiale en annonçant un « Douze Salopards avec des super-vilains ». À cette première référence, ajoutons-en une deuxième avec le New York 1997 de John Carpenter. Car après tout, comment faire marcher à la baguette tous ces super-vilains sinon en leur logeant à leur insu une capsule explosive dans le cou ? Et c’est donc parti pour plus d’une heure de super-bastons contre un super-méchant et ses sbires de super-vilains pas beaux dans les rues d’une ville à feu et à sang. Vous croyez que l’emploi de tels diminutifs est péjoratif ? Attendez un peu d’entendre le résultat ! Certes, impossible de passer outre une forme d’autodérision pleinement assumée pour le matériau de départ mais assurément le ton du film semble avoir bien changé entre les premières images dévoilées au cours du comic con en juillet 2015 et les bandes annonces officielles apparues en début d’année et qui tendaient à « humouriser » davantage le ton du film. Là encore, les costards-cravates de la Warner auraient-ils pris peur de l’approche beaucoup trop sombre voulue par David Ayer ? Toujours est-il qu’une fois à l’écran, l’ensemble passe assez mal comparativement (au hasard) à un Deadpool à l’humour gras vite rébarbatif et lourdingue mais qui fonctionnait à minima. Ce qui n’est malheureusement pas vraiment le cas dans Suicide Squad où les dialogues et autres punchlines ne volent pas bien haut et sont de surcroit déclamés au cours de situations où l’on a plus souvent l’impression d’être en plein milieu d’un gigantesque Tokusatsu. Vous savez ces séries télés nippones des années 70/80 type San Ku Kaï, X-Or et autres Bioman. Vous ne nous croyez pas ? Attendez d’avoir entendu et surtout vu le résultat à l’écran, la palme revenant assurément à Cara Delevingne, à mourir de rires dans le rôle de l’enchanteresse / vilaine sorcière. Car à toute cette débâcle s’ajoute en prime une réalisation proprement imbitable où l’on peine à trouver la mise en scène de David Ayer (remember les 2h de End of watch tout en caméra-embarqué et parfaitement lisible ?). Point de cette lisibilité ici-même avec des affrontements brouillons, charcutés au montage (les plans durent rarement plus d’une seconde) et noyés au milieu d’une débauche d’explosions et d’effets spéciaux en tous genres (plus de dix sociétés de S.F.X. sont crédités au générique de fin) et où, in fine, on ne sait plus très bien qui cogne sur qui. On n’ose imaginer le résultat en 3D (NB : le film a été converti en post-production). Apportez vite les sacs à vomi !

Sur le papier, l’association entre le matériau de départ, le choix du réalisateur et les intentions de ce dernier (une déclinaison dans l’univers des comics du classique de Robert Aldrich) semblait une bonne idée. De surcroit, la situation semblait gagnante – gagnante. Pour David Ayer, c’était la possibilité après dix ans de « petits » longs-métrages d’accéder (enfin) à la cour des grands. Pour Warner, c’était le choix d’un cinéaste ayant déjà fait ses preuves mais pas à grande échelle et donc, a priori, suffisamment malléable aux dictats du studio ; bien que des exceptions en la matière existe tel que Josh Trank qui a craché sur la Fox pour Les 4 Fantastiques (2015), ou encore Gareth Edwards dont le Rogue One (2016) est actuellement en pleine phase de rééducation, même si personne n’a (encore) moufté en place publique dans le cas du spin-off de Star Wars. Mais à l’arrivée, on se demande bien ce qu’il reste à sauver de ces deux heures de Suicide Squad avec son scénario aux fraises, ses dialogues bas-du-plafond et sa mise en scène en forme de bouillie ? Les personnages de Deadshot et Harley Quinn ? Celui du Joker dont on sait déjà que dix minutes ont été coupées au montage ? Ou encore cette scène de bar, assurément la plus réussie de tout le film, qui sonde les passés respectifs de nos super-vilains et in extenso leurs motivations. La version longue (et unrated ?) du film réhabilitera-t-elle un tant soit peu les efforts de David Ayer ? À l’instar là-encore de celle de BvS (3h00 vs 2h30 en salles) devant laquelle les fans ont fait leur mea culpa et dont Warner se gargarise depuis ? Le prochain opus mettant en scène ces super-vilains (et déjà annoncé comme il se doit au cours de la séquence visible au cours du générique de fin) rehaussera-t-il le niveau ? Une chose est sûre, pour l’heure la machine à superhéros est lancée et n’est pas prête de s’arrêter puisque, face à la déferlante Marvel, Warner avait déjà annoncé pas moins de dix longs-métrages au sein de son univers DC Comics d’ici 2020. La photocopieuse à succès pour des adaptations interchangeables et formatées d’un côté (le duo Marvel / Disney) vs les projets à l’accouchement douloureux de l’autre (le duo DC Comics / Warner). Why so serious ?

Retrouvez ci-dessous la bande annonce dévoilée au cours du Comic Con 2015 et l’une des dernières bandes annonces officielles apparues quelques mois avant la sortie du film.

Suicide Squad de David Ayer – 2h03 (Warner Bros. France) – 3 août 2016

Résumé : Face à une menace aussi énigmatique qu’invincible, l’agent secret Amanda Waller réunit une armada de crapules de la pire espèce. Armés jusqu’aux dents par le gouvernement, ces Super-Méchants s’embarquent alors pour une mission-suicide. Jusqu’au moment où ils comprennent qu’ils ont été sacrifiés. Vont-ils accepter leur sort ou se rebeller ?

Note : 2/5

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